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La dernière grande biographie princière serbe, La Vie du despote Stefan Lazarević (1389-1427) est sans doute l’une des créations les plus originales dans la longue succession des hagio-biographies des souverains de Serbie médiévale. Selon Ivan Dujčev, cette œuvre importante, écrite dans les années trente du XVe siècle, représente "la meilleure réalisation littéraire des Slaves méridionaux, au Moyen Age, tant par son contenu que par sa forme”, et “une source historique de toute première importance, non seulement pour l’histoire serbe, mais aussi pour l’étude des événements […] dans la péninsule des Balkans à l’époque correspondante". C’est sous le règne du despote Djuradj Branković et à l’instigation du patriarche Nikon et des magnats de la cour, que Constantin de Kostenec – homme de lettres bulgare qui avait fui en Serbie devant la conquête ottomane – écrivit cette biographie du despote Stefan Lazarević, son œuvre maîtresse. Au premier abord, cette œuvre biographique se rapproche, plus qu’aucune autre dans la littérature médiévale serbe, de la méthode historiographique classique, preuve que la culture hellénique et l’œuvre de Plutarque ont exercé une influence certaine sur son auteur. Par sa narration descriptive, ses références classiques, par sa reconstitution historique assez précise et compétente, La Vie du despote Stefan Lazarević est davantage une chronique du règne de son héros qu’une hagio-biographie traditionnelle. La volonté expresse de placer le despote Stefan dans une perspective de continuité de la sainteté dynastique, ainsi que la volonté à peine moins clairement affichée de servir d’argument pour une canonisation éventuelle de son prince, ont un côté qui peut paraître paradoxal par rapport à son évolution dans l'approche littéraire. Ecrite moins de quarante années après celle du roi Stefan Dečanski, La Vie du despote Stefan se trouve à bien des égards aux antipodes de l’ouvrage de Camblak. Les schémas hagiographiques cèdent la place à un portrait fidèle et singulièrement réaliste par rapport aux images plus au moins hiératiques de rois saints. C’est le portrait d’un prince éclairé, pragmatique, vertueux d’une manière plus chevaleresque que monacale. Ces transformations considérables dans la narration d’une biographie officielle portent l’empreinte de l’esprit du temps et des bouleversements profonds qui se font jour dans la société serbe de la première moitié du XVe siècle, et l’ouvrage de Constantin reflète bien la distance qui sépare la Serbie némanide médiévale de celle restaurée par le despote Stefan après la bataille de Kosovo. Une atmosphère shakespearienne lourde de passion et d’intrigues d’une cour royale du XIVe siècle, que l'on trouve dans l'hagiographie de Camblak, fait place à un environnement urbain et cosmopolite de la cour d’un souverain éclairé de la fin du Moyen Age. C’est un autre siècle qui s’annonce dans l’ouvrage de Constantin, comme si l’esprit d’un nouvel humanisme, qui sera celui de la Renaissance en Occident, s’annonçait dans cette Serbie, devenue terre d’asile pour les élites balkaniques fuyant l’occupation ottomane. La biographie du deuxième et dernier souverain d’une maison princière qui avait relevé avec succès le pari difficile de rétablir la légitimité dynastique évanouie après l’extinction des Nemanjić – en partie écrite dans un esprit de continuité, mais bien plus encore en rupture avec les normes établies – est aussi un condensé d’histoire nationale inséré dans un contexte d’histoire universelle. La Vie du despote Stefan Lazarević apparaît également comme une sorte de synthèse de l’historiographie dynastique puisque son auteur a puisé son inspiration dans un grand nombre d’œuvres appartenant aux divers genres de l’historiographie officielle serbe. Editions : V. Jagić (ed. crit.), « Konstantin Filosof i njegov život Stefana Lazarevića despota srpskog » (Constantin le Philosophe et sa Vie de Stefan Lazarević, despote serbe), Glasnik SUD, 42 (1875), p. 223-328 ; G. Svanne, Konstantin Kostenečkii i ego biografija serbskogo despota Stefana Lazareviča (Constantin de Kostenec et sa biographie du despote serbe Stefan Lazarević), Старобългарска литература, 4 (1978), p. 21-38 ; K. Kuev, G. Petkov, Subrani sučineni na Konstantin Kostenečki (Les œuvres réunies de Constantin de Kostenec), Sofia, 1986, 574 p. ; Анна-Мария Тотоманова (ed.) Константин Костенечки, Съчинения : Сказание за буквите. Житие на Стефан Лазаревич, Slavia orthodoxa, София 1993, 212 p. ♦ Bibliographie. I. Dujčev, “Rapports littéraires entre les Byzantins, les Bulgares et les Serbes aux XIVe et XVe siècles”, in L’école de la Morava et son temps, Belgrade, 1972, p. 97 ; Id., “Les rapports hagiographiques entre Byzance et les Slaves”, in Medievo bizantinoslavo, Rome 1971, vol. 3, p. 267-279 ; Ninoslava Radošević, “Laudes Serbiae. The Life of Despot Stephan Lazarević by Constantine the Philosopher”, Zbornik radova Vizantološkog instituta, 24-25 (1986), p. 445-451 ; B. I. Bojović : L’idéologie monarchique dans les hagiographies dynastiques du Moyen Age serbe, Pontificio instituto orientale (Orientalia christiana analecta, 248), Roma, 1995, p ; 639-661 ; B. I. Bojović, Histoire et eschatologie / Uсторија и есхатологија, De l’histoire et de la littérature du Moyen Age sud-slave / Из историје и књижевности јужнословенског средњег века, Paris-Vrnjačka Banja, 2008, p. 331-334 ; G. Podskalsky, Theologichte Literatur des Mittelalters in Bulgarien und Serbien 865-1459, Munich, 2000, p. 259-263, 343-349 ; Н. Гагова, ”Деспот Стефан Лазаревич, Птолемей Философ и кариерата на придворния философ Константин Костенечки”, Старобългарска литература, 35-36 (2006), p. 97-124 ; Константин Философ, Живот Стефана Лазаревића, деспота српскога, превод и напомене Гордана Jовановиħ, Belgrade, 2007 ; А. А. Турилов, От Кирилла Философа до Константина Костенецкого и Василия Софиянина (История и культура славян IX-XVII веков), Мoscou, 2011, 448 p. ; P. Guran, « Slavonic Historical Writing in South-Estern Europe, 1200-1600 (Hagiography as Historical Thought : the case of Serbia) », in Sarah Foot, C. F. Robinson, The Oxford History of Historical Writing (400-1400), Oxford University Press, 2012, p. 339-341. Boško I. Bojović |