Branković, Djordje (1645-1711)

Orfelin_-_portrait


 

Né dans une famille riche et de renom qui avait quitté l’Herzégovine pour s’établir dans le Banat et le Pomorišje, Djordje Branković a très vite occupé des positions politiques en vue après que presque tous ses frères eurent été emportés par une épidémie. Dans une famille où les hautes fonctions métropolitaines et militaires étaient héréditaires, Branković est rapidement entré dans la carrière diplomatique, aidé en cela par sa connaissance de plusieurs langues (latin, turc, allemand, grec, roumain, italien et hongrois). D’abord interprète de l’ambassadeur d’Erdelj (Transilvania ou Ardeal, en Roumanie) à Carigrad [Kostantiniyye, en turc ottoman] (1663), il se trouve avec son frère, le métropolite Sava II, en Russie en 1668, puis est ambassadeur d’Erdelj à Carigrad (1675-1677).

Pendant le siège de Vienne, la cour autrichienne lui confère le titre de baron, et en 1688 l’empereur lui donne audience au sujet de son plan qui vise à restaurer un État serbe sur le territoire sous domination turque, État dont il serait le souverain mais avec des devoirs de vassalité envers l’Autriche dans la mesure où cette dernière aurait aidé au soulèvement des Serbes contre les Turcs. Par l’oukase de Léopold 1er de 1688, Branković est élevé à la dignité de comte et lui est reconnu le statut d’héritier des despotes serbes dont, selon sa propre conviction et celle de ses collaborateurs, il tire son origine. En 1689 à Orșova, il lance aux Serbes et aux autres peuples sous le joug turc un appel à prendre les armes. Mais au beau milieu de l’insurrection le commandant autrichien le convoque à Kladovo puis, se conformant à des instructions secrètes émanant de la cour d’Autriche, le fait conduire sous bonne escorte à Vienne où il sera incarcéré. Quoique en prison, Branković est en 1691 choisi comme despote par l’assemblée des dignitaires serbes et, de sa cellule, installera des hauts officiers des unités serbes dans l’armée autrichienne tout en maintenant un contact permanent avec le patriarche Arsenije III Čarnojević. Malgré de vaines interventions de Pierre le Grand demandant la libération de Branković, ce dernier restera emprisonné puis, en 1703, transféré à Heb [Cheb, ville tchèque] où il mourra en 1711.

Ses œuvres littéraires comportent ladite Vlaška hronika [La chronique valaque] écrite en roumain (1684-1688) mais que la science ne tient pas pour authentique, les volumineuses Slavenoserbske hronike [Les chroniques slavo-serbes] en 5 tomes (près de 2700 pages) en langue slavo-serbe, aujourd’hui encore inédites (mais conservées au Patriarcat serbe de Belgrade). Leurs nombreuses transcriptions, réalisées sous la surveillance rigoureuse de l’Église, font des écrits de Branković l’œuvre historique la plus influente de la littérature serbe baroque jusqu’à la parution de l’ouvrage de Jovan Rajić Histoire des différents peuples slaves... Elle est tenue, dans un sens très large, pour la première histoire moderne et laïque des Serbes donnée dans le cadre de celles de Byzance, des Roumains, Hongrois, Polonais et Turcs. Dans le tome V, le dernier des Chroniques, Branković informe sur son époque et, d’historien, se mue en chroniqueur des événements qu’il rapporte, en témoin vivement intéressé, et ses écrits en forme de mémoires faisant de lui une grande personnalité dont le destin est à ce point lié à l’histoire du peuple serbe que l’en séparer est impossible.

Le style des Chroniques a tout particulièrement attiré l’attention des spécialistes. Des parallèles furent établis avec le maniérisme du XVe siècle, mais sa phrase touffue, compliquée – qui regorge de participes synchronisés, chacun d’eux pouvant porter l’action de la phrase – peut pratiquement par elle-même refléter l’esprit baroque qui ressort des aspirations les plus profondes de l’écrivain. Les documents sur la naissance de la poésie épique populaire serbe, ses échos dans les Chroniques, l’assise polémique et diplomatique de cette œuvre destinée à la cour d’Autriche comme défense de la légitimité du comte et despote qui n’était pas destiné à le devenir, le renom dont jouissait Branković au sein de son peuple – tous ces éléments ont fait et font encore de cette œuvre un monument incontournable de la politique et de la littérature chez les Serbes.

Les unités serbes en guerre pour l’héritage autrichien sous le commandement du colonel Rašković en 1743 ont ramené les restes de Branković de Heb au monastère de Krušedol. 

Milorad Pavić

 Traduit du serbe par Alain Cappon