Souvenir parfait de la mort* / Savršeno sećanje na smrt, 2008 (Radoslav Petković)

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Radoslav Petković

A lire :

Un extrait de ce roman

 

 

 

 

 

 

 

 

Pas moins de… quatorze ans s’écoulèrent entre la publication de Destin et commentaires (1994) et celle de Souvenir parfait de la mort (2008) ! Une éternité pour le lecteur impatient  de voir Radoslav Petković renouer avec le roman, un laps de temps que l’auteur aura mis à profit pour revenir à d’autres formes d’écriture : la nouvelle, L’Homme qui vivait dans les rêves (1998), ou l’essai dont le prémonitoire Vizanstijki internet / Internet byzantin (2007) qui apparaît a posteriori tel un galop d’essai, une mise en jambes ô combien documentée pour un « retour gagnant » à la fiction.

Comme dans ses romans précédents, Radoslav Petković propose au lecteur un voyage dans le temps mais, cette fois, dans un temps plus éloigné encore : la fracture que furent dans l’histoire de l’humanité l’agonie de l’empire romain d’Orient et la prise de Constantinople par les Turcs en 1453. Sans doute serait-il plus judicieux de dire un voyage « dans les temps » car sont mis en parallèle les calendriers byzantin, occidental et musulman, ce dont témoigne la double, sinon la triple datation de certains chapitres. Simultanément, le lecteur est convié à un voyage dans l’espace du monde d’alors, de la moribonde Œcoumène réduite à une simple polis et ses faubourgs, à Mistra dans le Péloponnèse, de l’Asie mineure jusqu’en Italie de la Renaissance et même en Angleterre.

Le héros de cette odyssée « spatio-temporelle » est le fils d’un officier du dernier (et jamais couronné !) empereur byzantin Constantin. Suspecté de posséder des pouvoirs démoniaques… dont il aurait usé quand bien même dans un but louable : la défense de la Ville, il ne doit de sauver sa tête qu’en acceptant de prendre l’habit monastique sous le nom de Philarion… avec la bénédiction de l’empereur. Unique personnage fictif du roman, il est à la fois acteur et témoin, le lecteur se voyant offrir une double possibilité de lecture : d’une part, l’existence mouvementée d’un héros malgré lui (quoique…) car « tout avait commencé comme un jeu d’enfants par mauvais temps » – de 1420 et du dernier assaut turc victorieusement repoussé, à 1460 et à la disparition de la civilisation byzantine dans son ultime position de repli à Mistra ; et, d’autre part, l’évolution philosophique et spirituelle du moine Philarion élève, disciple appliqué puis critique du philosophe Gémistos dit successivement le Maître, le Philosophe, puis Pléthon quand il se pose en successeur de la pensée de Platon et de Pliton.

Jamais le récit n’est chronologique, linéaire, Radoslav Petković multiplie, non les flash-back, mais les allers et retours, les projections dans le temps et dans l’espace : le roman s’achève presque là où il a commencé, dans un mystérieux mausolée, un temple où est gravée la formule qui donne son nom au roman et que le Maître avait une première fois commenté d’un laconique et non moins énigmatique « Funeste est la pensée que la mort est notre disparition totale. L’éternité ne devrait pas n’être que future. [Elle] devrait être aussi passée. »

Roman historique, Souvenir parfait de la mort amalgame subtilement religion, philosophie, théologie et… magie, mais sans jamais lasser par un didactisme pesant. Le récit lui-même est un puzzle dont les pièces s’agencent peu à peu : les relations de Philarion avec les autres moines, ses higoumènes successifs et… sa maîtresse Zoé, les rivalités politiques où, dans un monde finissant, tous les prétendants aspirent à devenir empereur à la place de l’empereur, les querelles d’ordre dogmatique entre les Églises d’Occident et d’Orient qui masquent difficilement la soif d’hégémonie des « Latins » ou la volonté sourcilleuse des « Grecs » de préserver leurs intérêts, de décliner cette « Union » des Églises et de préférer de loin « le turban à la tiare » : la soumission éventuelle, puis effective au sultan plutôt qu’au pape.

Souvenir parfait de la mort est l’histoire d’un double retour : spatial, de la civilisation byzantine à Mistra, ville proche des ruines de Sparte et berceau de la civilisation hellénique ; philosophique et religieux, Pléthon et ses disciples ne trouvant guère plus de réponses à leurs questionnements dans le christianisme, l’islam ou le judaïsme, ni même dans la magie, privilégient l’esprit à la matière et prônent le retour à la religion des Ancêtres, au paganisme, à la métempsychose platonicienne: en gardant un souvenir parfait de la mort, l’âme, libérée, peut partir « à la recherche du chaînon qui mène à Zeus ».

Pour saisissante, jamais l’érudition de Radoslav Petković n’entrave le fil narratif : selon Vladimir Arsenijević, « tout s’intègre dans un hypertexte [constamment maintenu] en arrière-plan » ; les citations de la Bible, des règles monastiques de saint Basile le Grand, du Traité sur les mystères de Jamblique viennent toujours en contrepoint du récit qu’ils éclairent d’un jour particulier. Par ailleurs, les références à W.B. Yeats et les citations de cet auteur relatent les premiers pas de l’ésotérisme européen ; la révélation que fait Pléthon aux Occidentaux des enseignements de Platon et d’Hermès Trismégiste jette les fondements de l’école néoplatonicienne dont l’influence sera immense sur la Renaissance.

Pour sa complexité, certains critiques ont qualifié Souvenir parfait de la mort de « polar ésotérique ».


*Traduit par Alain Cappon, Gaïa Editions, 2010.

Alain Cappon

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