A la mort de l'immortel Joan Rajič / Na smert bezsmertnago Joanna Raiča (A. Stojković)

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Atanasije Stojković

 

A lire :

Extraite de ce poème

 

 

 

Le poète classique aime rendre hommage : Kratkoe napisanije o spokojnoj žizni (Brève relation de la vie sereine) d’Aleksije Vezilić (1753 -1792) – le premier recueil de poésie des lettres serbes modernes publié à Vienne en 1788 – contient ainsi un long poème sous forme d’hommage aux figures publiques de son temps. Ce poème de circonstance, composé par Atanasije Stojković et intitulé "Na smert bezsmertnago Joanna Raiča" (A la mort de l’immortel Joan Rajič), représente pourtant l'un des sommets de la poésie réflexive, intellectuelle du classicisme. Œuvre littéraire de premier ordre, il est représentatif à plus d’un titre. Composé sous la forme de deux Lamento de longueurs égales, il reprend les valeurs formelles de l’hexamètre. Sur le plan formel la strophe se compose de dix vers rimés suivant le schéma : ababaccdeed, canonisés dès le XVII e siècle par le poète français François Malherbe.  

Le Lamento premier expose la vie et l’œuvre de Jovan Rajić, historien de l’époque des Lumières, et présente son étude du passé comme une étude de la vie des ancêtres, des pères : c’est une mise en perspective de l’identité collective à travers les âges passés. Il confirme la place de l’historien au sein de l’histoire culturelle de sa communauté puis change de teneur et se transforme en hommage lyrique et mélancolique à propos de celui que l’auteur qualifie de maître. 

Le Lamento deuxième expose le drame de l’existence et de la mort humaine sur un plan universel, cosmique, en étudiant, à travers la mort du maître aimé, le drame de la mort des êtres, des cultures, de l’univers lui-même, pour finir en apothéose de la conscience en exhortant les êtres pensants à être Lui, s’il s’avérait que Lui n’était pas !  

Le Lamento premier est publié en 1802, soit deux ans avant la Première insurrection serbe et le renouvellement de l’Etat. Stojković, d’ailleurs, dans son adresse au collectif, rend bien compte de cette incertitude institutionnelle et juridique : comment nommer son collectif d’appartenance alors que celui-ci n’a pas d’Etat et n’habite pas un territoire géographique précis ? La communauté serbe d’Autriche n’existe pas sur un territoire précis, elle n’a ni représentants politiques ni noblesse de rang d’importance (sinon les Čarnojević, Rašković, Monasterlija, Popović-Tekelija). Seule l’Eglise la représente. Stojković, peinant à définir la nature politique du collectif dont il est issu, exprime le désarroi de l’intellectuel confronté à la question nationale restée en suspens.  

Le Lamento premier situe donc le contexte historique et social. Stojković s’attarde particulièrement sur la relation de maître à élève: il s’agit d’une confession lyrique, d’un hommage qui, par couches successives, prend la forme d’un traité de métaphysique. Les muses germaniques se réfèrent aux lumières et aux idées rationalistes du XVIII ème siècle.  

Le Lamento premier s’achève en panégyrique en l’honneur de Jovan Rajić dont le thème du temps représente une introduction au Lamento deuxième qui est entièrement structuré autour de la question du temps, de l’éternité, de la mémoire et de l’oubli, de l’être et du néant, de l’humanité et du divin. Plus précisément, le Lamento deuxième est construit sur le paradoxe suivant : « mort, tu es vivant, vivants, nous sommes morts ». Ce paradoxe permet d’effectuer une étude sur la brièveté de l’existence qui provoque un effroi, un vertige : c’est la teneur émotionnelle essentielle du Lamento deuxième. L’ensemble du poème, qui représente un reflet symétrique par rapport au Lamento premier, est composé sous forme de dialogue soit avec la nation, soit avec le défunt tandis que l’habite, de manière sous-jacente, la conscience du néant, le vertige du temps.

 Boris Lazić

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