Courge qui se donne de grands airs (La) / Pokondirena tikva, 1838 (Jovan Sterija Popović)

Sterija_-_Pokondirena_tikva_1838
Pokondirena tikva
Première édition, Novi Sad, 1838

 

 

 

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Un extrait de La Courge

 

La première période, celle des années 1830 à Vršac, est la plus fertile pour Sterija Popović, auteur comique, avec ses premières comédies qui marquent son éloignement des genres du drame historique et de la tragédie. C’est durant cette période qu’il écrit également l’une de ses comédies les plus réussies : La courge qui se donne de grands airs (Pokondirena tikva, 1838).  

Dans La Courge, par le procédé in medias res, le thème principal est aussitôt introduit, à savoir l'exigence de noblesse, autoritaire et impératif, sans mots superflus : "je ne veux plus que tu sois comme tu l'as été." Sterija nous montre, dès l'exposition, son héroïne qui a déjà décidé de se transformer elle-même et de tout transformer autour d'elle : Fema veut "la noblesse" sur-le-champ, renie son passé et sa famille ; ses idées fixes, déterminées dès le début, ne se développent guère, et ce sont seulement les preuves de la conviction de l'héroïne de leur bien-fondé qui se multiplient.  

L'intrigue qui se noue en établissant les rapports entre les personnages, est mue tout d'abord par le projet de Fema de marier sa fille Evica au "philosophe" Ružičić, ce dont la jeune fille ne veut pas, puisqu'elle aime le domestique Vasilije. Sa rééducation des domestiques met en évidence le thème de la prétention à la noblesse, tandis que l'apparition de son frère Mitar témoigne de la tentative de l'héroïne-titre de rompre avec son passé. Sterija utilise ici une bonne recette pour nouer l'intrigue de sa comédie, en enchaînant les changements de rythme, les obstacles et les surprises.

Le destin fatidique de Fema : un raisonneur et un duo

Mitar, le frère de Fema, est l'exemple même du personnage de raisonneur classique. C'est moins un personnage qui provoque le rire qu'un gardien de la tradition, dont il se fait l'orateur. Ses actions gênent les élans de l'héroïne, qu'il ramène sur terre, permettant à l'équilibre rompu d'être rétabli à la fin de la pièce. Mitar est un raisonneur au service de la défense des valeurs éprouvées, représentant un contrepoids aux personnages de la pièce qui s'écartent de leur identité. Il est "la voix de la raison" telle que le public doit la reconnaître, car il souligne les déformations comiques.  

Il y a dans la pièce deux personnages de trompeurs qui fonctionnent en duo : ce sont le philosophe Ružičić et la pique-assiette Sara. Le duo Ružičić – Sara est fondé sur les différences, d'où provient d'ailleurs le comique entre les envolées lyriques de Ružičić et les aspirations beaucoup plus prosaïques de Sara. Le lexique de Ružičić abonde en mots abstraits, et recourt de plus au slavon, le lexique de Sara regorge quant à lui de termes culinaires. Ainsi s'établit une opposition cocasse entre deux univers, "spirituel" et gastronomique, alors même que leurs deux représentants appartiennent à un monde unique, celui de l'imposture. Sara est pour Fema synonyme de noblesse, notamment par sa "connaissance" de phrases toutes faites en allemand et en français. D’ailleurs, ce sont les langues étrangères qui sont le plus souvent source de malentendus et d'incompréhension entre les personnages de Sterija. Le français de Fema en particulier est un bon exemple de recours à une langue étrangère à des fins comiques basés souvent sur des calambours et des jeux de mots inattendus. 

Fema – l’un des plus célèbres personnages de la littérature serbe 

Fema est souvent comparée à monsieur Jourdain du Bourgeois gentilhomme. Le thème qui leur est commun est d’ailleurs sur plusieurs points traité de la même manière. Comme monsieur Jourdain rêve de devenir gentilhomme, Fema rêve d’être noble et veut transformer son entourage. Le comique naît toutefois essentiellement du caractère de personnage de Fema, habilement intégré par l'auteur dans un milieu social, et qui se démasque précisément par son parler, quels que soient les efforts pour s'éloigner de sa véritable identité. Autant Fema cherche à persuader autrui qu'elle s'est débarrassée de son identité antérieure, autant elle éprouve le besoin de se convaincre de l'existence de cette identité rêvée, même lorsqu'il lui semble l'avoir définitivement acquise.  

Brillamment conçu, le personnage de Fema –  qui oscille entre celui d'une femme liée à son milieu étroit de province et celui d'une femme qui veut s'en émanciper – est devenu l’un des plus célèbres de la littérature serbe : c’est un personnage qui aujourd’hui encore provoque de grands éclats de rire.
 

♦ Etudes et articles en serbe. Bogdanović Milan : "Pokondirena tikva", Stari i novi II, Prosveta Beograd, 1946, p. 53-57 ; Flegar Milorad : "Tri komedije Jovana Sterije Popovića: Pokondirena tikva, Tvrdica ili Kir Janja, Rodoljupci", in : éd. Hećičović, Fleger, Dva komediografa, Školska knjiga, Zagreb, 1971, p. 55-113 ; Milićević Živko : "Sterija i njegova Pokondirena tikva", Radoznalosti, eseji, Minerva, Subotica, 1954, p. 5-22 ; Milinčević Vaso : "Sterijina vrhunska komediografska ostvarenja", in : Pokondirena tikva. Rodoljupci, Prosveta / Nolit / Zavod za udžbenike i nastavna sredstva, Beograd, 1985, p. 7-33.


Sava Andjelković