Eternel fiancé (L') / Večiti mladoženja, 1878 (J. Ignjatović)

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    Jakov Ignjatović

  
A lire

Un extrait du roman

 

 

 

De l’avis général l’un des meilleurs romans, peut-être même le meilleur de Jakov Ignjatović, L’éternel fiancé est conçu comme une sorte de chronique familiale qui dépeint la décadence de la bourgeoisie serbe en Hongrie. L’accent est mis sur trois personnages principaux – maître Sofronije, un riche marchand, mâle et autoritaire, de Szentendre, et Pero et Šamika ses deux fils – permettant ainsi à l’écrivain de présenter une vue d’ensemble de l’ascension et de la chute de la famille petite-bourgeoise Kirić, une histoire qui repose sur le thème quelque peu stéréotypé du conflit des générations et de l’incompréhension entre pères et enfants.

Sur le plan thématique, comme le suggère son titre, le roman se focalise sur « l’éternel fiancé », phénomène dont l’universalité dépasse le strict cadre de la chronique familiale. L’incarne Šamika Kirić, un dandy aux belles manières, un galant homme habitué des divertissements de salon, mais qui – au grand désespoir de son père qui place en lui tous ses espoirs pour lui donner un héritier – ne parvient pas (ne le peut-il ou ne le souhaite-t-il pas ?) – à prendre femme. Et ainsi, en dépit de multiples occasions et obstacles feints ou réels, ce moderne Frauenlob[1] dépourvu, au dire de l’auteur, d’un « trait masculin » mais attiré aussi par des amours impossibles, mourra célibataire, sans héritier, mais aucunement insatisfait de lui-même.

Porté aux conceptions conservatrices de la famille et de la société, la critique traditionnelle a vu en Šamika un « décadent » à la remorque des tendances à la mode, voire l’incarnation de la « dégénérescence » biologique et morale de la petite-bourgeoisie serbe de Szentendre. Conformément à sa philosophie vitaliste, c’est de ce point de vue que Jovan Skerlić a quant à lui présenté le héros de L’éternel fiancé, un « mollasson sans volonté, sans énergie, sans audace » qu’il soumet à la critique car privé d’élan vital. Une lecture plus récente à néanmoins montré que le personnage est plus complexe qu’il n’y paraît. Milorad Pavić, par exemple, a avancé entre autres raisons du rapport controversé de Šamika au mariage celui, ambigu, qu’il entretient avec sa mère, et a suggéré une interprétation fondée sur la psychanalyse et sur le complexe d’Œdipe. Certains critiques contemporains lisent quant à eux, ce roman d’Ignjatović à la lumière de la queer theory et voient dans le syndrome de « l’éternel fiancé » un comportement d’homosexuel inhibé et à l’identité sexuelle refoulée.

Quelque interprétation que l’on propose du rapport de Šamika aux femmes et au mariage, son comportement et son profil psychologique demeurent en partie recouverts du voile du secret. Se dissimule probablement là ce qui explique pourquoi, en dépit de ses insuffisances manifestes sur les plans du style et de la composition, L’éternel fiancé intrigue et suscite toujours autant l’intérêt des nouvelles générations de critiques.

[1] Frauenlob est le surnom du poète lyrique allemand, Heinrich von Meißen, qui fut un Meistersinger très connu au Moyen Âge.

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