LE LIVRE DU MOIS : juillet-août 2015 |
Points parution : 18 juin 2015 Roman (poche), 320 p.
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Miodrag Bulatović LE COQ ROUGE Crveni petao leti prema nebu Traduit du serbo-croate par Édouard Bœglin
Présentation de l'éditeur : Points « Aujourd’hui, je deviendrai, il le faut, un homme. Il est temps que j’entre dans le monde. » Las de travailler pour un vieux paysan cruel et pervers, Muharem s’en va son coq sous le bras. Sur sa route, il assiste aux noces de celle qu’il aime en secret. Mais les invités, dans leur ivresse, veulent plumer son coq, et Muharem avec lui. Meurtri, le jeune homme s’enfuit et commence alors un voyage insolite où il croisera le chemin de personnages singuliers et fascinants… Né en 1930 au Monténégro, Miodrag Bulatović est notamment l’auteur des Diables arrivent et des Gens à quatre doigts. Le Coq rouge est son roman le plus célèbre. Il a reçu le prix Nocturne 2008 qui récompense les livres épuisés. * * * Une « extraordinaire machine à fabuler » Annoncé par l’éditeur comme un « grand roman sensuel et fantastique » qui « fait songer à l’univers orgiaque d’un Breughel », Coq rouge a suscité – après sa première publication en France en 1963 (Editions du Seuil) – des commentaires élogieux et fort enthousiastes. Commentaires réservés habituellement aux livres exceptionnels ou à ceux des auteurs déjà reconnus. Qu’y a-t-il donc d’aussi séduisant dans ce roman qui relate l’histoire d’un pauvre paysan et de son coq, histoire qui se déroule dans un village du Monténégro soudainement transformé, par la frénésie d’une noce campagnarde, en un lieu de débauche carnavalesque ? Selon Georges Bartoli, la force de ce livre, de cette « étrange histoire », réside d’abord dans son « originalité extrême » ainsi que dans l’imagination époustouflante de l’auteur qui agit comme une « extraordinaire machine à fabuler » ! A cela il faut également ajouter, poursuit le même critique, d’autres qualités littéraires de ce « récit plein d’un lyrisme débridé », en particulier sa dimension symbolique. En fait, Bartoli pense ici plutôt à une prétendue dimension intertextuelle du roman en lançant une hypothèse osée – sans la développer, sans y mettre aucune réserve – hypothèse fondée en réalité sur « l’aveu » de l’auteur. D’après cet « aveu », Bulatović, « hanté par les problèmes moraux, voire métaphysiques » aurait écrit Coq rouge « pour réfuter La peste de Camus » ! André Marissel est encore plus enchanté par ce « livre tourbillonnant » qui « bouscule le lecteur peu habitué à pareille kermesse ». Dans son article court mais particulièrement inspiré, ce critique tente d’abord de résumer l’histoire avant de se rendre compte que sa tentative « ne peut être qu’infidèle ». Car, explique-t-il, Coq rouge est beaucoup plus qu’un roman et son auteur « beaucoup plus qu’un romancier : un peintre, un visionnaire comme Breughel et Chagall, un poète comme Gorki ou Panaït Istrati ! » Et comme si ces comparaisons audacieuses n’étaient pas suffisantes pour exprimer son enchantement, Marissel termine son article avec des termes encore plus dithyrambiques : N’en doutons pas : Miodrag Bulatovic est un grand écrivain, représentant du génie populaire de son peuple ; une force poétique vraiment prodigieuse, dévastant la ‘littérature’ ; un cataclysme qui provoque l’enthousiasme. Évoquons, enfin, l’interprétation de Michel Deguy, plus ambitieuse, plus approfondie aussi que celles faites par ses confrères. Attiré surtout par la dimension symbolique du roman, par l’image métaphorique du coq rouge s’envolant vers le ciel, ce poète s’attache d’abord à répondre aux questions suivantes : « Qu’est-ce que le coq », ce seul bien du pauvre métayer monténégrin ? Et que représente-t-il dans la vision romanesque de Bulatović ? Selon lui, ce volatile « qui s’élève, qui peut habiter le ciel », est avant tout un symbole riche de significations : il représente à la fois le rêve, la « chose-miroir », « le fantasme » qui nous fait « tenir débout ». Mais c’est aussi « la clé de voûte du roman considéré du point de vue de sa forme », car, souligne-t-il, la figure du coq est également « chargée de l’unité du récit ». A part cette riche symbolique cachée derrière un exotisme apparent, symbolique qui suggère une certaine vision philosophique de l’écrivain, ce roman soulève aussi, toujours d’après Deguy, des interrogations métaphysiques importantes, voire fondamentales. Comme, par exemple, celles-ci : « comment être un homme ? » ; « qu’est-ce être un homme ? » ; ou encore : « comment faire le bien ? ». L’homme de Bulatović, « cette espèce d’animal », « misérable et presque infirme » – explique le poète – sait bien qu’il est dans « le péché », qu’il est « en enfer », et il tente d’en sortir, de « se redresser de terre ». Mais, « le livre dit l’infernal empêchement » de devenir homme, comme il dit aussi « l’impossibilité pour le Bien de se frayer un passage, d’exister, de se ‘réaliser’… » […] (Milivoj Srebro, « Génie ou imposteur ? Miodrag Bulatović vu par la critique française », Serbica, novembre 2014 ; extrait). |
Auteur : Miodrag Bulatović (1930-1991) Prosateur hors norme à l’imagination effrénée et au verbe expressif, exubérant, personnalité insolente prête à tout tourner en dérision, Miodrag Bulatović – nouvelliste, romancier et auteur dramatique – s’est vite forgé la réputation de l’enfant terrible de la littérature serbe d’après-guerre. Apparu tel un météore sur la scène littéraire des années cinquante du XX e siècle, toujours étroitement surveillée par les « vigiles » du régime titiste, cet écrivain à l’esprit subversif s’est aussitôt attiré les foudres des idéologues du réalisme socialiste : choqués par l’audace de son premier recueil de nouvelles, Les Diables arrivent / Đavoli dolaze (1955, publié en français sous le titre Arrête-toi, Danube) – par son univers « laid » et grotesque ainsi que par ses personnages obsessionnellement voués au mal – ceux-ci ont accueilli ce livre taillé au couteau en le qualifiant de produit d’une imagination « sale », « morbide » et « dégénérée » ! Sans se laisser intimider par l’anathème jeté par la critique dogmatique, sans vouloir entrer dans les ordres, Bulatović restera fidèle à lui-même en se laissant guider uniquement par son talent, en poursuivant son chemin en dehors des sentiers battus. Objet de controverses, longtemps encore contesté par les idéologues titistes mais, en même temps, soutenu discrètement par la critique progressiste, l’écrivain finira, cependant, par être reconnu à Belgrade. Mais seulement après son fulgurant succès à l’étranger ! Comme le dit l’adage : « Nul n’est prophète en son pays ». […] > Texte intégral |
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