Alain Cappon

La saga des Aracki

A propos du roman
Des Voix dans le vent de Grozdana Olujić

 


Olujic portrqit

Grozdana Olujić (1934-2019)

 

Au 17ème étage d’un hôtel de New-York, dans une rapide alternance d’images, comme s’il était sur le point de céder au sommeil ou de se réveiller, le Dr Danilo Aracki sent qu’il n’est pas seul. (…)
« La chambre d’un autre… La femme d’un autre… pense-t-il. Parfait… Ici, ils ne me trouveront pas. »
– Tu crois cela ?
De la semi-obscurité où se pressent les ombres des Aracki parvient la voix de Beta assourdie, accompagnée par la toux du Dr Luka Aracki…

À elles seules, ces quelques phrases qui ouvrent le roman en constituent un possible résumé : « réfugié » à l’étranger, un homme est poursuivi par les ombres des siens, des membres disparus de sa famille dont il est sans doute – quoique… – le dernier représentant. Cette approche serait toutefois bien réductrice et ne rendrait pas justice à la complexité Des Voix dans le vent qui pourraient s’intituler La Saga des Aracki. Car c’est à suivre l’histoire tourmentée, foisonnante, de trois générations que Grozdana Olujić convie son lecteur, une histoire où les variations, leitmotive et personnages sont légion, une histoire qui témoigne du XXe siècle, de l’avant-Première Guerre mondiale aux événements qui devaient ensanglanter les Balkans yougoslaves au cours des années 1990.

L’« action » du roman se déroule le temps d’une seule nuit, et c’est par le prisme de la conscience, du regard que tente de poser… a posteriori Danilo Aracki sur le passé de sa famille que le lecteur découvre les questionnements qui le torturent et le hantent tels… des spectres. C’est le mystère de la disparition des siens qu’il chercher à percer – de ceux qui ont « fui dans le monde » ; de ceux auxquels il n’a pas été accordé de reposer dans une tombe tel son grand-père, mort dans l’explosion d’un tank, sa sœur, noyée dans un lac, son frère, dont toute trace se perd… peut-être… à Goli otok, le goulag titiste, ou encore son neveu qu’il croit reconnaître en un petit Amérindien d’une tribu inéluctablement promise à la disparition. Des Aracki, il ne reste rien hormis les très vagues souvenirs que Danilo a su/pu préserver de sa très petite enfance, hormis les entrées de son journal intime et les faits bruts consignés dans l’almanach de Karanovo, la ville où sa famille avait fait souche. Danilo rejoint ainsi Isaković, l’un des personnages des Migrations de Miloš Crnjanski, ou les héros des romans contemporains qui traitent de l’émigration, de l’exil, et de leurs corolaires : l’oblitération du souvenir par le temps et la perte inéluctable de l’identité.

Alors que la peur de l’oubli le hantait déjà petit enfant dans un foyer d’orphelins, Danilo a été contraint, à son tour, de prendre la fuite et le chemin de l’exil. Et si ses « chers disparus » le harcèlent, c’est qu’ils refusent de le voir perdre sans combattre la bataille qu’il se doit de livrer pour la préservation de leur mémoire, de la mémoire  tout court, et contre la disparition dans le temps et l’espace. Qui oublie le passé n’a pas de futur. Ne pas permettre au passé de s’estomper à tout jamais, c’est aussi affirmer, renforcer son identité dans le présent, interdire l’effacement de la culture, de la langue, des valeurs auxquelles on croit et que met à mal un monde désormais globalisé. Que Danilo pense reconnaître son neveu en la personne du petit Indien établit un parallèle entre la tribu agonisante et, plus généralement, celles, balkaniques, dans les incertitudes et tempêtes de la fin du XXe siècle. Le lieu d’arrivée de Danilo au terme de ses errances est ici encore symptomatique : New-York, où personne ne connaît personne ; New-York, où chacun est pour son voisin un anonyme, quelqu’un, par conséquent, sans identité ; New-York, où rien ne s’inscrit dans la durée, où provisoire paraît être le maître-mot.

Complexes quant à leur sujet, Des Voix dans la nuit le sont aussi du point de vue du style. Le réalisme des scènes relatant les diverses disparitions le dispute au fantastique et à l’onirisme des « visions rétrospectives » de Danilo, à la reconstruction postmoderne du passé à laquelle s’attache le narrateur, porte-voix de l’auteur. Le récit ignore toute linéarité et se présente comme une sorte de mosaïque dans laquelle les tesselles s’agencent peu à peu ; il progresse par à-coups, au gré des répétitions et variations. Le temps se plie lui aussi aux modulations, se scinde en temps réel (la nuit de Danilo passée à l’hôtel), en temps historique (celui de la saga), et le temps de la guerre (Les guerres viennent et viennent encore, sans qu’on en voie la fin).

Des Voix dans le vent sont un roman que Grozdana Olujić aura conçu des années durant, le projet ne venant à complète maturité qu’en 2009. Il est sans doute possible – du moins, en partie – de le considérer comme le prolongement du roman Divlje seme (Semence sauvage), qui traitait le thème des orphelins de guerre, et du recueil La Violette africaine (Afrička Ljubičica, paru en 1987 et en 1992, pour la traduction française) où certaines nouvelles qui constituaient un tout en soi à l’époque dans leur relation d’un événement singulier du quotidien de la guerre, ont fait l’objet d’une réécriture, d’une refonte, et s’intègrent sans difficulté aucune dans le fil du roman.

Des Voix dans le vent se sont vues décerner en 2009 le prix NIN, distinction qui récompense le meilleur roman de l’année.

 

Date de publication : septembre 2013

A lire :

Un extrait de ce livre

 

Date de publication : juillet 2014

 

> DOSSIER SPÉCIAL : la Grande Guerre
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Le poème titré "Salut à la Serbie", écrit en janvier 1916, fut lu par son auteur Jean Richepin (1849-1926) lors de la manifestation pro-serbe des alliés, organisée le 27 janvier 1916 (jour de la Fête nationale serbe de Saint-Sava), dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne. A cette manifestation assistèrent, â côté de 3000 personnes, Raymond Poincaré et des ambassadeurs et/ou représentants des pays alliés.

Grace à l’amabilité de Mme Sigolène Franchet d’Espèrey-Vujić, propriétaire de l’original manuscrit de ce poème faisant partie de sa collection personnelle, Serbica est en mesure de présenter à ses lecteurs également la photographie de la première page du manuscrit du "Salut à la Serbie".

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