Alain Cappon
La Chronique de Belgrade d’Ivo Andrić
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Andrić sur la terasse de son appartement dans la rue Prizrenska à Belgrade 20 octobre 1944.
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À l’occasion du cinquantième anniversaire de l’obtention du prix Nobel de littérature par Ivo Andrić en 1961, la Fondation qui porte son nom à Belgrade décida de présenter sous un angle nouveau le romancier et auteur (entre autres) des célèbres et célébrés Le Pont sur la Drina et La Chronique de Travnik. Ivo Andrić étant aussi un remarquable et remarqué nouvelliste, la Fondation fit ainsi paraître sous le titre Beogradske priče (littéralement « Histoires belgradoises ») ses nouvelles publiées entre 1946 et 1951 mais écrites au lendemain de l’invasion allemande de la Yougoslavie en 1941. Ambassadeur du royaume de Yougoslavie à Berlin il avait refusé d’être extradé en Suisse, et encore moins en Croatie alors aux mains des oustachis, et était rentré de son plein gré à Belgrade (et non à Sarajevo comme le disait le chroniqueur d’un grand quotidien français !), habitant un modeste appartement de la non moins modeste rue Prizrenska. De la même époque et du même lieu de résidence datent ses meilleures œuvres.
Le titre Histoires belgradoises ne m’a guère séduit car les nouvelles présentées par la fondation Andrić ne sont pas des textes mis bout à bout pour constituer un livre satisfaisant de grosseur et… vendable, mais racontent Belgrade de l’après-Première Guerre mondiale à l’après-Seconde Guerre mondiale. Son histoire est vue et relatée par des individus différents dont certains sont les acteurs, d’autres les témoins plutôt passifs d’un changement d’époque où une société patriarcale peu à peu s’efface devant un modèle disons plus ouvert, où le beau-fils ne sera plus une « pièce rapportée » dans le pire sens de cette expression, quelqu’un à qui n’est consenti qu’un seul et unique droit : celui de se taire et de se conformer aux us et coutumes de sa femme toute-puissante et de sa belle-famille.
Survient alors 1941 et l’époque qui « changeait » offre désormais le plus souvent son pire visage. C’est le temps de la guerre, celui d’une totale refonte des rapports familiaux et sociaux : à l’apathie, au désir exclusif de certain(e)s de préserver leurs propres intérêts fait pièce la volonté de résistance exprimée ou manifestée au risque de leur vie par d’autres que l’on aurait crus bien incapables d’héroïsme. Arrive (enfin) 1945. La libération. L’annonce d’un monde nouveau, différent. Mais que précèdent les bombardements, les destructions…
La Chronique de Belgrade, c’est tout cela. À la fois des « histoires » que le lecteur suit avec un intérêt qui jamais ne se dément, l’Histoire que (sans doute) on connaît mal mais qu’Ivo Andrić relate en témoin extérieur, anonyme, sans jamais tomber dans le pathos.
Pourquoi m’être intéressé aux Beogradske priče ? Bien entendu pour les raisons exprimées ci-dessus mais aussi pour apporter ma quote-part à la réparation de ce que Milivoj Srebro m’avait confié il y a maintenant plusieurs années. En France, avait-il regretté, Ivo Andrić fluctue entre enthousiasme et oubli, entre admiration et ignorance, puis renaît avec la publication d’une nouvelle traduction avant de retomber dans l’oubli... Quoique puissent en penser certains éditeurs, Ivo Andrić mérite ô combien d’être, je dirais, redécouvert. C’est pourquoi j’ai complété ma traduction d’une postface qui, j’espère, à l’image des textes réunis par la Fondation Andrić, révèlera une facette inconnue du talent du grand écrivain : la vision de la femme qui ressort de ce recueil.
Pour les mêmes raisons je travaille actuellement sur des nouvelles, elles aussi sans doute peu connues, où Ivo Andrić délaisse l’événementiel pour une réflexion approfondie sur la fuite du temps, le vieillissement inexorable de la personne, le combat que se livrent le bien et le mal, l’audace et la peur, le désir de découvrir le vaste monde et l’incapacité que l’on se sent à le faire.
J’espère avoir l’occasion de vous en reparler. Même si la nouvelle est un genre peu prisé en France (« Je n’en publie pas car elles ne se vendent pas » m’a un jour déclaré sans vergogne un éditeur au salon du Livre !), les histoires (relativement) courtes d’Ivo Andrić méritent absolument d’être portées à la connaissance du public français mais bon nombre d’entre elles n’étant pas, hélas, encore disponibles en traduction.
Date de publication : avril 2023
Date de publication : juillet 2014
> DOSSIER SPÉCIAL : la Grande Guerre
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