Guillaume Apollinaire et les Serbes
[…] Cosmopolite par ses origines et par ses principes, doué d'une très grande curiosité et attiré par le sort des peuples opprimés, Apollinaire a commencé très tôt à s'intéresser aux peuples balkaniques en général et aux Serbes en particulier. Il n'y a aucun doute que la rédaction de L'Européen et son principal collaborateur André Barre y sont pour quelque chose. C'est ainsi que dans son article « Bulgares, Turcs, Macédoniens, Grecs », publié dans ledit journal le 11 avril 1913, Apollinaire parle aussi des Serbes. La même année paraît, dans la Revue Blanche (numéro de janvier), son conte intitulé L'Otmika, dont l'action se passe en Bosnie et dont les personnages sont des Yougoslaves, Serbes et musulmans. (Après avoir été publié, en partie, en 1910, dans la Démocratie sociale, L’Otmika a trouvé sa place, la même année, dans le célèbre recueil d'Apollinaire L'Hérésiarque et C-ie.)
Un peu avant, en 1907, Apollinaire publie, sous le manteau, son roman érotique Les Onze milles verges, dont quelques personnages sont des Serbes et où il est question de l’assassinat du couple royal Obrenović, en 1903. (Ce roman sera réédité en 1911, 1948 et en 1973.) Toujours dans la Démocratie sociale (où il signait "Polyglotte"), dans la rubrique "A travers le monde, journaux et revues de l'étranger", il publie (le 2 avril) l'article intitulé « La Constitution de la Bosnie-Herzégovine ».
Collaborant activement, à la même époque et durant des années, au Mercure de France, Apollinaire y publie le 1er décembre 1911, dans la rubrique "La Vie anecdotique", l'article intitulé « Chefs d'Etats » où il mentionne, entre autres, le roi Pierre 1er de Serbie. L'année suivante, le 16 janvier, dans la même revue (et dans la même rubrique) voit le jour son article consacré aux événements littéraires les plus importants de l'année 1911, où il est question de la thèse de doctorat d'André Barre et de ses écrits consacrés aux Serbes, avec un éloge particulier concernant la prévision par Barre de l'événement tragique de 1903*.
Même dans ses lettres et poèmes d'amour, adressés, au début de la guerre, à "Lou" (Louise de Chatillon-Coligny), Apollinaire se souvient des Serbes. (Voir surtout Poèmes à Lou, X.) Laissant de côté ses deux ou trois comptes-rendus concernant des livres sur les Serbes […], mentionnons son article anonyme (mais dont le manuscrit était conservé chez Gallimard) publié le 16 octobre 1917 par le Mercure de France, sous le titre : « Les Persécutions autrichiennes et bulgares contre la littérature serbe », où la sympathie du poète pour le peuple martyr va de pair avec une très solide documentation.
Enfin, de cette touchante présence du peuple serbe dans les pensées d'Apollinaire témoigne aussi une note publiée au Mercure de France ("La Vie anecdotique") le 16 juillet 1918, c'est-à-dire un peu plus de trois mois avant la mort de l'écrivain, sous le titre « Hymne de la Société des Nations » où Apollinaire, moitié sérieux, moitié plaisant, propose que dans les vers pacifistes de Béranger – La Sainte alliance des peuples – on remplace les noms Russe et Germain par Serbe et Mourmain.
* Les articles d'Apollinaire, publiés dans la rubrique "La Vie anecdotique", ont été reproduits, par Michel Décaudin, dans Les Anecdotiques, Paris, 1955.
Mihailo Pavlović
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