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Njegoš <

 
 
 
 
 
 


II


Petar II Petrović Njegoš


Une nuit plus précieuse que les siècles

Ноћ скупља вијека


La douceur de l'haleine de cette déesse
surpassait tous les parfums de l'Arabie heureuse

 

La blonde Séléné dans l'air diaphane vogue en beauté,

sous les champs étoilés dans le silence du soir printanier,

verse ses rayons enchantés, éveille des sens secrets,

du mortel inonde le regard assoiffé d'une douce volupté.

Au-dessus, par essaims les étoiles dansent de brillantes rondes,

en dessous, en essaims s'égouttent les nuées, s'écoulent les ondes,

sur un buisson un rossignol esseulé lance ses trilles légers,

telles de fines comètes virevoltent des lucioles enflammées.

Pensif, assis devant la tente sur un kilim bariolé,

je contemple cette merveille d'un regard enchanté.

Mes sens sont éveillés, de tous côtés s'envolent mes pensées,

cette divine splendeur déploie en moi de spirituelles flambées.

Mais à moi je reviens, dans un état de vaine humanité,

privé de trône, je retombe dans une plus faible divinité ;

tendrement je pressens de Diane la majestueuse foulée,

mon âme est désaltérée - à contempler sa couronne nacrée.

Ô héritage sacré, tu nous repais d'immortalité,

pour qu'avec le ciel l'âme humaine ait un divin toucher !

À l'affût, l'âme et l'ouïe submergées d'espérance,

guettent les murmures des entours - vers elles tout s'élance !

Quand de la fleur éclate le bourgeon, ou de la tige tombe la rosée -

cela gronde à mon ouïe aiguisée, en moi vive clameur fait se lever.

Quand dans un épais buisson les ailes d'un oiseau frémissent,

des frissons édéens me saisissent, des vertiges m'envahissent.

Un instant m'est chaque heure - mon temps maintenant est arrêté,

mes forces sont aux aguets, mes yeux fuient - pour tout contempler.

Voici, qu'une splendide vila vole vers moi d'un pas léger,

enviez-moi, ô vous immortels, cet instant de sainteté !

L'allure de la vila ressemble à l'Aurore et à sa foulée

quand au-dessus du printemps elle s'élance de son seuil argenté,

son juvénile éclat égale en splendeur celui d'Athéna,

fard et miroir ignorent de son visage les traits délicats.

Arrête lune, ton char blanc, prolonge mes aimantes veilles.

comme au-dessus de l'Inope[1] les nymphes ont arrêté le soleil.

Quand je vois la belle tentatrice, je l'enlace tel un dieu altier,

sous la tente la fais entrer, et accomplis le désir sacré.

Sous les rayons de la claire lune, près d'une chandelle allumée,

l'âme enflammée s'unit à la petite âme exaltée,

les baisers divins enlacent l'âme aimante à l'âme aimée.

Ah, les baisers, divine manne, déversent leurs charmes enivrés !

Le baume vivifiant et sacré, les arômes les plus parfumés

que le ciel à la terre a donnés sur ses lèvres je les buvais.

Perfection de la création, mystère et force de la divinité,

ô jamais rien de tel ni de plus beau qu'elle ne put être créé !

Menue sa douce bouche, angéliques ses petites joues -

mille sens m'envahissent, d'aucun je ne sais dire le goût !

Sa poitrine neigeuse s'arrondit, tressaille d'une sainte excitation,

sur elle deux pommes d'ivoire se dressent dans une tendre séduction ;

ses noirs cheveux sur la divine poitrine tombent en douces ondulations...

Ô Merveille ! Quel mortel à cet instant n'en perdrait la raison !

Plus fier est le sein blanc sous les vagues d'ébène

que l'orgueilleuse montagne sous les neiges éternelles,

quand, de la plaine en fleurs, je la contemple au coucher du soleil,

à travers une fine brume, de sa grandeur je m'émerveille.

Je joue avec ses pommes - deux mondes bienheureux de douceur

qui d'une immortelle fièvre m'enflamment moi, le déshérité du bonheur ;

avec ses cheveux j'essuie sur sa tête renversée la légère sueur...

Pour elle, toute gloire et félicité je sacrifierais sur l'heure.

Lèvres sur lèvres scellées, une nuit en un seul baiser !

Des étreintes de la vila blanche je ne pouvais me rassasier ;

par douce et enchanteresse force deux regards se lièrent

comme le soleil avec son reflet quand il vole sur la mer.

La lune fuit l'horizon, cède à Phébus son règne,

alors je perdis de vue ma jeune et belle reine !

 

[1] Inope : ruisseau de l'île de Délos où se situait le temple d'Apollon.


Poème traduit par
Vladimir André Cejovic et Anne Renoue

 
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