Professionnel (Le)* / Profesionalac, 1990 (Dušan Kovačević)

Kovacevic - Professionnel
     
 
Dušan Kovačević

 

Bien que ses personnages soient solidement ancrés dans un contexte politique déterminé avec précision et, s’agissant du Professionnel, dans un système qui contrôle et dirige la vie des personnages, Dušan Kovačević ne s’est jamais activement engagé dans la vie politique et n’a jamais adhéré à un parti (contrairement à la nouvelle génération d’auteurs dramatiques serbes dont, en premier lieu, Biljana Srbljanović). A ce propos il est intéressant de remarquer que Le Professionnel a été écrit en 1990, à l’époque de la pleine emprise de Slobodan Milošević sur la Serbie, mais l’action dans cette pièce se réfère pourtant au régime totalitaire précédent, celui de Tito. Plus tard, après la chute de Milošević, Kovačević, en tant qu’auteur du scénario et réalisateur du film éponyme (2003), opérera un transfert dans le temps pour situer l’action à l’époque de la Serbie de Milošević. 

Le Professionnel – qui a pour sous-titre « Triste comédie selon [saint] Luc » ! – se présente comme une sorte de chronique d’un temps passé et nous montre, dans les moindres détails, les destins de deux victimes d’une idéologie totalitaire : les destins mêlés d’un policier de la sécurité d’État et d’un écrivain dissident. Au début, le lecteur est dérouté par le récit mené à la première personne, par son caractère narratif, ce qui se justifie à la fin de la pièce. Teodor Teja Kraj, écrivain d'âge mûr (quadragénaire) occupe les fonctions de rédacteur en chef dans une maison d'édition. Il reçoit dans son bureau la visite d'un homme qui possède toutes ses « œuvres non écrites » : Luka Laban, l’ancien policier qui l'a espionné pendant des années et qui a noté chacune de ses paroles ! Le fils du policier, Miloš, professeur de littérature, s'est chargé de transcrire ses notes sous forme de livres. Comme l'ex-policier doit subir une grave opération à l'hôpital, il veut d’abord terminer son « travail » – qu'il n’a pas cessé d’accomplir avec soin, même après son départ à la retraite ! – afin de le remettre à son véritable « auteur » : le dissident Teodor Teja Kraj.  

La pièce abonde en éléments comiques, mais est écrite comme un drame réaliste, intimiste, ancré dans la vie quotidienne des citoyens d’un État totalitaire, un drame qu’un comique spécifique fait dériver vers l’absurde. D’ailleurs, le rôle du comique est ici essentiel car, sans lui, ne subsisterait qu’une histoire sinistre, dont les protagonistes sont plus sinistres encore. Comme dans les autres pièces de Kovačević, l’intrigue est solidement construite, l’action dramatique habilement menée et les dialogues mêlent comique et tragique, réel et absurde ; la vraisemblance du propos en fait aussi toute sa valeur.  

Le Professionnel s’inscrit dans la ligne inaugurée par Kovačević avec la comédie de caractères L’Espion des Balkans (1983), où un petit fonctionnaire, ancien prisonnier politique, espionne son locataire, un tailleur qui a vécu et travaillé à Paris, dans l’espoir de démasquer et de dénoncer un ennemi d’État. Ce phénomène, endémique dans les Balkans, de dénonciation et d’intrusion dans la vie d’autrui, devient dans Le Professionnel une investigation approfondie menée par un maniaque obsessionnel incarné par le personnage de l’ancien policier Luka Laban.  

L’écriture du Professionnel est magistrale, avec des répliques brèves et efficaces portées par les deux personnages principaux et deux autres de second plan. La pièce a été montée avec succès non seulement en Serbie et dans les pays ayant vécu sous des régimes totalitaires (Grèce, République tchèque, Hongrie, Roumanie), mais aussi en France, Suisse, Grande-Bretagne, et aux États-Unis, car aucun spectateur ne peut rester indifférent devant ce texte aux accents universels qui met en scène un univers où la politique pèse d’un poids considérable sur la vie quotidienne mais aussi sur le destin des gens. Ce qui explique sans doute pourquoi cette pièce – même si Kovačević s’adresse au public le plus large – a été bien reçue également dans les milieux intellectuels et ce, partout où elle a été représentée.

*Traduit par Anne Renoue et Vladimir Čejović, Lausanne, L’Age d’Homme (coll. "Amers"), 2000.

♦ Etudes et articles en serbe. Ivan Medenica, "Prividno živi ljudi Dušana Kovačevića" [Les gens en apparence vivants de Dušan Kovačević], Sarajevske sveske, n° 11-12, 2006, p. 113-124 ; Jovan Hristić, "Zima našeg nezadovoljstva – s izuzecima" [L’hiver de notre insatisfaction – avec quelques exceptions] in : Eseji o drami [Essais sur l’art dramatique], Belgrade, SKZ, 2006,  p. 263-267. 

Sava Andjelković

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