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NOTES D'UNE FRANCOPHILE


 

Sekulic 1912

Isidora Sekulić


Elle aimait Paris
par
Nataša Marković

Isidora Sekulić aimait Paris et elle y revenait sans cesse. Surtout en été, pendant les vacances, lorsqu’elle travaillait comme professeur au Second lycée pour jeunes filles à Belgrade. Elle aimait la Seine, le Jardin du Luxembourg, Notre-Dame, Grenoble, la Bretagne, la Provence… Ecrivaine serbe de renom, la première femme élue à l'Académie serbe des sciences et des arts, elle a écrit l’un des meilleurs textes de la littérature européenne sur la cathédrale de Chartres.

Isidora Sekulić connaissait bien la littérature française et traduisait ses textes en serbe. Elle recevait régulièrement La Revue de Paris et différents périodiques, ainsi que des livres de « prose artistique de haut niveau ». En 1954, elle a écrit un long essai où elle défendait Françoise Sagan et son roman Bonjour tristesse qui connut un scandale mondial. Elle adorait l’abbé Bremond, poète et mystique d’origine provençale : elle le considérait comme un personnage original et audacieux, et appréciait ses textes sur le mythique et le profane, sur les fonctions sacerdotales et sur les travaux laïques.

Isidora Sckulić a publié une centaine de textes sur les littératures étrangères dont plusieurs sont des sommets de critique littéraire. Beaucoup de ces textes sont consacrés aux auteurs français : Paul Valéry, Stéphane Mallarmé, Stendhal, François Villon, André Malraux… Il faut mentionner aussi son essai sur la nécessité d’une rencontre de l’Occident et de l’Orient dans l’art, la philosophie, la politique, inspiré par la Défense de l’Occident d’Henri Massis. […]

Traduit du serbe par Milan Djordjević

In : Isidora Sekulić, Balkan / Balkans, édition bilingue serbe / français, Belgrade, Editions Plavi jahač, 2012, p. 82-84.

 

Le génie français
par
Isidora Sekulić

…Cette race française, aux qualités et aux possibilités si multiples et si variées, a livré toutes sortes de batailles : au roi et au clergé, à la noblesse et à la plèbe. Elle épurait et rénovait tout ce qui constituait l’élément essentiel de la civilisation et de la culture. Elle épurait le christianisme de l’obscurantisme monastique ; elle épurait l’art de la fadeur et du mensonge ; elle épurait la liberté, nue et sacrée, des contrefaçons et des lubies passagères. Si la politique, la science et l’art étaient appelés à faire un grand pas en avant, il arrivait à l’esprit français d’être parfois non seulement imaginatif mais aussi utopique. Cependant, les fantaisies qu’il engendrait étaient d’une nature telle que la raison et l’esprit critique pouvaient en dégager finalement des résultats réels. Si, sur le plan de l’esprit, les forces de l’oppression et du mensonge l’emportaient sur le moment, la France réagissait en y opposant le doute ou le refus le plus énergique. De terribles paroles de vérité et de condamnation, la France savait en lancer, s’il le fallait, au monarque, au président de la République, et aussi à elle-même…

Par l’intermédiaire de ses grands hommes, le France a été la conscience de l’humanité. La plupart des combats menés par les armes ou par la plume pour la défense de la justice politique et sociale sont nés en France. C’est de la France que le monde a appris les notions de justice et de droit. C’est le pays du bon sens lucide, des idées fondamentales, des chefs énergiques, des poètes et des philosophes humains, des soldats valeureux. Les grands quotidiens français, les notes diplomatiques françaises, les arguments français, les belles lettres françaises ont élevé leur voix en faveur des peuples déshérités et négligés. Qu’il s’agisse des Arméniens massacrés par les Turcs, ou des Serbes opprimés par l’Autriche, les politiciens et les écrivains français se sont dressés pour défendre l’humanité et poser des questions retentissantes : est-il possible que l’Europe, et la France avec elle, dise au Sultan : « Continue à tuer, pourvu que tu paies » ; et à l’Autriche : « Fais avec les petits tout ce qui te plaira, pourvu que tu ne gênes pas les grands ».

De même, dans le domaine de la science pure et dans celui de la philosophie, les Français ont été les plus courageux à diffuser les lumières, à chasser les fantômes des traditions périmées, à conquérir de vastes régions pour la raison humaine. Ils ont réfuté les croyances aveugles dans les postulats prétendus inviolables de la science, de la religion, des mœurs sociales, des héritages politiques. Chez eux, un fil conducteur subtil rattache les idées de justice, d’humanité, de vérité, de bon sens, et en fait une synthèse de beauté.

Dans le génie français le point culminant est le mystère de la beauté. Ce mystère se révèle dans l’immense puissance créatrice, dans tous les genres, et peut-être surtout dans la langue et la littérature. En tant que son, syntaxe, logique, la langue française est une puissance mondiale. La parole française possède une force prodigieuse de persuasion. Le livre français, les journaux français, l’éloquence française attestent cette puissance souveraine de la parole et prouvent que seuls les mots, rédigés ou prononcés dans une bonne langue, expliquent le sens des faits et des phénomènes indépendamment des expériences pratiques. Lisez attentivement un seul quotidien français au cours d’une seule année, et vous aurez absorbé toute une encyclopédie, vous aurez acquis un jugement sain sur la liberté et la beauté, et une belle culture de l’intelligence et du cœur.

C’est cette grande puissance de la parole française qui confère une valeur considérable à l’opinion publique en France. Dans ce pays, l’opinion publique ne consiste pas dans la discussion mesquine des préjugés et des passions d’une société ou d’une clique ; l’opinion publique en France repose sur de solides traditions, sur la morale, l’histoire, sur les grands esprits qui reflètent le génie de la nation et bénéficient de sa confiance…

Dans notre âme, il y aura pour toujours, non pas une seule Journée française dans l’année, mais chaque jour une heure consacrée à la France. Ne vivons-nous pas et ne respirons-nous pas avec la France ! Le livre français n’est-il pas entre nos mains du matin au soir ! Combien y a-t-il eu, combien y aura-t-il parmi nous de ceux qui mourront avec un livre français entre leurs mains ! Cela tient, – que la France le sache – non pas uniquement à la supériorité de son esprit mais aussi aux affinités profondes qui nous lient à elle.

 

In Mihailo B. Milošević, Amitié franco-yougoslave, Belgrade, 1968, p. 26-28.

 
 
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