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Surnommé le "père de la comédie serbe", créateur du genre dans son pays, Jovan Sterija Popović – que la critique désigne simplement et affectueusement sous le nom de "Sterija" – apparait sur la scène littéraire à une époque où ni le théâtre ni la langue littéraire en Serbie ne jouissaient de positions stables et solides. Pourtant très cultivé, doué et prolixe, il s'essaya à tous les genres : prose (textes courts humoristiques, romans historiques sentimentaux mais aussi un autre de facture étonnamment moderne), poésie (marquée par le néoclassicisme, mais se distanciant, à l'époque de sa maturité, de celle de ses contemporains par un refus de cultiver les mythes), drames historiques et tragédies (où l'histoire médiévale, des Balkans en général et de la Serbie en particulier, et notamment la bataille de Kosovo, occupent une place importante), pièces qui connurent un grand succès lors de leur création alors qu'à la différence de la plupart de ses comédies, elles ont désormais sombré dans l'oubli. Prosateur, Sterija chercha sa voie sur les chemins traditionnels du roman chevaleresque sentimental et s’inspira des modèles littéraires étrangers pour ensuite mûrir et s'en affranchir. Il passa de la structure narrative habituelle du roman à une structure nouvelle, spécifique. L'ensemble de son œuvre reflète la multiplicité et la complexité des courants littéraires de l'époque. Du fait de ses thèmes et styles très variés, elle résiste à une classification schématique : sa poésie est proche des concepts classiques du « lyrisme objectif », ses romans du sentimentalisme, ses tragédies et drames historiques du préromantisme, alors que ses comédies et sa prose humoristique procéderaient plutôt du réalisme. Un observateur lucide, témoin de son époque J. S. Popović naquit en 1806 à Vršac, petite ville de Voïvodine. Son père, aroumain hellénisé qui avait serbisé son nom de famille de Papas en Popović, était un commerçant aisé ; sa mère, fille du peintre serbe Nešković, communiquera à son fils le goût des livres et de la culture, si bien que, contre la volonté de son père qui souhaitait faire de son fils un négociant, Sterija continuera ses études : il fréquente d’abord l'école de Vršac, les lycées de Sremski Karlovci et de Timisoara et, enfin, l'université de Budapest. C'est à Budapest qu'il découvre le théâtre allemand et les grands auteurs dramatiques, entre autres Shakespeare et Molière. Il commence à écrire des poèmes (en slavon hybride) à la gloire des peuples des Balkans (Bulgares, Grecs...) en lutte contre les Turcs, puis des drames historiques à la thématique nationale, serbe. Il participe en 1826 à la fondation de la Matica srpska (la Société littéraire serbe) qui publiera ses premiers drames et romans. En 1830, il revient à Vršac, où il enseigne le latin, puis, après avoir passé à Bratislava des examens pour être avocat, il se consacre à ce nouveau métier tout en écrivant des pièces, dont des comédies qui seront jouées par des troupes d'amateurs. En 1840, Sterija est invité en Serbie pour enseigner le droit à Kragujevac, alors capitale du prince Miloš. L'année suivante il est nommé directeur au Ministère de l'Éducation à Belgrade, la nouvelle capitale. Il s'emploie dès lors à développer l'instruction publique à tous les niveaux, participe à la fondation de la Société de littérature (qui deviendra l'Académie serbe des Sciences et des Arts) et travaille à la création de deux théâtres (de la Douane et du Cerf) pour lesquels il traduit (Les fourberies de Scapin, Hernani) et écrit des drames historiques sur l'histoire médiévale serbe. Par ailleurs, il entretient des rapports tendus avec Vuk Karadžić, non seulement parce qu’il n’adhère pas à l'orthographe que suggère ce dernier : certes, il reconnaît lui aussi que la langue populaire doit être la langue littéraire, mais il souhaite toutefois continuer à l'enrichir en recourant au slavon, voire aux grandes langues européennes: « Si le simple peuple, déclare-t-il, a le droit d'enrichir la langue, pourquoi dénier ce droit aux personnes instruites? » L'hostilité de la nouvelle génération des jeunes intellectuels de Serbie à l'égard des Serbes venus d'Autriche-Hongrie pousse Sterija à rentrer à Vršac en 1848. Il y sera le témoin des conflits entre les Hongrois, qui cherchent à arracher leur liberté aux Autrichiens, et les Serbes, qui veulent s'émanciper des Hongrois. Partisan de l'entente avec les Hongrois, Sterija, qui n’adhère pas au nationalisme effréné de ses compatriotes, est sévèrement jugé par eux, mais il n'en doit pas moins les accompagner sur le chemin de l'exil pour Belgrade lorsque Vršac est prise par les Hongrois au printemps de 1849. Il y reviendra peu après l'écrasement des Hongrois par les Autrichiens et épousera une riche veuve dont la fortune lui permettra de se consacrer désormais à l'écriture. Il restera à Vršac jusqu'à sa mort, composera des articles satiriques, un livre de poésies Davorje (chants patriotiques, épiques ou tristes, 1854), dont la conception, plutôt proche du « lyrisme objectif », choque les romantiques exaltés de l'époque, et une comédie sur les événements de 1848 – Les Patriotes. Un "classique" qui reste actuel On peut classer les comédies de Sterija en plusieurs groupes : des comédies dans la lignée de Molière (nullement imitées, mais où l'on peut observer des liens avec certaines pièces du dramaturge français) : À menteur, menteur et demi [Laža i paralaža, 1830] évoque Les précieuses ridicules ; La courge qui se donne de grands airs [Pokondirena tikva, 1838] rappelle à la fois Le Bourgeois gentilhomme, La comtesse d'Escarbagnas et Les Femmes savantes ; L'Avare [Tvrdica ou Kir Janja, 1837] renvoie, bien sûr, à L'Avare ; des comédies dont le thème est le mariage et la vie conjugale : La Femme méchante [Zla žena, 1838], Le Mari acariâtre [Džandrljiv muž 1909], Sympathie et antipathie [Simpatija i antipatija, 1909] et Mariage et vie maritale [Ženidba i udadaba, 1853] ; des comédies en un acte: La Conciliation [Pomirenije, 1932], Tromperie pour tromperie [Prevara za prevaru, 1909] et L'Âne magique [Volšebni magarac, 1909]. À cette liste déjà longue il faut ajouter encore deux pièces sur le milieu belgradois : Belgrade autrefois et maintenant [Beograd nekad i sad, 1853] et Le Destin d'une raison [Sudbina jednog razuma, 1909], et une pièce sur 1848 – Les Patriotes [Rodoljubci] qui ne sera publiée qu'en 1909. De nos jours, ce sont avant tout ses poésies (Davorje, 1854), son Roman sans roman [Roman bez romana, 1838], et ses comédies (il en écrira treize, dont trois en un acte) qui représentent son héritage vivant. Dans ses comédies, Sterija s’est fait le peintre de la "bourgeoisie biedermeier" de la Voïvodine de l'époque : elles reposent, en règle générale, sur le conflit qui oppose une société patriarcale, encore liée à la terre, et les nouvelles valeurs d'une génération appartenant à la couche de la société urbaine la plus européanisée. Elles présentent une synthèse de la comédie et de la satire (ainsi, au sujet des Patriotes, Sterija soulignera que "tout ce qui a été bon sera décrit par l'histoire, ici ne sont présentés que les passions et les égoïsmes"). Le lieu de l'action est d'ordinaire le cercle familial, où les femmes sont souvent à la fois les porteuses des aspirations élevées et des figures comiques, le comique provenant surtout du caractère et du parler des personnages. Soulignons enfin que Sterija s'écarte des conventions de la comédie dans des dénouements souvent teintés de mélancolie où, au lieu du rire et de la catharsis comique, place est faite à la réflexion. Jovan Sterija Popović reste de nos jours encore l'un des auteurs dramatiques les plus joués en Serbie et se range parmi les deux ou trois auteurs de théâtre les plus importants dans l'histoire de la littérature serbe.
♦ Etudes et articles en serbe. Živan Milisavac : Savest jedne epohe - studija o Jovanu Steriji Popoviću, Matica srpska, Novi Sad, 1956 ; Milan Tokin : Jovan Sterija Popović, Nolit, Belgrade, 1956 ; Vaso Milinčević [ed.] : Jovan Sterija Popović, Zavod za izdavanje udžbenika, Belgrade, 1965 ; Dragiša Živković, Bidermajerski usamljenik Sterija, Novi Sad, Matica srpska, 1983 ; Sava Andjelković : Sterijinih 80 komičkih likova, KOV, Vršac, 2003. Sava Andjelković |