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L’une des plumes les plus talentueuses de la poésie serbe contemporaine, Novica Tadić, subtile moraliste à la verve ironique et satirique, peintre exact de la bassesse humaine, a introduit dans la littérature serbe contemporaine non seulement une sensibilité nouvelle mais aussi de nouveaux motifs. Sa propension naturelle pour le carnavalesque et le grotesque lui a permis d’effectuer une mise en abîme des rapports sociaux à l’aune du discours totalitaire (régime titiste, chaos postsocialiste) pour pouvoir évoquer le déséquilibre entre discours dominant et réalité sociale. Novica Tadić est né en 1949 au Monténégro, il est décédé en 2011, en Serbie. Membre du comité de rédaction de plusieurs magazines littéraires belgradois de premier plan dont Književna kritika [Critique littéraire], éditeur de poésie contemporaine, découvreur de nouvelles voix poétiques (au seins des éditions Rad), il est l’auteur d’une quinzaine de livres de poésies marqués par l’empreinte du démoniaque, du grotesque et du dérisoire tels que Prisustva [Présences], Ulica [La rue], Potukač [Le vagabond]. Novica Tadić évoque en poésie ce que Miodrag Bulatović exprime dans la prose : l’univers paranoïaque des laissés-pour-compte de la société de son temps – celle de la Yougoslavie non-alignée et socialiste, puis celle de la Serbie et du Monténégro des vingt dernières années, marquée par l’éclatement de l’Etat fédéral et de la transition démocratique. Pour parler plus précisément, sa poésie est une étude volontairement fragmentaire, éclatée du mal présent au cœur du monde urbain. La mégapole tentaculaire comporte toutes sortes de visages et de pans de visages démoniaques qu’évoquent, dans une profonde cohérence entre le dessein premier et la réalisation formelle dernière, l’ensemble de sa poésie en vers et de sa prose poétique. Ses images étranges, singulières, qui ont souvent pour effet de provoquer un sentiment de malaise, expriment l’étendue de l’emprise du Prince de ce monde sur les ressorts secrets des aspirations humaines. A ce propos on pourrait même affirmer que l’opus poétique de Novica Tadić se présente comme une sorte de chronique lyrique du chaos urbain : le poète désigne, nomme, éclair un trait de caractère, un mouvement compulsionnel d’êtres séparés du bestiaire quotidien et admis au panthéon des caractères de Théophraste, de La Bruyère. Tous ses personnages lyriques sont autant d’acteurs du drame social. La conscience des écorchés vifs, des confus, des aliénés, celle des êtres dont la sensibilité est à fleur de peau dans une société en incessante permutation, témoigne de l’étendue et de la variété des sourires de l’ignominie. Puis il y a l’ensemble varié et toujours renouvelé des tartuffes, des prévaricateurs, des amoraux qui agissent sous couvert de la morale et des bonnes intentions. L’expression poétique de Tadić est vive, brève, son vers elliptique et hermétique, le langage colloquial, marqué par l’irrationalisme et le monologue intérieur. Toutefois, ses derniers recueils s’ancrent aussi dans la diction et les métaphores de la poésie sacrale et liturgique (par un choix stylistique semblable à celui de Ivan V. Lalić). Le poète y soumet à la dérision le monde d’un démiurge qui se serait cru dieu et lui oppose l’aspiration jamais assouvie envers l’idéal et la sublimation de soi. Boris Lazić |