Jovan Dučić est né le 5 février 1874 à Trebinje, dans une ancienne et respectable famille d’Herzégovine, dont les racines remontent au Moyen Age. Le père de Dučić, Andrija, était commerçant. Blessé lors d’une insurrection serbe contre les Turcs, il mourut en 1878 à Dubrovnik. La mère de Jovan s’appelait Jovanka Sušić. Devenue veuve encore jeune, elle éleva ses enfants dans des conditions très difficiles.
Jovan Dučić étudia d’abord à l’école primaire de Trebinje ; puis sa famille déménagea à Mostar, où Jovan termina une école commerciale. Dès sa jeunesse, il écrivit des poèmes. Il obtint son diplôme d’instituteur en 1893. Cette même année, il commença sa carrière d’enseignant à Bijeljina (nord-est de la République serbe de Bosnie). Puis il devint instituteur au sein de l’école du monastère orthodoxe serbe de Žitomislić, non loin de Mostar (Herzégovine).
Au début de l’été 1899, Dučić parvint enfin à réaliser le vœu très ancien d’étudier à l’étranger, en l’occurrence à Genève. Au cours de ce séjour, le réputé périodique serbe Zora [L’Aube*] publia en 1901 le premier livre de Dučić, intitulé Poèmes [Песме*], qui contenait 100 poèmes. En janvier 1907, Dučić fut engagé au ministère des Affaires étrangères. Avant la Première Guerre mondiale, il fut affecté à diverses légations serbes (Constantinople, Sofia, Rome). En 1914, il fut nommé secrétaire d’ambassade à Athènes. Pendant la guerre, il se consacra intensivement à la rédaction de poèmes patriotiques publiés notamment dans la presse officielle du gouvernement serbe à Corfou (où l’Etat serbe s’était replié au début de 1916). Avant la fin du conflit, Dučić fut nommé à Madrid, comme premier secrétaire à la légation serbe. Eloigné des contrées serbes, Dučić connaissait dans son pays une gloire littéraire grandissante : en février 1924, il est élu membre correspondant de l’Académie royale serbe. En octobre 1924, Dučić est envoyé à Genève pour occuper le poste éminent de délégué permanent à la Société des Nations ; outre ses obligations diplomatiques, il poursuit son activité littéraire et fait paraitre diverses œuvres dans des organes de presse comme Politika ou Srpski Književni Glasnik [Le Messager littéraire serbe].
Apres Genève, il devient chargé d’affaires au Caire, où il réside pendant deux ans (1926-1927). Lors d’un séjour prolongé à Belgrade (1927-1930), Dučić déploie une grande activité littéraire : il écrit de nombreux essais, poèmes et articles, tout en tenant des conférences. En 1929, paraissent les trois premiers volumes de ses Œuvres complètes [intitulés : Песме сунца [Poèmes solaires]*, Песме љубави и смрти [Poèmes de l’amour et de la mort]* et Царски сонети [Sonnets impériaux]*]. L’année suivante, deux autres livres sont publiés : Légendes bleues [Плаве легенде*] et Villes et chimères [Градови и химере*]. En février 1931, Jovan Dučić est élu membre de l’Académie royale serbe. Un an plus tard, il devient ministre plénipotentiaire de Yougoslavie à Budapest, puis occupe la même fonction à Rome, où il réside d’octobre 1933 à octobre 1937. Fin 1937, il entreprend une nouvelle mission diplomatique à Bucarest, d’abord comme ministre plénipotentiaire puis comme ambassadeur (à partir de février 1939).
En mai 1940, Jovan Dučić est nommé ministre plénipotentiaire à Madrid, où il se trouve lors du début de la guerre en Yougoslavie (6 avril 1941) et de la capitulation rapide de l’armée yougoslave devant les forces de l’Axe. Le 18 juin 1941, il déménage à Lisbonne en compagnie de la représentation diplomatique yougoslave à Madrid. Il se rend alors aux Etats-Unis, à l’invitation d’un membre de sa famille, Mihajlo Dučić, dans la ville de Gary, au bord du lac Michigan, où Jovan Dučić allait passer le reste de son existence. Au cours de ce séjour, il a des problèmes de santé ; il est atteint par les terribles nouvelles au sujet des souffrances inouïes endurées par la population serbe au sein de l’Etat indépendant de Croatie (allié des nazis), qui s’était approprié par la force la région natale de Dučić.
Jovan Dučić meurt le jour de l’Annonciation (le 7 avril 1943), à Gary. Le 10 avril, après la Sainte Liturgie et un dernier service funèbre, son cercueil est transporté au cimetière de Calvary, a l’est de Gary. Sa dépouille y demeura jusqu’en septembre 1946, puis fut transportée à Libertyville où elle fut inhumée devant l’église du monastère orthodoxe serbe de saint Sava.
Le souhait très fort de Jovan Dučić était d’être enterré dans sa ville natale de Trebinje.
En dépit de tous les efforts des autorités communistes yougoslaves pour amoindrir la réputation littéraire de Dučić et des obstacles mis à la publication de ses œuvres, il s’avéra impossible de l’éloigner du patrimoine culturel serbe… L’ensemble de son legs culturel et de sa bibliothèque finit par arriver à Trebinje à la fin de l’année 1960. Un inventaire en date du 1er mai 1961 indique que sa bibliothèque comportait 5 427 volumes et fait état d’une abondante correspondance, de manuscrits et d’objets personnels. En l’absence de locaux appropriés, les livres de Dučić restèrent inaccessibles aux lecteurs durant de longues années.
On continua à soulever des obstacles devant les projets envisagés par ses admirateurs enthousiastes en vue d’exaucer le vœu exprimé par le poète. Les premières « soirées poétiques de Dučić » furent organisées du 9 au 11 octobre 1968 dans la salle des fêtes de la mairie de Trebinje. Ces « soirées » reçurent un bon accueil dans le public, à la satisfaction des admirateurs du poète mais au mécontentement de ses adversaires. Afin de rayer le nom de Dučić des manifestations littéraires de Trebinje, les « soirées poétiques de Dučić » furent rebaptisées en mars 1970 « soirées poétiques de Trebinje »…
Les autorités yougoslaves continuèrent à temporiser et à soulever des difficultés administratives pour empêcher la réalisation du souhait de Dučić d’être inhumé dans son Trebinje natal… Ce n’est qu’en 1991 que la nouvelle municipalité décida la construction d’un mausolée à Crkvina (sur le site admirable d’une colline surplombant Trebinje) et voulut procéder au transfert des restes du poète des Etats-Unis vers sa ville natale. Mais cette belle idée fut brisée par le début de la guerre en avril 1992 en Bosnie-Herzégovine…
Un moment décisif dans la préparation du transfert de sa dépouille survint début septembre 1999, quand une délégation conduite par Mirko Šarović, vice-président de la République serbe de Bosnie, se rendit à Cleveland (USA) pour assister à une réunion du Congrès de l’unité serbe (Organisation des Serbes vivant aux Etats-Unis). C’est à cette occasion que Branko Tupanjac, homme d’affaires de Chicago originaire de Bileća (Herzégovine), déclara qu’il était prêt à devenir le bienfaiteur de la nouvelle église, déjà connue comme « la Gračanica d’Herzégovine » (car construite sur le modèle de la Gračanica du Kosovo), dont les fondations venaient d’être bénies. Les principaux travaux de construction commencèrent en mars 2000.
« la Gračanica d’Herzégovine »
La dépouille de Jovan Dučić arriva le 18 octobre 2000 à l’aéroport de Belgrade. Tôt dans la matinée du 20 octobre, à la cathédrale de Belgrade, fut célébré le service à la mémoire du célèbre poète serbe. Dans son homélie, le patriarche Paul dit : « Nous croyons que l’âme du poète se réjouit aujourd’hui, car le vœu exprimé dans son testament a été finalement exaucé ».
Apres Belgrade, la dépouille de Dučić fut transportée à Podgorica, puis a Nikšić dans la cathédrale saint Basile d’Ostrog, où le patriarche Paul et le métropolite Amfilohije célébrèrent la Sainte Liturgie ; enfin le cortège se mit en route vers Trebinje. La journée du 22 octobre débuta par la consécration solennelle de l’église de l’Annonciation sur le site de Crkvina, en présence de Vojislav Koštunica, président de la république fédérale de Yougoslavie. A l’issue du service funèbre, la dépouille de Jovan Dučić fut inhumée dans la crypte de la Gračanica d’Herzégovine.
* Les titres marqués par l’astérisque [*] ont été ajoutés par les rédacteurs de Serbica
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