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Apparu sur la scène littéraire dans les années cinquante du XXe siècle, à une époque rigoriste dominée par l’esprit dogmatique du « réalisme socialiste », Antonije Isaković s'est démarqué sur-le-champ du « chœur » louangeant les exploits de la révolution communiste. Résistant de la première heure, proche du pouvoir, il a profité de sa position privilégiée pour démontrer que l’on peut écrire autrement sur la guerre tout en offrant, dans ses premiers livres, une autre vision de la lutte de la libération, plus impartiale et plus nuancée. Peu prolixe à ses débuts, A. Isaković s’affirme d’abord comme adepte du récit court avec trois recueils de nouvelles : Les Grands enfants [Velika deca, 1953], Les Fougères et le feu [Paprat i vatra, 1962] et Les Berges désertes [Prazni bregovi, 1969]. Présentés sous une forme concise où une narration spontanée alterne avec des dialogues à la Hemingway, ses récits possèdent une dynamique intérieure très intense, due à une intrigue soigneusement construite ainsi qu’à la gravité des thèmes traités. Attiré en particulier par les situations extrêmes, propres à la guerre, l’écrivain met en scène le plus souvent un moment dramatique ou décisif de la vie de ses personnages, un moment de vérité où ceux-ci sont contraints de se découvrir, de montrer leur vrai visage. Un tournant important s’opère dans la prose d’Isaković à partir des années 1970 en annonçant un changement significatif non seulement sur le plan formel de ses récits mais aussi dans le regard de l’auteur, désormais plus critique, sur la guerre, le passé et la réalité de la Yougoslavie socialiste. Ce tournant est perceptible déjà dans Instant I [Tren I, 1976] : c’est dans ce livre, construit comme un cycle de nouvelles, que l’auteur applique pour la première fois une technique narrative originale, une variante moderne du skaz. Précisément, Isaković donne la parole à un narrateur fictif, un vieux retraité hanté par les souvenirs traumatiques de la guerre, qui feint de se confesser à Čeperko (Tchéperko), interlocuteur muet personnifiant, en réalité, le lecteur. C’est également dans ce livre que l’auteur tente de sortir du cadre étroit de la nouvelle. En effet, le skaz et la structure cyclique mises en place dans Instant I lui serviront de « test » avant de franchir le pas qui le mènera de la nouvelle au roman. Parmi les trois romans ultérieurs d’Isaković – Instant II [Tren II, 1982], Le crime en toute quiétude, Instant III [Miran zločin, Tren III, 1992] et Le Seigneur et ses serviteurs [Gospodar i sluge, 1995], le premier a tout spécialement éveillé l’attention de la critique et du grand public. Et pour cause ! Dans Instant II l’écrivain a osé s’attaquer à un thème considéré à l’époque comme le tabou absolu : la répression que Tito a entreprise contre ses adversaires politiques, réels ou imaginaires, après son conflit avec Staline en 1948. Ce roman, présenté lui aussi sous forme de skaz, évoque plus précisément les effroyables méthodes de « rééducation » – le lavage de cerveau et les horribles tortures physiques et psychologiques – pratiquées sur les prisonniers de Goli otok (L’île nue), l’un des plus sinistres « camps de rééducation » titistes. Antonije Isaković a exercé de nombreuses fonctions dans le domaine culturel : il a été successivement directeur de l’hebdomadaire « NIN », rédacteur en chef de la revue Delo et le directeur de la maison d’édition « Prosveta ». Il a également été membre de SANU (L’Académie serbe des sciences et des arts). Traduits en plusieurs langues à l’étranger, ses livres n’ont pas encore réussi à susciter l'intérêt des éditeurs français. Milivoj Srebro |