Marković, Slavoljub (1952)

Markovic Slavoljub portrait

 

 
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Maître dans l’analyse et la mise en évidence du langage convenu, flaubertien postmoderne, héritier des avant-gardes, à l’aise tant dans la nouvelle que dans le roman (chez lui, toujours expérimentaux, à la limite même, parfois, de l’hermétisme), Slavoljub Marković est l’un des auteurs les plus achevés de la deuxième vague du postmodernisme serbe. Alors que les auteurs de sa génération tels Svetislav Basara, David Albahari ou Vladimir Pištalo entrent en littérature comme nouvellistes pour évoluer vers le souffle plus ample du roman, Slavoljub Marković entre de plein pied dans les lettres par la grande porte et un roman de premier ordre : L’Etat fluctuant de l’histoire, thème majeur, s’il en est, des lettres serbes. Il s’ensuit une élaboration de cycles romanesques qui traduisent ses différentes préoccupations esthétiques et qui se résument à trois cycles : historique, linguistique, et métanarratif des romans de coauteurs. Il faut leur ajouter trois recueils de nouvelles.

Slavoljub Marković est né en 1952 à Jakovlje. Il passe son enfance entouré d’anciens soldats de la Grande Guerre, vétérans du front d’Orient, bercés de leurs histoires empreintes d’une profonde francophilie. A ce jour, il a publié les ouvrages suivants : Cycle historique : Plovno stanje istorije / L'Etat fluctuant de l’histoire, 1982 ; Kiša iz jezika / La Pluie du langage, 1994 ; Crni mak u snegu / Le Pavot noir dans la neige, 2004 ; Paralelna biblioteka / Bibliothèque parallèle, 2000 ; Drvo u dvorištu / L’Arbre dans le jardin, 1997. Cycle linguistique : Značenja i proteze / Significations et prothèses, 1998 ; Gradivo / La Matière, 1993 ; Dosada usvojenih rečnika / Lassitude face au langage convenu, 1995. Cycle de coauteurs (les marginaux des lettres, non reconnus, non appréciés, aux thèmes littéraires proscris, créent un « supra-auteur », condensation des aspirations de la génération d’écrivains postmodernes): avec Radomir Rupljanac, Dragan Milojković : Projekat / Le Projet, 1994 ; Zidine Rapijane / Les murailles de Rapijana, 2009. Nouvelles : Biznis, rat, pornografija / Business, guerre, pornographie, 2007 ; Film i ostali rimejkovi / Films et autres remakes, 2008, Poèmes en proses : Probudi me da se igram / Réveille moi pour jouer, 2009.

Il est surprenant que le plus francophile des auteurs serbes contemporains n’ait pas été traduit en français à ce jour. Pourtant, ses ouvrages traitent des thèmes fondamentaux des lettres européennes : dictature, oppression politique, manipulation du langage. Les sentiments individuels : doute, incertitude, intelligence émotionnelle, lyrisme opposé au sentiment de la grandeur épique, et surtout la concision, l’usage de l’ellipse, un style précis et lapidaire forment les trais essentiels de son écriture.

Les récits de Marković se présentent comme des laboratoires narratifs où convergent nouvelle esthétique et nouvelle étique permettant diverses mises en abîme du langage en tant que reflet des structures sociales et de l’idée que l’histoire est une scène où l’individu fait face à son propre atavisme et à ses propres démons. L’auteur commence ses histoires in medias res. Son approche est naturaliste et développe une étude critique de l’homme de pouvoir et de la classe moyenne en dictature socialiste. Ses héros sont souvent des laissés-pour-compte, des marginaux, des ratés du monde socialiste dépeint, le plus souvent, depuis la perspective d’un bourg ou village de province. Il excelle également dans l’étude des relations au sein du couple, notamment dans les portraits de femmes.

Chez Marković, la conscience de l’héritage culturel est très forte et s’étend jusqu’à Byzance, mythe fondateur de la conscience culturelle serbe. Elle s’articule autour d’un axe de pensée bien précis : Marković revisite le passé à l’aune de l’expérience individuelle. Ce qui prime dans ses textes est la conscience de l’individu, ses prises de positions, ses relations au fait social aussi bien présent que passé. Aussi la poétisation de l’histoire est-elle centrée sur la fragilité humaine, sur la corporéité : le corps est vu comme objet de l’histoire, ce par quoi l’histoire gouverne mais aussi ce qu’elle détruit. D’où, par ailleurs, cette relation étroite qu’entretiennent les cycles historique et linguistique. Il s’agit de mettre en évidence le conflit latent entre le langage conceptuel de l’analyse (le langage de la volonté de pouvoir) et celui de la synthèse (le langage nuancé de l’art et de la littérature). En ce sens, chez Slavoljub Marković, le langage du héros est celui qui donne la préférence à l’expérience plutôt qu’au concept, au vécu plutôt qu’à l’idée ou à la narration idéologique, quelle qu’elle soit. Toute la stratégie narratrice chez ce postmoderniste érudit et humaniste tend à mettre en lumière les paradoxes existentiels de héros vus à la fois comme sujets et comme objets de l’histoire.

♦ Etudes et articles en serbe. Васа Павковић, « Тајна приче и чар приповедања » / Le secret du récit et la magie de la narration /, Кораци, n° 2012; Иван Радосављевић, « Ка суштини страсти » / L’essence de la passion /, Поља, n° 2012 ; Драгана Белеслејин, « У фусноти свести » / Note de bas de page de la conscience /, 2009 ; Слободан Владушић, « Књижевност, историја » / Littérature, histoire /, in : Славољуб Марковић, Пловно стање историје, Gramatik, поговор, 2011.

Boris Lazić
 

Miodrag Pavlović est, avec Vasko Popa, l'un des deux poètes qui, au début des années cinquante, affranchirent la poésie – et par là même l'ensemble de la littérature contemporaine serbe – du poids de l'écriture officielle dite du „réalisme socialiste“ et permirent l’éclosion de la seconde vague du modernisme serbe. Son recueil 87 песма / 87 poèmes (1952) est, à ce titre, révolutionnaire. S’inscrivant dans la tradition des avant-gardes de l’entre-deux-guerres, il en reprend les divers procédés techniques et rhétoriques notamment ceux du surréalisme, mais en les appliquant au moment présent, il élargit la perception du monde de l’après-guerre et offre au sujet lyrique une voix individuelle, moderne, urbaine qui tranche radicalement avec le folklorisme officiel du parti communiste et les ouvrages qui en découlent.

Né en 1928, à Novi Sad, Miodrag Pavlović a effectué l'ensemble de sa scolarité à Belgrade où il poursuivit des études en médecine de 1947 à 1954. Conjointement à ses études, il publie de la poésie et des essais sur des auteurs modernes ou médiévaux. Son premier livre lui apporte la célébrité et détermine l'ensemble de son œuvre future. Il est à la fois poète, prosateur, essayiste, anthologiste, traducteur et dramaturge. En 1960 il est nommé dramaturge du Théâtre national, à Belgrade. Il sera pendant douze ans également rédacteur de la maison d'édition „Prosveta“. Ses œuvres poétiques majeures sont : 87 песма / 87 poèmes (1952), Стуб сећања / Stèle de mémoire (1953), Велика Скитија / La Grande Scythie (1969), Хододарје / Pèlerinage (1971), Бекства по Србији / Fuite à travers la Serbie (1979), Улазак у Кремону / Entrée à Crémone (1989), Космологија профаната / Cosmologie profanata (1990), etc.

La génération à laquelle appartient Miodrag Pavlović rompt avec le dogme esthétique et idéologique établi. Excellent connaisseur de la poésie serbe et européenne, Pavlović incorpore dans ses vers mythes et histoire dans l'instant présent et instaure un nouveau type d'expression poétique, souvent allégorique. Il revalorise les voix dissidentes du passé, remet au goût du jour la poésie réflexive, notamment celle des classicistes, du slavon de l'office religieux (XVIIIe, XIXe siècle) pour en faire autant de jalons dans ses jeux intertextuels qui, de recueil en recueil, composent la vaste fresque des diverses couches culturelles, balkaniques de l'identité de l'individu moderne.

Poète docte, poète de la culture autant que peintre de la vie intérieure (au sens jungien du terme), Miodrag Pavlović n’aura de cesse de questionner la place de l’individu dans le collectif et de prendre position pour la figure du marginal, de l’hérétique. La publication de son Антологија српског песништва / Anthologie de la poésie serbe (1964) provoque le scandale. Oskar Davičo, éminence grise du courant officiel et qui s’offusque de la présence de moines, d’ anachorètes et autres mystiques refuse d’y être représenté par ses poèmes. Il est vrai qu’un tiers du livre comprend de la poésie serbe médiévale, des pièces anthologiques d’une rare beauté extraites des offices religieux ou divers textes de nature mystique, mythologique. Cet outrage au bon gout matérialiste, folklorisant, socialiste est d’ailleurs, en Serbie, contemporain de la publication d’ouvrages de référence sur les lettres et la civilisation médiévale serbes. Cette prise de position éditoriale et poétique a été, par ailleurs, un des moments forts des dissidences intérieures au sein des milieux culturels, érudits, belgradois de l’époque titiste.

Miodrag Pavlović a entretenu une longue amitié avec le poète français Robert Marteau. Ils se sont traduits mutuellement. Marteau a publié diverses traductions remarquables des poèmes de Pavlović, notamment La Voix sous la pierre (1970), Le Miracle divin (1988) et Cosmologia profanata (2009). Entrée à Crémone (2008), autre choix important de divers poèmes, a été traduit par Mireille Robin.

Miodrag Pavlović est récipiendaire de plusieurs prix littéraire nationaux et européens. Il a partagé les dernières décennies de sa vie entre la Serbie et l’Allemagne et s’est éteint à Tuttlingen, près de Stuttgart, en 2014.

Boris Lazić

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