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Du même âge que Zaharija Orfelin, poète et historien comme lui, écrivain théologien, élève de maîtres russes à Sremski Karlovci ainsi que de la célèbre académie spirituelle de Kiev, Jovan Rajić (1726-1801) est l’auteur de la première et volumineuse histoire des Serbes qui fut publiée. Avant Orfelin il avait commencé à se pencher sur le passé et, plus généralement, sur l’histoire serbes. Stimulé par sa rencontre avec le célèbre historien Jan Tomka Saski, par un séjour au mont Athos et par les matériaux découverts au monastère serbe d’Hilandar, Rajić résolut d’écrire l’histoire des Serbes. En s’appuyant sur celle, latine, de Pavao Ritter Vitezović écrite pour le palais métropolitain de Karlovac, sur un autre ouvrage rédigé pour les mêmes besoins (l’histoire de Jan Tomka Saski), sur Mavro Orbin et de nombreuses recherches archivistiques, et en se fondant aussi sur les Chroniques de Djordje Branković et sur d’autres matériaux réunis des décennies durant, entre 1757 et 1768 Rajić rédige son Histoire des différents peuples slaves, en particulier bulgare, croate, et serbe [Историја разних словенских народов, наипаче Болгар, Хорватов и Сербов] dont le titre laisse déjà entrevoir une aspiration claire au slavisme baroque. Il la complétera en 1775 et par la suite, avant de la publier en quatre volumes en 1794-5. Il s’est efforcé de faire en sorte que « la gloire des Slaves s’accroisse » et a composé une œuvre qui, au dire de Nikola Radojčić « débute comme une histoire de tous les Slaves, en particulier des Slaves du Sud et des Russes, se poursuit comme l’histoire des régions serbes, surtout de la Raška, et s’achève comme l’histoire des Serbes en Voïvodine. ». L’ouvrage se conclut par l’accent mis sur les privilèges accordés aux Serbes en Autriche, et on remarquera la similitude du traitement des sources chez Rajić et chez l’historien français Le Nain. C’est, en réalité, une œuvre qui se présente comme une suite de sources enchainées que l’auteur parvient à peine à commenter. Avant sa publication l’histoire de Rajić a fait l’objet de nombreuses retouches (le russo-slave a été transformé par l’éditeur Stefan Novaković en slavo-serbe, Rajić lui-même a introduit dans son texte une retouche civilisationnelle avec une abondance de glorifications de la science, du savant XVIIIe siècle, et de l’organisation moderne de l’État). Néanmoins, pareille retouche idéologique n’a pas modifié la nature de cette œuvre qui est restée tournée vers une personnalité innommée par son stylé solennel et fleuri, sa langue originelle, et la conception initiale de Rajić qui a beaucoup souffert des fréquentes intrusions sur la nécessité de la science et de l’instruction. Certains chapitres montrent que l’auteur s’adresse à la cour de Vienne. En plus de retouches idéologique et linguistique, l’histoire de Jovan Rajić en a subi une autre, stylistique, ou, plus exactement, s’est trouvée avec son slavisme baroque côtoyer des œuvres d’un style nouveau, préromantique. Ainsi les parties qui traitent des croyances et coutumes préchrétiennes des Serbes, ou le chapitre sur l’ancienne mythologie des Slaves et des Serbes constituent-ils un élément important pour le goût préromantique de l’époque de la fin du XVIIIe siècle. Sans même le vouloir, en suivant Djordje Branković et ses autres sources qui, au temps du baroque et précédemment, se penchaient sur les thèmes mentionnés, Jovan Rajić est devenu très moderne et s’est trouvé voisiner avec les tendances préromantiques qui allaient marquer de leur sceau une époque pour lui encore indistincte. Milorad Pavić Traduit du serbe par Alain Cappon |
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