Basara, Svetislav (1953)

Basara S 



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Etudes et articles

Notre choix :

Histoires en disparition

 

 

Talent hors pair, esprit frondeur et provocateur, Svetislav Basara – nouvelliste, romancier, essayiste et auteur des pièces de théâtre – est la figure la plus controversée de la littérature serbe contemporaine. Apprécié par les uns, contesté par les autres, cet écrivain s’est forgé l’image d’un original qui prend un plaisir malin à malmener les règles prescrites, à bousculer son lecteur et à narguer les gardiens du Temple – les défenseurs de la « grande » littérature. Une attitude postmoderne – disent ses sympathisants. Un total manque de respect à l’égard du métier et de la mission de l’écrivain – rétorquent ses contradicteurs. Quoi qu’il en soit, une chose est certaine : quitte à choquer ou à provoquer le scandale, Basara n’a cessé, d’un livre à l’autre, de s’attaquer à l’ordre établi des choses, aux élites politiques nationales, aux vérités dites sacrées et aux autorités intellectuelles incontestées, sans jamais se prendre trop au sérieux.

Dès ses premiers ouvrages – Priče u nestajanju / Histoires en disparition (1982), Peking by night (1985), Kinesko pismo / L’Alphabet chinois (1985) et Napuklo ogledalo / Miroir fêlé (1986) – le jeune écrivain, disciple balkanique de Beckett et de Ionesco, habité, de surcroît, par l’esprit ubuesque d’un Alfred Jarry, déclare la guerre à toutes les conventions littéraires. Cultivant le goût de la provocation, jouant sur les paradoxes et poussant l’ironie à son paroxysme, Basara nous introduit dans un univers illogique, absurde, grotesque, afin de mettre en cause non seulement notre perception de la littérature mais aussi notre vision de la réalité. Selon son narrateur, le monde réel n’est qu’un « spectre vide fait de mots creux », une illusion ou un leurre dont la mise en fiction se révèle fausse puisque construite sur un mensonge. De même, toujours selon ce narrateur, l’acte d’écrire n’a pas le sens qu’on lui prête. Ce n’est pas un acte de création mais un processus de désagrégation ou de disparition car « l’œuvre littéraire décède à l’instant où l’écrivain achève son ultime phrase » !

Dans les livres suivants – Fama o biciklistima / Rumeur sur les cyclistes (1987) que la critique considère aujourd’hui comme son œuvre majeure, Na Gralovom tragu / Sur la piste du Graal (1988) et, enfin, Fenomeni / Phénomènes (1989) – Basara radicalise sa position d’avocat du diable et change quelque peu sa stratégie narrative. Cette fois, il s’attaque à la vision du monde reposant sur les principes cartésiens : à travers un jeu où l’hyperbole frôle le grotesque, il tente de démontrer que le monde qui nous entoure n’est qu’un simulacre et que l’Histoire, telle que nous la connaissons, n’est en fait qu’une imposture, le produit d’un complot ourdi par des faussaires et autres mystificateurs. Parmi lesquels, entre autres, Colomb « explorateur d’un continent fictif », Marx « visionnaire d’une société utopique », et Freud « fondateur d’une fausse religion » ! Faut-il préciser que l’écrivain lui-même, poussé par un élan rabelaisien, prend un énorme plaisir à jouer avec ses idées saugrenues ? Suggérant que la littérature, elle aussi, est une mystification où toutes les libertés sont d’avance permises, il entame avec le lecteur un jeu étourdissant, fondé sur les procédés de mystification à la Borges, en mélangeant sans cesse le vrai et le faux : les documents authentiques et les apocryphes, les personnages réels et les personnages fictifs, inventés de toutes pièces.

Durant les années 90, Basara a publié encore une demi-douzaine de romans, preuve d’une exceptionnelle capacité d’écriture. Parmi eux, citons en particulier De bello civili, version Vitamine C (1993) et Ukleta zemlja / Le pays maudit (1995) qui s’attachent à dénoncer une réalité sournoise et cauchemardesque, celle de la Serbie des « années noires » de la dernière décennie du XXe siècle. Le monde de ces romans, peuplé par des personnages ubuesques, est présenté sous forme d’une farce tragi-comique où le grotesque côtoie l’absurde, une farce qui suscite chez le lecteur un rire sardonique.

Farouche opposant au régime de Slobodan Milošević, Basara a été nommé, après le changement démocratique à Belgrade, ambassadeur de Serbie et du Monténégro à Chypre (2001-2005). Cette mission, au regard de la violence de ses interventions publiques, du langage cru, à la limite de la vulgarité, de ses diatribes publiées dans la presse – paraissait plus une récompense politique qu’un engagement en conformité avec son esprit frondeur, peu diplomate et provocateur. Quoi qu’il en soit, Basara a profité de ce long et confortable séjour chypriote pour concevoir et rédiger un roman borgésien, avec évidemment « une préface » d’Adolfo Bioy Casares, sur un supposé et inconnu séjour de Friedrich Nietzsche à … Chypre ! Intitulé Srce zemlje / Le cœur de la terre (2004), ce livre mystificateur prétend à jeter une nouvelle lumière sur la personnalité controversé du grand philosophe allemand à travers une histoire saugrenue – un complot ourdi contre Nietzsche par Richard Wagner, Lou Salomé et Sigmund Freud !

Après son retour au pays, en 2005, Basara intensifie ses activités littéraires en publiant toute une série de romans. La plupart d’entre eux – Početak bune protiv dahija / Le début de la rébellion contre les dahije (2010) dont le titre se réfère à un poème épique serbe, Mein Kampf (2011) qui reprend l’intitulé du tristement célèbre ouvrage de Hitler, Dugovečnost / Longévité (2012) et Gnusoba / Crapule (2013) – peuvent être qualifiés de pamphlets satiriques dans lesquels l’auteur s’attaque, parfois avec une délectation perverse, à tous les travers, existants ou inventés, de l’Histoire et de la mentalité serbes. La passion exacerbée qui pousse l’écrivain à régler ses comptes avec les élites politiques et les autorités intellectuelles nationales, ainsi que son goût immodéré pour la provocation et sa recherche permanente à surprendre voire à choquer le lecteur, sont bien plus perceptibles, dans ces livres, que le souci du style ou encore la recherche des moyens esthétiques permettant d’innover ses procédés narratifs devenus galvaudés.

Toutefois, parmi la dizaine de livres que Basara a publiés après l’an 2000, un roman mérite, selon la critique, une attention particulière : il s’agit de Uspon i pad Parkinsove bolesti / Grandeur et décadence de la maladie de Parkinson (2006) récompensé par le prestigieux prix NIN. En s’appuyant sur les stratégies narratives déjà utilisées – le manuscrit retrouvé, le mélange de vrais et de faux documents, le croisement des destins de personnages réels, historiques, et fictionnels, le recours au grotesque et à l’humour noir – le romancier crée une métafiction historiographique originale qui, selon lui, devrait être lue comme une allégorie : dans cette métafiction la maladie de Parkinson se reflèterait comme « une allégorie de toutes les mystifications et de toutes les supercheries de ce monde » !

Plusieurs livres d’essais réunis dans le recueil Drvo istorije i drugi eseji / L’arbre de l’histoire et autres essais (2008) ainsi que trois pièces dramatiques – Bumerang / Boomerang (2001), Oksimoron / Oxymore (2001) et Nova Stradija / La Nouvelle Stradia (2009) – complètent le volumineux opus de cet écrivain polyvalent et prolixe.

Traduits en anglais, allemand, italien, hongrois, bulgare… les livres de Svetislav Basara ont également attiré l’attention des éditeurs francophones : jusqu’à présent, neuf de ses ouvrages ont été traduits en français !

♦ Etudes et articles en serbe. Miroljub Joković, « Lucifer prati modu » [Lucifer suit la mode], in Ontološki pejzaž postmodernog romana [Paysage ontologique de roman postmoderne], Belgrade, 2002, p. 383-425 ; Maja Rogač, Istorija, pseudologija, fama : studija o prozi S. Basare [Histoire, pseudologie, rumeur : étude sur la prose de S. Basara ], Belgrade, 2010, 334p ; « Basara », revue Gradac, n° 178-179, Čačak, 2011, 244 p, dossier spécial, (dir.) Maja Rogač i Zoran Jeremić ; Ala Tatarenko, « Postmodernistički i post- postmodernistički romani Svetislava Basare… » [Les romans postmodernes et post-postmodernes de S. Basara], in Poetika forme u prozi srpskog postmodernizma [Poétique de la forme dans la prose du postmodernisme serbe], Belgrade, 2013, p. 284-298 ; Aleksandar Dundjerin, « Dan ludih » [Le jour des fous], in Demoni odlaze I [Les démons s’en vont, I], Belgrade, 2014, p. 79-86.

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