Glišić, Milovan (1847- 1908)

Glisic portrait 1 



Œuvres traduites

A lire :

Le premier sillon

Père de la nouvelle réaliste serbe, Milovan Glišić est né à Gradac, un village proche de Valjevo et fait son entrée dans la littérature dès ses années de lycée à Belgrade. Puis, pendant ses études universitaires à la Grande Ecole (la première université en Serbie), il collabore aux premiers journaux socialistes serbes. C’est dans l’un d’entre eux, Preodnica [L’avant-garde], qu’il publie sa première nouvelle – « Noć na mostu » [Une nuit sur le pont, 1873]. Membre actif du mouvement politique de Svetozar Marković (par ailleurs le premier idéologue et propagateur du réalisme dans la littérature serbe), il œuvre dans l’esprit du programme révolutionnaire de celui-ci en critiquant d’une plume acérée la société serbe de l’époque.

Son œuvre littéraire débute par des feuilletons et nouvelles satiriques dans lesquels il tourne en dérision les travers de la société serbe d’alors. En 1875 paraissent ses nouvelles satiriques les plus virulentes : « Glava šećera » [Le pain de sucre], « Roga » [Le Tribart],  « Zloslutni broj » [Le nombre fatidique] ; toutes trois sont publiées dans Otadžbina [La patrie] de Vladan Djordjević, la plus importante revue de l’époque du réalisme. Il y critique les propriétaires terriens, les usuriers et les bureaucrates, principaux détenteurs du pouvoir et du capital dans la société paysanne de l’époque.

Par la suite, la plume satirique si acerbe de Glišić s’émousse sensiblement : après la mort de Svetozar Marković en 1875, ses adeptes sont poursuivis et son mouvement s’étiole. Des changements surviennent également dans la vie privée de Glišić. Il abandonne ses études et devient fonctionnaire d’Etat. Après cette année 1875 qui marque un tournant, il se met à écrire des nouvelles surtout humoristiques : « Raspis » [La circulaire], « Šilo za ognjilo » [Œil pour œil],  « Svirač » [Le musicien], « Redak zver » [Une bête rare], « Šetnja posle smrti » [Balade post mortem], « Vujina prosidba » [La demande en mariage de Vuja], dans lesquelles la critique sociale s’adoucit. Les propriétaires terriens, ces escrocs, y sont toujours fustigés, mais les représentants du pouvoir sont décrits comme des défenseurs des pauvres et des faibles. Quel aura été le rôle de la pression extérieure dans ce revirement ? Le destin de la comédie Podvala [Une tromperie] est révélateur. Après quelques représentations, elle sera interdite car elle pointe les vices d’un représentant du pouvoir et Glišić sera contraint de la modifier.

Entre 1875 à 1885, parallèlement à ses nouvelles humoristiques et des comédies, il publie la plupart de ses contes fantastiques : « Posle devedeset godina » [Après quatre-vingt-dix ans], « Nagraisao » [Dans le pétrin], « Zadušnice » [La fête des Morts], « Brata Mata » [Maître Frère], dans lesquelles, sous l’influence de Gogol, il s’inspire des légendes populaires sur les vampires et les forces surnaturelles. Il publie également plusieurs œuvres plus sérieuses, parmi lesquelles la superbe idylle patriarcale, « Prva brazda » [Le premier sillon], un hymne à la campagne, aux paysans et au travail de la terre, plein de gaieté et d’optimisme, imprégné des sentiments les plus purs et les plus nobles. Après « Le premier sillon » et « Une tromperie » en 1885, Glišić abandonne pratiquement la création littéraire, mais poursuit son fécond travail de traduction des auteurs russes et français dont, pour ne citer que les plus importants, les classiques du réalisme russe : Gogol (Tarass Boulba, Les âmes mortes), Gontcharov (Oblomov) et Tolstoï (Guerre et paix).

Bien qu’elle ne compte qu’une trentaine de nouvelles et deux comédies rurales, qu’elle soit marquée par certaines faiblesses artistiques propres à toute phase initiale d’un courant littéraire, l’œuvre de Glišić est empreinte de force élémentaire et de simplicité, ce qui fait de lui un écrivain important. Son attitude critique vis-à-vis de la réalité, la modernité de sa thématique, ses types de personnages (l’usurier de campagne, le bureaucrate corrompu, le paysan naïf) font de Glišić un vrai réaliste. D’autre part, on distingue aussi chez lui certains traits non-réalistes caractéristiques des réalistes serbes : l’idéalisation de la campagne d’autrefois et le folklore.

Soumis à une double influence, politique de Svetozar Marković et littéraire de Nicolas Gogol, Glišić a construit ses œuvres sur une base populaire, en les enrichissant d’éléments empruntés à la prose orale. Ses nouvelles satirico-humoristiques, qui sont les plus nombreuses et les plus marquantes, ainsi que ses deux comédies, se basent sur le modèle des récits et anecdotes populaires comiques. On y voit s’épanouir un esprit campagnard de moquerie, de dérision, de tromperie, dont sont toujours victimes les gens malhonnêtes, les escrocs, les oppresseurs du peuple. Ceux qui font profession de tromper les autres sont un jour eux-mêmes trompés, bernés, on leur rend la monnaie de leur pièce, « œil pour œil » ; ils sont cloués au pilori et justement punis pour les mauvaises actions qu’ils ont commises. Glišić narre tout cela de manière simple et naturelle, en recourant souvent aux procédés des conteurs populaires, dans une langue qui laisse transparaître le parler bien vivant de sa région natale.

Avec Glišić commence l’essor de la nouvelle réaliste rurale dans la littérature serbe : elle sera adoptée non seulement par les nouveaux écrivains, mais aussi par ceux déjà connus qui avaient commencé leur œuvre sous le signe du romantisme.

♦ Etudes et articles en serbe. Boško Novaković, Milovan Dj. Glišić, Belgrade, 1962 ; Velibor Savić, « Poslednji dani Milovana Glišića » [Les derniers jours de Milovan Glišić], Glasnik, n° 2-3, Valjevo, 1967, p. 232-246 ; Vitomir Vuletić, Gogolj, Glišić i folklorna demonologija [Gogol, Glišić et la demonologie folklorique], Belgrade 1977 ; Dragoljub Zorić, Život i književno delo Milovana Dj. Glišića [La Vie et l’œuvre littéraire de Milovan Glišić], Valjevo, 1991 ; Radomir V. Ivanović, « Stvaralački postupci u fantastičnoj prozi Milovana Glišića » [Les procédés dans la prose fantastique de Milovan Glišić], Pedagoška stvarnost, n° 1-2, 1998, p. 5-19 ; Dušan Ivanić, « Gradjenje priče » [Construction de l’histoire], in Svijet i priča [Le Monde et le récit], Belgrade, 2002, p. 195-205. 

Jovan Deretić

Traduit du serbe par Brigitte Mladenović

 
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