A lire
|
Rédigé vraisemblablement en 1409, à Belgrade, le Dit d’amour, fut découvert dans un manuscrit que la datation situait dans la première moitié du XVe siècle. Djura Daničić, premier éditeur de ce texte, était convaincu qu’il s’agissait d’un autographe du despote Stefan, qui aurait été écrit à Belgrade au début du siècle. Le manuscrit a été victime de l’incendie de la Bibliothèque nationale de Belgrade, entièrement détruite par des bombes incendiaires, lors du bombardement nazi du 7 avril 1941. L’étude paléographique a néanmoins permis de situer la datation du manuscrit dans le deuxième quart du XVe siècle. En 1978 Djordje Trifunović a découvert une deuxième copie du texte de despote Stefan, inclus dans un recueil de textes conservé dans le Musée du Patriarcat de Belgrade et qui avait appartenu jadis au monastère de Krušedol (fondation pieuse et mausolée des derniers despotes de Serbie, érigé entre 1513 et 1516). Le Dit d’amour de Stefan Lazarević est le premier texte dédié à l’amour dans la littérature serbe du Moyen Âge. Même si bien d’autres textes issus du patrimoine scripturaire slavo-byzantin présentent des passages plus ou moins élaborés sur l’amour, celui du despote Stefan est le seul à lui être entièrement dédié. C’est la notion d’amour hérité de la transmission vivante de la spiritualité orthodoxe, et non pas seulement sa transmission littéraire, qui est à l’origine de ce texte. La concision et la simplicité d’expression ont permis au despote d’accorder sa sensibilité esthétique avec les lois du genre épistolaire. C’est donc une esthétique ayant pour aboutissement une expression spiritualisée de l’expérience du monde et des rapports humains qui ressort des vers de ce prince. Le contenu structurel de l’ouvrage peut être distingué comme suit : après une partie introductive, les sections 2-3 s’expriment sur ce qu’est l’Amour, les sections 4 à 6 sur les faits d’amour, alors que les 7-10 véhiculent une sorte de message d’amour. Cette structure tripartite est réalisée dans l’esprit de la rhétorique médiévale. Le contenu sémantique est plus discutable, la notion de l’union (συμφύω) ou réunion des deux êtres est néanmoins un topoi de la littérature slavo-byzantine médiévale. C’est ainsi que dans une lettre type serbe de cette époque, il est question de « l’âme aimée », qui ne doit en aucun cas « te séparer de mon amour tant que nous serons parmi les vivants, mais ayons toujours l’unité de pensée et d’âme... » L’union des âmes (ou des esprits) dans le Royaume de Dieu est une autre grille de lecture de ce texte. Dans ce cas il rejoindrait l’instigation exprimée dans l’Épitaphe du Kosovo, ou les chevaliers pro patria mori — par l’amour — « communient à la Gloire d’en haut ». Le nom de celui à qui le texte avait été adressé n’ayant pas été conservé, il s’agirait donc d’une sorte de modèle auquel il suffisait d’ajouter un destinataire. On a spéculé sur celui à qui l’épître du despote pouvait se rapporter. C’est le propre frère cadet du despote qui serait le destinataire de ce texte épistolaire. Les rapports difficiles et conflictuels entre les deux jeunes princes ont alimenté ces spéculations, car rien n’a pu confirmer ces allégations. Le despote ayant rallié le prince Moussa dès 1409, alors que son frère Vuk s’allia au sultan Soliman lors de la bataille de Kosmodion (le 15 juin 1410), c’est la guerre civile entre les héritiers de Bayezid Ier qui fournit l’arrière-plan et le contexte politique de ce conflit dynastique en Serbie. Même si l’on ne sait que peu de chose sur sa vie privée, il y a tout lieu de croire que le despote vivait en solitaire. On ne lui connaît aucune liaison ou projet de mariage, celui avec Hélène Gatilusi ayant été selon toute probabilité d’assez courte durée. Mais si le contenu même du texte cité exclut une adresse du sexe opposé, il permet en revanche d’élargir le cercle d’intéressés potentiels aux deux neveux en plus du frère du despote : Djuradj Branković, l’héritier du trône, et Lazar Branković. Cette hypothèse nous apparaît d’ailleurs comme une possibilité assez pertinente. A moins qu’une autre copie du Dit d’amour, avec le nom de celui à qui il s’adresse, ne soit trouvée un jour, nous resterons réduits aux supputations. La bonne interrogation serait néanmoins de savoir quelle est la nature de relation entre l’auteur et le destinataire de ce texte. Si l’identité de ce dernier aurait pu nous aider à y voir plus claire, le contenu sémantique et la charge aussi bien émotionnelle que mystique de l’écrit ne permettent pas de trancher la question.
♦ Bibliographie sélective.B. Bojović, « Le discours d’amour de despote Stefan Lazarević - poésie spirituelle ou amour platonique ? », in Corrispondenza d’amorosi sensi. L’omoerotismo nella litteratura Medievale, Edizioni dell’Orso, Gênes, 2006, p. 285-296 (avec une traduction en français) ; Sp. Radojičić, « Književna stremljenja despota Stefana Lazarevića », in Id., Tvorci i dela stare srpske književnosti, Titograd 1963, p. 198-200 ; Id., « Postanak ’Slova ljubve’ despota Stefana Lazarevića » (La création du « Discours d’amour » de despote Stefan Lazarević), Književne novine, 8 février 1963 ; D. Bogdanović, « O ‘Slovu ljubve’ despota Stefana Lazarevića », Pravoslavna misao 12 (1969), p. 93-102 ; Id., Istorija stare srpske književnosti (Histoire de l’ancienne littérature serbe), Belgrade, 1980, p. 200-201 ; Dj. Daničić, “Šta e pisao visokij Stefan” (L’écrit de Stefan l’altier), Glasnik Društva srbske slovesnosti XI (1859), p. 166 ; S. Novaković, Primeri književnosti i jezika staroga i srpskoslovenskoga (Les exemples de littérature et de langue ancienne et serbo-slave), Belgrade, 1904, p. 576-578 Dj. Trifunović, Despot Stefan Lazarević Književni radovi (Despote Stefan Lazarević - œuvres littéraires), Belgrade, 1979, p. 155-156, 173-174 ; A. Veselinović, Država srpskih despota (L’Etat des despotes de Serbie), Belgrade, 2006.
Pour plus d’informations voir la version complète de cet article. Boško I. Bojović |