Pomes_serbes

POÈMES SERBES

POSTFACE

par

Milovan Danojlic

Jean-Marc Bordier (1940-2001) enseignait le russe à l’Université de Poitiers. C’est là que, lecteur de serbo-croate, je l'ai rencontré au début des années soixante-dix. Responsable de la Section slave à la Faculté des lettres et des langues, grand connaisseur de la littérature russe, il s'est illustré par ses traductions de Pouchkine, Lermontov, Blok, Anna Akhmatova, Essenine, Mandelstam et Brodski. Il acquit une connaissance du serbe qui l’amena à s’intéresser à notre littérature. A Belgrade, où je le fis inviter à deux rencontres de slavisants et de traducteurs, il se lia d'amitié avec de nombreux écrivains et artistes.

Dès 1976, nous avions songé à l'idée de préparer une Anthologie de la poésie serbe des origines à nos jours. Je lui proposais des traductions mot-à-mot, ce que les Russes appellent podstrotchniki et lui, poète à ses heures, essayait de les arranger en vers, la plupart rimés. Malheureusement, « ses heures » libres étaient bien peu nombreuses. En plus de ses responsabilités à la Section slave, il était adjoint au maire de Poitiers chargé des affaires culturelles de 1977 à 1999, conseiller municipal délégué au Patrimoine de la ville, et militant engagé à la Fédération nationale des élus socialistes et républicains... C'est à peine si une fois par an nous réussissions à achever un ou deux poèmes, à la hâte, parfois au buffet de la gare d'Austerlitz, à l'occasion de ses courtes visites à Paris. En 1993, je repris mon travail à la Section slave et je m'installais à Poitiers, mais le temps libre lui faisait toujours défaut. Nous étions d'ailleurs persuadés que la vie était devant nous, et que notre projet, qui n'incluait que les poètes morts, n'avait rien d’urgent.

Sur ce point, nous nous sommes trompés. Au printemps 2000 Jean-Marc est tombé gravement malade. Soudain, nous fûmes confrontés à une accélération catastrophique du temps. Je n'osais plus mentionner notre projet inachevé, notre oeuvre commune « laisssée en haillons» comme l'a dit Branko Radicevic dans son poème d'adieu. De la centaine de traductions brutes, que je lui soumis au cours des années, certaines grâce à l’aide de Vera Stojic, Vesna Bernard, Mira Vukovic, Nada Petrovic, Sanja Grahek et Kosta Chrisstitch, seul un tiers prit forme ; les autres attendaient leur heure, que la mort de Jean-Marc empêcha de venir.

Ce choix de poèmes, que mon ami poitevin me confia à la veille de son départ est le fruit de tentatives reprises et répétées pendant un quart de siècle, et restées, en fin de compte, en suspens. Ce travail mérite, pourtant, d'être préservé de l'oubli. La poésie serbe exige de tout traducteur une parfaite maîtrise de l'art poétique, un don extraordinaire de la versification, que Jean-Marc possédait en abondance. Outre son amour de la poésie, il cultivait une amitié respectueuse pour un peuple isolé et banni par tant de gens qui préféraient la facilité de condamner à l'effort de comprendre. Et la voie royale de la compréhension d'un peuple est celle qui ouvre sa poésie. Les deux tiers des textes prévus ne pouvant pas être inclus dans le recueil, on y trouve, tout de même, quelques grands moments de notre patrimoine poétique. Les lecteurs désireux de connaître la Serbie et sa culture y trouveront plus et mieux que ce que donne à lire depuis des années une presse ignorante et hargneuse.

Epris de vie, les auteurs de ce recueil de poèmes ont oublié la mort, qui guette tous nos gestes et chacun de nos pas. Grave omission! Quand on l'oublie, la mort se venge au dépourvu ; quand on y pense sans cesse, elle s'attarde un peu, mais arrive toujours à temps. Et le poème est le pari d'une éternité à nous, par laquelle la vie se perpétue.

In : Poèmes serbes / Traduction en vers de Jean-Marc Bordier.  – Belgrade : ПЛАТΩ, 2002. – P. 128-129.

 

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