Velmar-Jankovic_-_Kapija_Balkana
Kapija Balkana

 



Svetlana Velmar-Janković

 

A lire

Un extrait de ce livre   

KAPIJA BALKANA / LA PORTE DES BALKANS (2011) – SVETLANA VELMAR-JANKOVIĆ

 

Que l’on me permette au début de ce texte d’évoquer un souvenir personnel : en 1992, je me trouvais à Belgrade le jour où fut décrété l’embargo contre la Serbie. Dans l’impossibilité de rentrer en France, je suis allé me promener au Kalemegdan et, pour la Dieu sait combien de fois, admirer la vue magnifique qu’offre la confluence de la Save et du Danube. Une idée m’a alors traversé l’esprit : un siècle et quelque plus tôt, je me serais trouvé en Turquie, séparé de l’Europe par le Danube…  

Belgrade, la porte des Balkans, certes, mais aussi Belgrade, la porte de l’Europe.  

Svetlana Velmar-Janković définit La Porte des Balkans, comme, à la fois, « un guide rapide à travers le passé de Belgrade » et une « histoire qui raconte l’Histoire de Belgrade » (« istorijska priča o Beogradu »). Et c’est cet angle sous lequel l’auteur approche son sujet qui fait (entre autres) l’intérêt du livre. Svetlana Velmar-Janković ne se pose ni en historienne ni en romancière, mais occupe une place intermédiaire de « guide », de « chroniqueur » qui lui permet de « raconter », sans tomber dans le récit romancé, et de relater les faits historiques en évitant le style fréquemment aride des manuels d’Histoire. Elle s’adresse à son lecteur, le prend à témoin, explique certains événements (quelquefois assez mal connus, telle la guerre douanière avec l’Autriche-Hongrie) dont elle pointe les causes et les conséquences qui s’ensuivirent. Avec beaucoup d’habilité, afin de ne pas lasser, elle ménage des pauses dans son récit, introduit des digressions, relate des anecdotes qui, bien sûr, toujours viennent en contrepoint de l’Histoire et l’illustrent.  

Autre qualité de La Porte des Balkans, cette volonté de présenter la ville telle qu’elle fut à des moments divers, mais marquants de son histoire. Des premiers temps où fut attestée une présence humaine à la jonction de la Save et du Danube, le lecteur est ainsi « promené » dans la Singidunum romaine, la kasaba turque, la varoš austro-hongroise, et, enfin, dans la « ville blanche », capitale serbe... mais sans négliger pour autant de donner à ce même lecteur un aperçu des havres de paix… relative et, hélas, jamais durable, que furent le règne du despote Stefan ou, encore, le temps de la Belgrade baroque (mais hongroise !), de ces périodes de bref répit entre deux guerres, de ces « oasis » (ainsi que les nomme Svetlana Velmar-Janković) au milieu de déserts meurtriers. Au fil de ce développement, l’auteur ne manque toutefois jamais de situer les lieux qu’elle évoque par rapport à la Belgrade actuelle, ce qui aide naturellement à visualiser de façon claire où, à cet instant, s’écrit l’histoire de la ville.  

Détruite et reconstruite trente-sept fois, objet du désir de tous les envahisseurs, Belgrade aura vécu une existence que l’on dira, pour le moins, … mouvementée. Mais son histoire, telle qu’elle nous est narrée, ne se résume pas à la narration des seuls faits de guerre. L’extension progressive de la ville est évoquée en détail, mais alors que la révolution industrielle bat son plein dans les pays de l’Europe de l’Ouest, la Serbie progressivement affranchie du joug turc reste un pays foncièrement rural, voire « arriéré » à l’image de l’Empire ottoman agonisant. Et c’est à ce développement-là aussi, à cette (re)naissance d’un État serbe que s’attache Svetlana Velmar-Janković : urbanisation, ouverture de la première ligne de chemin de fer, développement des banques, essor du commerce intérieur et extérieur. Elle ne laisse pas non plus de côté l’aspect culturel de ce développement et consacre des chapitres à l’architecture, la peinture, la littérature, la musique.  

Pour le lecteur étranger (que je suis) dont la connaissance de l’histoire serbe ne se caractérise pas nécessairement par une extrême et infaillible précision, La Porte des Balkans décrit en détail les différentes phases de l’évolution politique à Belgrade, de l’autonomie arrachée à la Turquie à la naissance d’une démocratie succédant – non sans heurts sanglants – à des régimes autocratiques, autoritaires, policiers.  

Le lecteur étranger apprendra encore que la Serbie, « turbulente » comme les opinions publiques la jugeaient alors généralement en Europe de l’Ouest, était à son corps défendant le jouet des Grandes Puissances dans le règlement de la dite Question d’Orient, un pion que Russie, Autriche-Hongrie, Angleterre et France avançaient ou sacrifiaient sournoisement au gré de leurs intérêts propres.  

Il est un dernier point que le lecteur étranger découvrira et qui ne manquera pas, je pense – et sans volonté délibérée, didactique de l’auteur – de lui remettre en mémoire certaines incompréhensions qui accompagnèrent en Occident la désintégration dans les années 1990 de la Yougoslavie : la présence séculaire de populations serbes hors de la Serbie proprement dite et le refus de celles-ci de toute assimilation contrainte. D’où le sentiment d’appartenance nationale que ressentirent pareillement, au début du XXe siècle, les Serbes de la Double Monarchie, de Bosnie-Herzégovine, du Kosovo (alors, encore turc), de Macédoine (revendiquée par la Bulgarie et la Grèce), et, à la fin de ce même XXe siècle, les Serbes enracinés depuis des siècles dans ces mêmes « pays ». Les premiers voulaient s’évader de « la prison des peuples », les seconds ne pas s’y voir incarcérer. Mais c’est là une autre histoire… Au terme de sept ans de recherche et de quelque… six cents pages, fort sagement, Svetlana Velmar-Janković arrête son guide… « rapide » à la veille de la Première Guerre mondiale, laissant à d’autres le soin de le poursuivre et d’en écrire les chapitres suivants. Personnellement, à mon grand regret...   

Grâce aux qualités d’écriture signalées ci-dessus, La Porte des Balkans, se lit, selon l’expression française, « comme un roman », c’est-à-dire avec facilité et intérêt. Pour terminer, il faut, je crois, remercier l’éditeur qui a sollicité de Svetlana Velmar-Janković l’écriture de ce monumental « pavé » (= kaldrma), dirait-on en français pour désigner un livre de cette épaisseur, de ce « guide » et livre d’Histoire (comme le montre la numérotation des pages propre aux manuels d’Histoire) par ailleurs richement illustré pour le plus grand bénéfice du lecteur. Que dire de la couverture qui figure « Le Vainqueur » ? À mon sens, elle ne doit rien au hasard : où Le Vainqueur regarde-t-il ? Vers l’Europe.   

Belgrade, la porte des Balkans ? Certes. Mais aussi, en ce début du XXIe siècle, la porte de l’Europe.

Alain Cappon

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