Histoires en disparition* / Priče u nestajanju, 1982 (S. Basara)

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Svetislav Basara

 

Études et articles

 

 

Lorsqu’il a paru en ex-Yougoslavie, en 1982, deux ans avant le fameux Dictionnaire khazar de Milorad Pavić, le recueil de nouvelles Histoires en disparition de Svetislav Basara a aussitôt partagé le milieu artistique belgradois. Accueilli avec enthousiasme par les amateurs d’originalité, il a été, en revanche, reçu comme une provocation par la critique traditionaliste et les adeptes de la « haute » littérature.

Talentueux, provocateur et rebelle, Basara s’est, en effet, dès son premier livre, attaqué à toutes les idées reçues et à toutes les conventions littéraires : à tout ce qu’il considérait comme dépassé, galvaudé, stéréotypé, prescrit…  Sans hésiter à afficher son nihilisme sans bornes et jouant habilement sur les provocations de toute sorte, le jeune écrivain a proposé, dans Histoires en disparition, une autre poétique du récit plus adaptée à notre époque qui, selon lui, annonce déjà la mort de la littérature. Il s’agit d’une poétique négative qui échappe à toute logique narrative et qui a pour principe de déconstruire tous les modèles de la « haute littérature ».

Cette poétique négative n’est pourtant pas un simple jeu parodique. Tout en privilégiant les procédés propres à la parodie, à la caricature et au grotesque, Basara va plus loin. Ces récits mettent en cause à la fois notre perception du monde dit « réel » et le sens de sa mise en fiction. D’après lui, la réalité n’est en fait qu’un spectre qui s’avère comme une simple projection de celui qui tente de l’observer. « Tout ce que je vois est la projection parfaite de ce que j’ai imaginé », dit le héros-narrateur avant de conclure : « Il me suffit de fermer les yeux pour que la projection se fonde dans le néant environnant ». De même, si le monde extérieur n’est qu’un mirage, un artifice, sa mise en forme artistique ne peut également être rien d’autre qu’une facétie. C’est pourquoi d’ailleurs Basara s’efforce de détruire l’illusion référentielle dans ses récits, illusion pourtant nécessaire au fonctionnement d’une œuvre de fiction.

Adepte d’une poétique négative, la seule capable d’exprimer l’univers incohérent, loufoque et absurde dans lequel évoluent ses personnages, le jeune écrivain s’est donc mis d’emblée dans une situation paradoxale. Comment et pourquoi écrire dans un monde-spectre qui n’a plus de sens, dans un monde devenu lui-même un non-sens ? « A quoi bon écrire ? »  répète comme un refrain désespéré le narrateur des Histoires en disparition. Sans pouvoir donner une réponse positive à cette question essentielle et tout en étant conscient de l’ambiguïté qu’engendre sa décision d’écrire malgré tout, Basara pousse sa logique paradoxale à l’extrême, jusqu’à l’absurde. « J’écris tout bonnement pour m’oublier, moi », déclare son héros-narrateur. Selon lui, l’écriture n’a pas le sens qu’on lui prête. Elle n’a d’ailleurs pas de sens du tout car ce qui est écrit, est aussitôt voué à disparaître.

Avec sa poétique négative –  qui caractérise également ses livres postérieures – Basara a introduit le virus du doute dans la littérature contemporaine serbe. Ses Histoires en disparition ont montré la nécessité de reconsidérer la logique et le sens de la littérature à notre époque, une époque orpheline, consciente que « tout est dit depuis longtemps ».


*Traduit du serbo-croate par Alain Cappon, Gaïa Editions, 2001.

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