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DUŠAN VASILJEV
L’HOMME CHANTE APRES LA GUERRE
J’ai pataugé dans le sang jusqu’aux genoux et je n’ai plus de rêves.
Ma sœur se prostitue
et les blancs cheveux de ma mère sont tondus.
Aucun butin ne m’intéresse
dans ces eaux troubles de la luxure et de la fange :
Oh, j’aspire à l’air ! au lait !
Et à la blanche rosée du matin.
J’ai rit dans le sang jusqu’aux genoux
sans demander : pourquoi ?
J’appelais maudit ennemi mon frère
et poussais des cris de joie en m’élancant dans l’obscurité,
lorsque dieu, l’homme et la tranchée au diable s’en allaient !
Aujourd’hui, pourtant, placide je regarde l’épicier lépreux
enlacer ma femme tant désirée,
me dérober le toit au-dessus de la tête –
et je n’ai pas la volonté – ou n’ai pas la force – de me vanger.
Hier encore, soumis, je baissait la tête,
furieusement épris de la honte.
Hier encore je ne comprenais pas mon destin véritable –
mais aujourd’hui je le connais !
Oh, je suis un homme ! Un homme !
Je ne regrette pas d’avoir pataugé dans le sang
jusqu’aux genoux ni d’avoir survécu aux années rouges de la boucherie
pour cette sainte Connaissance
que m’apporte la ruine.
Et je ne revendique aucune part du butin :
oh, donnez-moi ne serait-ce qu’une poignée d’air pur
et un peu de rosée blanche matinale –
je vous fais grâce du reste !
Traduit du serbe par Boris Lazić ДУШАН ВАСИЉЕВ ЧОВЕК ПЕВА ПОСЛЕ РАТА Није ми жао што сам газио у крви до колена
In : Српска књижевност у сто књига, Песници II, Матица српска, Српска књижевна задруга, Нови Сад – Београд, 1965.
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