Veselinović, Janko (1862-1905)

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Janko Veselinović est considéré, après Milovan Glišić et Laza Lazarević, comme le troisième plus important représentant de la nouvelle rustique serbe. Plus proche de Glišić d’un point de vue tant littéraire que politique, il vient comme lui de la tradition orale, s'inspire des écrivains russes et admire Svetozar Marković (fondateur du mouvement socialiste en Serbie). Mais ce qui fait la particularité de la prose de Glišić, à savoir la critique sociale et l'humour, fait défaut à Veselinović. D'autre part, voire même davantage que Lazarević, Veselinović est attiré par la paysannerie traditionnelle; comme lui, il a idéalisé les communautés familiales et les rapports patriarcaux en évitant toutefois les profondes secousses morales et les échappées psychologiques si caractéristiques chez Lazarević.

Veselinović est un auteur réaliste idyllique typique et l’un des plus expressifs écrivains régionalistes parmi les nouvellistes serbes. Dans son œuvre abondante – il a publié une trentaine de recueils de nouvelles, reportages, romans, pièces de théâtre et essais – il a surtout illustré sa région natale, la Mačva. De sa naissance à Crnobarski Salaš, jusqu'à son départ pour Belgrade en 1893, Veselinović a passé une grande partie de sa vie dans les villages de la Mačva, la plupart du temps comme instituteur, où il s'est familiarisé avec le monde rural. C'est sans doute pour cette raison que ses nouvelles, en particulier celles de la première période alors qu'il n'a pas encore quitté la campagne, ont cet air de fraicheur et d'authenticité. Il y introduisait des extraits de vie réelle. C'est d'ailleurs sous le titre Слике из сеоског живота / Scènes de la vie rurale que paraît en 1886 et 1889 son premier et plus important recueil de nouvelles, dans lequel il essaie non seulement d'être le plus fidèle à la réalité mais aussi de traduire au plus près le ton et le style de la narration populaire.

Les nouvelles de Veselinović exhalent la chaleur lyrique et la sensibilité de sorte que, parfois, elles tiennent davantage de poèmes en prose, ce qui se traduit dans le titre poétique donné à certains recueils : Пољско цвеће / Fleurs sauvages (1890), Од срца срцу / De cœur à cœur (1893), Рајске душе / Les âmes du paradis (1983), Зелени вајати / Les maisonnettes vertes (1895). Ses héros sont presque tous des "âmes du paradis", de riches désargentés, des gens qui ont du "cœur pour tout le monde"… comme il l'écrit dans une nouvelle. Dans ce monde, les conflits sont la plupart du temps occasionnels et temporaires. Ils surgissent de situations malheureuses et de l'incompréhension. Les plus grandes secousses ont pour origine, non la société, mais la nature, comme par exemple, dans l'une des meilleures de ses courtes nouvelles « Град » / « La grêle ». Veselinović raconte souvent les épidémies de choléra qui fauchent le peuple et la lutte des hommes pour ranimer la vie après le drame (il traite ce thème dans plusieurs de ses nouvelles et dans son roman Сељанка / La Paysanne, 1893)… Les faiblesses de ses nouvelles – l'absence de choix, le traitement brut et, surtout, la longueur de la narration et l'étirement des dialogues – se sont manifestées ultérieurement, alors que son inspiration se tarissait et qu’il commençait à se répéter.

Bien que le plus prolixe et le plus expressif des représentants de la nouvelle rustique serbe, et contrairement à ses prédécesseurs, Veselinović est également l’auteur de romans. Après La Paysanne, il a publié Хајдук Станко / Haïdouk Stanko (1896) tandis que quatre autres restaient inachevés : Борци / Les Combattants, Јунак наших дана / Un Héros de notre temps, Сељак / Le Paysan, et Машићи / Les Mašići. Haïdouk Stanko est un roman historique sur le thème du Premier soulèvement serbe, dont l'attrait n'est pas tant la reconstruction historique des faits mais, plutôt, le récit romantique qui conduit l'innocence bafouée à se muer en vengeance féroce. C'est surtout l'intrigue complexe, dynamisé par un enchevêtrement de tensions et de rebondissements, qui a permis à ce roman, malgré un accueil défavorable de la critique, de connaitre une grande popularité auprès des lecteurs et de rester à ce jour l’un des livres serbes les plus lus.

Les œuvres inachevées, notamment le roman politique Les Combattants et le "roman social" Un Héros de notre temps, sortent du cadre des thèmes jusque-là chers à Veselinović et abordent les problèmes de la vie moderne. Un Héros de notre temps narre le chemin de vie du Dr Vladan Djordjević, politicien réactionnaire, auquel s’oppose le personnage idéalisé de Svetozar Marković (appelés, respectivement, Sreten Srećković* et Ranko Dragićević). Ce roman est une œuvre significative car il offre un panorama de la vie à Belgrade à cette époque et peut donc être considéré comme l'une des premières et des plus ambitieuses tentatives de création du "roman belgradois".

*Jeu de mot évoquant "la chance". (Note du traducteur)

♦ Etudes et articles en serbe. Jovan Skerlić, « Janko Veselinović », in Istorija nove srpske književnosti [Histoire de la nouvelle littérature serbe] (1914), Belgrade, 1967, p. 377-378 ; Vaso Milinčević, Janko Veselinović, Belgrade, 1962 ; Nikola Devura, Tomislav Jerotić, Janko za sva vremena [Janko pour l’éternité], Šabac, 2004 ; Suzana Lazarević, « Etnološki pristup književnom stvaralaštvu Janka Veselinovića » [Approche ethnographique de l’œuvre littéraire de Janko Veselinović], Museum, n° 13, 2012, p. 187-204 ; Janko Veselinović : 1862-2012, zbornik radova [Janko Veselinović, recueil de travaux], dir. Svetlana Velmar-Janković, SANU, Belgrade, 2013.

Jovan Deretić

Traduit du serbe par Marika Vibik