Buffle noir dans le coeur et autres poèmes (Le) / Crni bivo u srcu i druge pesme, 1732-1746 (G. S. Venclović)

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   Le Buffle noir dans le coeur

 

 

G. S. Venclović
 

 

   A lire :

La poésie de Gavril Stefanović Venclović se confond avec son office de prêtre dans les églises baroques nouvellement édifiée de Đer, Komoran et Sentandreja en Hongrie du nord. Elle pénètre sa prédication et souvent l’illustre d’une image rare et bienvenue. L’effet de ce changement de prosodie est de produire un choc chez l’auditeur qui redouble d’attention à l’écoute du poème. Telle est la position première de son texte. Le poète orateur compose, suivant le degré d’éducation de son auditoire, des textes en slavon ou en langue vernaculaire mais, quel que soit son vecteur, c’est là une poésie composée en vue d’être dite, introduite dans des passages en prose, dans les homélies, qui suivent les Liturgies divines. Illustrateur et calligraphe de talent écrivant sous la contrainte de l’absence d’imprimerie – les autorités autrichiennes interdisent alors aux Serbes l’impression des livres – son œuvre, mélange habile de littérature et d’art graphique, œuvre aux copies uniques, est faite aussi pour le plaisir des yeux.

Venclović respecte le caractère formel de la poésie aussi bien dans les deux langues littéraires que dans leurs diverses métriques (vers libre de la prosodie byzantine ou l’alexandrin du baroque orthodoxe). Les deux idiomes pouvant d’ailleurs user à la fois du vers libre des canons ou d’une métrique plus rigide. Les ouvrages de Venclović témoignent d’un moment paradoxal de l’histoire de la langue et des styles : alors que sa poésie en serbe vernaculaire est de facture libre (héritage du chant liturgique, canonique, slavon où, sur le plan du rythme, la composition musicale et les vers s’interpénètrent), sa poésie slavonne hérite la métrique du chant séculier, rimé, et la reprend pour traiter de sujets religieux. Dans les deux cas, cette poésie est récitée, elle n’est pas chantée. Ce traitement de la métrique fixe apparaît d’ailleurs dans la poésie serbe dès l’œuvre de Dimitrije Kantakuzen, au quinzième siècle, au moment de la Renaissance avortée, dans La prière à la Vierge, œuvre majeure. Mais ce n’est qu’à partir du milieu du dix-septième siècle, avec l’apparition du baroque orthodoxe, qu’une métrique semblable est réintroduite, sous l’influence de l’école théologique de Kiev. Avec elle naît presque aussitôt une nouvelle école de chant, celle de Sremski Karlovci. 

La majeure partie de ce choix de poèmes de Venclović – traduits spécialement pour Serbica – repose sur la poésie de langue vernaculaire, composée en vers libres et pour les besoins de ses prédications. L’auditoire de Venclović se compose de paysans, de citadins et de militaires : ce sont des réfugiés du Kossovo qui rebâtissent non seulement les villes de Buda et de Sentandreja, mais aussi et tout autant l’ensemble de la civilisation serbe en terre d’exil. A ceux-là s’adresse le poète et l’orateur, au sein d’églises baroques nouvellement édifiées. Les Serbes sont alors mercenaires en terres étrangères et cherchent l’appui de Venise, de Vienne ou de Moscou dans le but de rétablir la souveraineté nationale, l’indépendance de la Serbie. 

La disposition des vers en unités sémantiques détachées est le fait de Venclović, qui de sorte disposait les vers des offices composés par ces prédécesseurs ou ses propres traductions des psaumes. L’histoire littéraire a retenu cette disposition dans la présentation des siens. L’intonation musicale, la richesse métaphorique et symbolique décident s’il s’agit d’un texte de prose ou de poésie. Au goût baroque du singulier, du macabre se joint une tendance marquée pour la poésie réflexive. Le poète orateur y exhorte souvent ses auditeurs : nombre de poèmes ont pour sujet l’art oratoire aussi bien que celui de l’audition. Parallélismes, inversions, paradoxes, effets du langage, effets de vertige, jouissance verbale vont de pair avec, dans le texte écrit, des mises en pages élaborées ayant pour effet de surprendre, de créer des comparaisons singulières, voir inattendues – héritage byzantin que l’art oratoire baroque remet au goût du jour. L’école de Kiev met ainsi à son profit, dans un retournement paradoxal à l’envoyeur, les outils de propagande de la Contre-réforme catholique afin d’assoir dans un discours contemporain la défense de la foi et de la civilisation orthodoxes. 

Peintre de la détresse humaine, de la mort (notamment infantile), moraliste, théologien de la lumière, poète de la brièveté de la vie, Venclović fait aussi partie de cette pléiade d’écrivains serbes de Voïvodine qui témoignent de la détresse d’une nation sous domination étrangère et oeuvre au maintient de la conscience linguistique, culturelle et politique serbe.

Boris Lazić

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