Six jours de tempête / Od Ognjene do Blage Marije, 2008 (Jovan Radulović)


Six_jours_de_la_Tempte

 

 

 

   Jovan Radulović

 

   A lire :

un extrait de ce livre

Comment traduire ce titre : Od Ognjene do Blage Marije ? « De sainte Marie l’Ardente à sainte Marie la Clémente » serait une traduction littérale, sans doute fidèle, mais très peu parlante pour un lecteur français : ces deux saintes sont fêtées les 17 et 22 juillet… selon le calendrier julien en vigueur chez les orthodoxes serbes, soit les 30 juillet et 4 août selon le/notre calendrier grégorien. Jovan Radulović relate en fait un épisode étrangement mal connu, voire… ignoré de la guerre serbo-croate : l’opération dite Oluja, la tempête, la reconquête en août 1995, par l’armée croate, de la Krajina, la région de Knin à la population majoritairement serbe qui avait fait sécession d’avec la Croatie. « Six jours de tempête » serait un titre possible pour ce roman qui n’est pas un roman de guerre au sens classique de l’expression, loin s’en faut, ce que montre sa construction.

L’opération Oluja, son déroulement, sont présentés au début de chaque chapitre dans une sorte d’introduction, de préambule fait de phrases courtes d’une ligne, une ligne et demie, puis nouvelle phrase à la ligne suivante, comme pour un rapport énonçant les faits bruts, sans pathos ni commentaires. Car ce sont moins les événements qui intéressent l’auteur que le ressenti de ses personnages : lancés dans un exode qu’ils savent sans retour vers la Bosnie et la Serbie, les principaux « acteurs », en alternance ou presque, prennent la parole de chapitre en chapitre dans ce roman polyphonique, chacun réagissant selon son tempérament.

Chassé  ̶  parce que Serbe  ̶  de son lycée en Croatie, ministre de l’éphémère république indépendantiste, Markan est en quête de la terre promise, d’un ailleurs où reconstruire la Krajina et s’adonner à sa passion, le jeu de boules. Kuzman, son frère, pense à ne rien laisser derrière lui qui puisse profiter aux Croates, et, surtout, à emmener les siens sur son tracteur jusqu’à Belgrade où, pense-t-il… mais à tort, on les accueillera à bras ouverts. Le moine Nikodin… sur son âne est lui aussi de cet exode et s’interroge sur la nature humaine, la cupidité et la sécheresse de cœur de certains qui, profitant de la détresse de pauvres hères qui ont tout perdu, leur vendent de l’eau à un prix exorbitant. « Il est dans notre sang de redresser ce qui est à l’abandon et en cendres », pense-t-il par ailleurs, « de rêver de nos anciens monastères et de prier Dieu qu’Il fasse que nous revenions un jour sur leurs fondations. Et, à la manière des moines, tout recommencer à zéro, en récitant : Destruction et édification sont sans fin, de même la préoccupation et la prière de Dieu. » Lui seul ne se berce pas d’illusions ni ne cède à la désespérance.

Le seul personnage à ne pas prendre la fuite contraint et forcé est le colonel canadien Leslie, de la Forpronu. « Observateur » onusien, il est « l’œil et l’oreille » de Jovan Radulović : il voit la débâcle de la Krajina laissée sans défense, il entend prononcer le mot de trahison dont se sont rendus coupables des généraux incapables, mais aussi la Serbie de Milošević qui abandonne les siens à la merci des Croates. C’est lui encore qui, dans son obligation de neutralité, assiste impuissant aux exactions commises et doit pratiquement refuser à la population civile l’entrée du camp de la Forpornu. Le colonel Leslie ne prononce aucun réquisitoire, il ne met personne en accusation… sauf, peut-être, ses « collègues » de l’armée de la Krajina. Il constate, tente mais en vain de comprendre comment, en l’espace de six jours, la place forte serbe en Croatie qu’était Knin a pu tomber aussi facilement.

Les personnages de Jovan Radulović ne sont pas des héros, ni des anti-héros, mais des gens simples, de simples gens. En témoignent leur langage et la manière de l’auteur de présenter les dialogues, sans tirets ni guillemets, avec simple saut de ligne.

Ce roman a reçu le prix « Svetozar Ćorović » 2007-2008.

Alain Cappon