Desnica, Vladan (1905-1967)

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Bibliographie

Études et articles

 


  

  

 

Serbe de Croatie dont l’œuvre porte les empreintes de deux cultures nationales, proches mais distinctes, Vladan Desnica appartient aussi bien à la littérature serbe qu’à la littérature croate. Né dans une famille orthodoxe du littoral adriatique et descendant du célèbre uskok Janković Stojan – commandant suprême des troupes vénitiennes de Morlach – dont les exploits sont devenus légendaires grâce à la poésie épique, il bénéficie, à la fois, de l’héritage culturel serbe de Dalmatie et de différentes traditions méditerranéennes, latines et catholiques.

Juriste et avocat de formation, Vladan Desnica commence sa carrière professionnelle dans l’administration judiciaire à Split où il travaillera durant les années 1930. Dans cette même ville il fondera en 1934 Magazin Sjeverne Dalmacije [Le Magazine de la Dalmatie du Nord], revue dans laquelle il publiera ses premiers travaux littéraires, essais et nouvelles. Toutefois, ces livres ne paraîtront qu’après la Deuxième Guerre mondiale, lorsqu’il prendra la décision de quitter son poste de responsable au ministère des Finances à Zagreb, poste qu'il aura occupé de 1945 à 1949, pour se consacrer pleinement à l’écriture.

Prosateur, poète, essayiste, scénariste et traducteur, Vladan Desnica a publié, entre autres, quatre recueils de nouvelles (Les décombres au soleil [Olupine na suncu, 1952] ; Le Printemps à Badrovac [Proljeće u Badrovcu, 1955] ; Là, tout près de nous [Tu, odmah pored nas, 1956], Le moine à la barbe verte [Fratar sa zelenom bradom, 1959]) et deux romans (Les Vacances d’hiver [Zimsko ljetovanje, 1950] et Les Printemps d’Ivan Galeb [Proljeća Ivana Galeba, 1957]). Ses premiers livres révèlent un écrivain déjà mûr qui a su d'emblée trouver son propre chemin, loin des stéréotypes prescrits par l’esthétique du « réalisme socialiste », ce qui apparaît en particulier visible dans son roman au titre oxymore - Zimsko ljetovanje. Même s’il se réfère à la période de guerre – il dépeint la vie d’un groupe des réfugiés qui ont fui le bombardement de Zadar – ce livre est à mille lieux des clichés véhiculés par les romans de guerre yougoslaves, le genre dominant de l’époque. Conçu comme une galerie des portraits à travers laquelle se reflètent le conflit des mentalités et des modes de vie citadines et campagnardes, ce roman érudit ne fait aucune concession à l’idéologie communiste et à son esthétique dogmatique. 

Fortement lié à sa Dalmatie natale où il aura passé la majeure partie de sa vie, Desnica se présente, dans un premier temps, comme héritier prometteur de Simo Matavulj, autre célèbre écrivain serbe de Croatie : il s’attache à explorer les vicissitudes de la vie quotidienne des petites villes du littoral adriatique tout en tentant de réconcilier l’héritage du réalisme et l’expression moderne. Plus tard, l’écrivain élargira son champ thématique et s’ouvrira davantage aux innovations stylistiques et formelles. Ses nouvelles reposent toujours davantage sur une observation lucide du monde contemporain urbain et sur une fine analyse psychologique du comportement de l’homme moderne, analyse souvent teintée d’un humour discret et d’une ironie raffinée. Par ailleurs, certaines sont construites sur des procédés insolites, basés sur des hypothèses plutôt originales et sur des jeux imprévisibles de l’imagination. À ce groupe appartient par exemple « L’histoire du moine à la barbe verte » qui met en lumière, d’une part, la fragilité de l’existence humaine souvent gouvernée par le pur hasard, et d’autre part la relativité certaine de ce que l’on appelle communément « la réalité ».

C’est dans Les Printemps d’Ivan Galeb que l’art de Desnica touche à son apogée. Ce roman, qui rappelle à la fois Proust et Thomas Mann, se distingue d’abord par sa forme authentique et résolument moderne. L’idéal avoué du narrateur est d’ailleurs très provocateur : « un livre sans contenu » ni intrigue ! Conçu comme une mosaïque de fragments apte à  assimiler des genres très divers, ce livre est, en fait, « l’œuvre ouverte » par excellence où l’auteur aurait pu ajouter de nouveaux chapitres ad infinitum. L’unité du roman est assurée par le personnage-narrateur, Ivan Galeb qui, musicien hypersensible et fort cultivé se trouve au seuil de la vieillesse alité à l’hôpital. Dans une suite de fragments où s’entremêlent rêves, souvenirs d’enfance, récits paraboliques, anecdotes et micro-essais Galeb développe une réflexion, à la fois émouvante et lucide, sur la vie et la mort, la fuite du temps et le néant, la religion, l’art et le sort de l’artiste… Écrit dans un style raffiné, ce livre inclassable est considéré comme l’un des romans majeurs des littératures serbe et croate du XXe siècle.

Parmi d’autres œuvres et écrits de Desnica, il faut mentionner le scénario pour le film Koncert [Concert, 1954], le recueil poétique Slijepac na žalu [L’aveugle sur le rivage, 1954], la pièce dramatique Ljestve Jakovljeve [L’échelle de Jacob, 1961] ainsi que ses traductions de l’italien (B. Croce, G. Cavalcanti, G. Leopardi…), du français (A. Gide, M. Aymé, J. Paulhan) et du russe (A. S. Pouchkine, L. N. Tolstoï).

Oubliée jusqu’à présent par les éditeurs français et très peu traduite (hormis la nouvelle « L’histoire du moine à la barbe verte », le lecteur français ne peut lire que de courts extraits des Printemps d’Ivan Galeb et des Vacances d’hiver), l’œuvre de Vladan Desnica reste à découvrir en France.

Articles en serbe : Svetlana Velmar-Janković, « Proza Vladana Desnice » [La prose de V. Desnica], Književnost, n° 11, 1956, p. 442–449 ; Stanko. Korać, Svijet, ljudi i realizam Vladana Desnice [Le monde, les hommes, et le réalisme de V. Desnica], SKZ, Belgrade, 1972 ; Radivoje Mikić, Proljeća Ivana Galeba V. Desnice [Les Printemps d’Ivan Galeb de Vladan Desnica], Zavod za udžbenike i nastavna sredstva, Belgrade, 1985 ; Jovan Radulović et Dušan Ivanić (dir.), Književno delo Vladana Desnice [L'oeuvre littéraire de Vladan Desnica], Biblioteka grada Beograda, Belgrade, 2007, p. 294 ; Drago Roksandić, Iluzije slobode : ogledi o Vladanu Desnici [Les illusions de la liberté : essais sur V. Desnica], Politička kultura, Zagreb, 2018.  p. 251.


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