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Le „dernier disciple de Saint Sava“, moine athonite, guide spirituel, ascète et érudit, Domentijan est, avec Teodosije, l'auteur de l'œuvre qui a, selon Milan Kašanin, „la plus grande portée universelle tant dans sa forme d'expression que par la valeur de son contenu“. Faisant partie des écrivains de tout premier ordre de ce XIIIe siècle serbe, Domentijan était un de ces moines d’exception qui eurent le privilège de demeurer dans l’hésychastèrion (ermitage) de Karyès. Une dizaine d’années plus tard, il devint le père spirituel de Chilandar demeurant dans un autre hésychastèrion, celui de la Transfiguration. Le peu d’informations dont nous disposons sur lui laissent penser qu’il était issu de la noblesse serbe, de même que bien d’autres moines de Chilandar. Il est, sans doute, l’auteur serbe le plus lettré, le plus érudit de son temps. C’est à son instigation que le scribe Théodore Span copia, en 1262-1264, l’Hexaéméron de Jean l’Exarque. L’œuvre littéraire de Domentijan appartient exclusivement au genre hagiographique. On ne connaît pas de compositions hymnographiques qui puissent lui être attribuées, mais ses écrits sont composés, en partie, dans un style qui se rapproche des formes hymnographiques. C’est au milieu du XIIIe siècle que ce moine athonite écrit son œuvre majeure consacrée à celui qu’il considérait comme son maître spirituel : Sava Nemanjić. Intitulée La Vie de Saint Sava [Žitije svetog Save], cette hagiographie est achevée en 1243 ou, plus vraisemblablement, en 1254. Contemporain des faits de la vie de son héros, Domentijan décrit, selon les règles du genre, la jeunesse du prince Rastko qui deviendra plus tard l'archevêque Sava, sa vocation monacale, sa vie au Mont-Athos, son œuvre d’évangélisation en Serbie ainsi que ses voyages en Terre Sainte et son trépas en odeur de sainteté. Inspirée par une vénération sincère, c’est une œuvre originale d’une fiabilité historiographique remarquable et d’une singulière portée idéologique. A la demande du petit-fils de Nemanja, le roi Uroš le Grand (1243-1276), Domentijan écrit, une dizaine d’années plus tard, en 1264, une troisième vita du fondateur de la dynastie : La Vie de Saint Siméon-Nemanja [Žitije svetog Simeona]. Tirée pour sa plus grande partie de sa Vie de Saint Sava, celle de Nemanja offre néanmoins quelques éléments supplémentaires issus de la tradition de l’instauration de son culte au Mont-Athos. Les deux hagio-biographies inaugurent le parallélisme des cultes royaux et ecclésiastiques en Serbie némanide. L’œuvre de Domentijan est avant tout celle d’un moine athonite de son époque, imprégnée de la théorie et de la praxis spirituelle et anachorétique. L’expérience vécue, aussi bien de l’individu que de la collectivité, est celle de la mise en pratique des enseignements des pères de l’Eglise et des écrits évangéliques et bibliques. Quant à sa poétique, plus élaborée que celle de ses prédécesseurs, Sava et Stefan le Premier Couronné, elle est plus complexe dans l’application des formes rhétoriques ainsi que dans la composition même de l’œuvre, plus nuancée dans la caractérisation spirituelle des personnages de premier plan. Les paraphrases et les réminiscences bibliques longues et fréquentes ainsi qu’une syntaxe complexe et l’accumulation de synonymes que l’on retrouve dans ses écrits, sont des caractéristiques du style dit “broderie de mots” (pletenie sloves), propre à la littérature panégyrique byzantine et à la littérature russe des XIVe et XVe siècles. Avec son style alambiqué, alourdi par de longues digressions scripturaires et théologiques, avec son abstraction des traits individuels et autres caractéristiques psychologiques, au profit de notions généralisatrices et impersonnelles, Domentijan est d’une lecture ardue et quelque peu hermétique. C’est pourquoi il fut beaucoup trop sévèrement jugé par les philologues et historiens, du XIXe siècle notamment, qui ne trouvaient pas chez lui des réponses aux questions qu’ils lui posaient. L’œuvre de Domentijan est cependant un maillon majeur aussi bien dans l’élaboration de la théologie de l’Eglise que de la philosophie politique du Royaume de Serbie au Moyen Age. ♦ Bibliographie sélective. M. P. Petrovskij, “Ilarion mitropolit kievskii i Domentian ieromonah hilandarskii”, Известия ОРЯС, Отделениь русского язйка и словесности Академии наук, 13/4 (1908), p. 81-133 ; V. Ćorović, “Domentijan i Danilo. Jedna glava iz ‘Južnoslovenske hagiografije’” [Domentijan et Danilo. Un chapitre de “l’hagiographie sud-slave”], Prilozi KJIF IDj. Sp. Radojičić, “Služenje Domentijanom u XIV veku” (L’utilisation des textes de Domentijan au XIVe siècle), Južnoslovenski filolog, 21 (1955-1956), p. 151-155, bibliographie : p. 411-413 ; (1921), p. 21-33 ; M. Dinić, “Domentijan i Teodosije” [Domentijan et Teodosije], Prilozi KJIF XXV (1959), p. 5-12 ; Dj. Trifunović, Domentijan, Belgrade, 1963 ; A. Schmaus, “Die literarhistoriche Problematik von Domentijans Sava-Vita”, in Slawistische Studien zum 5. Internationalen Slawistenkongress in Sofija 1963, Götingen, 1963, p. 121-142 ; Доментијан, Живот Светога Саве и Живот Светога Симеона (Vie de Saint Sava et Vie de Saint Siméon), приредила Радмила Маринковић, Belgrade 1988 ; Ljiljana Juhas-Georgievska, “Domentijan i arhiepiskop Danilo II” [Domentijan et Danilo II], in L’archevêque Danilo II et son époque, Belgrade 1991, p. 237-243 ; Светлана Стипчевић, “Свети Фрањо Асишки и Свети Сава – покушај контрастивне паралеле” (Saint François d’Assise et Saint Sava : essais de parallélisme contrastif), in Хиландар у осам векова српске књижевности (Chilandar et huit siècles de littérature serbe), Belgrade, 1999, p. 97-103 ; B. I. Bojović : L’idéologie monarchique dans les hagio-biographies dynastiques du moyen âge serbe, Pontificio instituto orientale, (Orientalia christiana analecta, 248), Roma, 1995, p, 164-167 ; G. Podskalsky, Theologichte Literatur des Mittelalters in Bulgarien und Serbien 865-1459, Munich, 2000, p. 365-376 ; B. I. Bojović, Histoire et eschatologie / Uсторија и есхатологија, De l’histoire et de la littérature du Moyen Age sud-slave / Из историје и књижевности јужнословенског средњег века, Paris-Vrnjačka Banja, 2008, p. 306-311 ; P. Guran, « Slavonic Historical Writing in South-Estern Europe, 1200-1600 (Hagiography as Historical Thought : the case of Serbia) », in Sarah Foot, C. F. Robinson, The Oxford History of Historical Writing (400-1400), Oxford University Press, 2012, p. 330-341.
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