Bibliographie
Notre choix
|
Poète romantique et prince-évêque de Monténégro, Petar II Petrović Njegoš est né en 1813, à Njeguši, fief séculaire de la dynastie des Petrović-Njegoš. La société qui le voit naître est patriarcale, rurale, pastorale, guerrière. Patriarcale dans sa mentalité et ses coutumes, elle est guerrière par nécessité et par contrainte historique et géographique. Effectivement, le Monténégro – qui, à l’époque de Njegoš, compte 100.000 habitants – bien que non reconnu comme tel par les grands empires, est de fait indépendant et représente un îlot de liberté serbe au carrefour de l’Orient et de l’Occident. D'obédience orthodoxe, byzantin d'appartenance politique et culturelle, le Monténégro représente durant la présence ottomane une promesse d'espoir et de renouveau et est représenté comme tel aussi bien par les lettrés que par l’épopée orale. Un maître à l'esprit large et un élève surdoué Njegoš effectue ses premières années d'études au monastère de Cetinje. Son éducation initiale se déroule dans l'austérité d'une vie familiale passée dans le dénuement et la pauvreté, les conflits tribaux et les épopées légendaires. A Cetinje il apprend l'écriture et acquiert des notions essentielles en théologie. Par la suite il étudie quelques temps à Herceg Novi, dans la baie de Kotor, sur l'Adriatique, où il reçoit une éducation plus humaniste. A son retour à Cetinje, il reçoit pour précepteur le poète serbe Sima Milutinović Sarajlija, homme cultivé et à l'esprit large. Ce grand voyageur, soldat et aventurier est également, du temps de son préceptorat, secrétaire personnel de l'évêque Petar Ier Petrović-Njegoš, celui-là même qui désignera le jeune Rade comme successeur, sous le nom ecclésiastique de Petar II. Sima Milutinović initie Njegoš à la poésie et à ses diverses formes d'expression contemporaines – sa propre conception romantique mais également la poétique néo-classique d’un autre grand poète serbe, Lukijan Mušicki. Njegoš en retiendra la hauteur du style et son vocabulaire d'une étonnante plasticité. Milutinović partage avec Njegoš, non seulement son goût des arts, mais aussi son penchant pour les sciences et la philosophie. Il introduit son élève également à la lecture de Puškin, Goethe, Schiller, Milton, Shakespeare, Dante, Horace, Virgile et Homère. Sur le plan des idées, il est un aspect où l'apport de Milutinović est capital : c'est le lien qu'il inculque chez son élève entre la poésie épique serbe et son caractère héroïque d'une part, et l'idéal épique de la Grèce antique d'autre part. Ces éléments importants trouvent leur plus parfaite expression dans l'œuvre majeure de Njegoš, Горски вијенац [Les Lauriers de la montagne, 1847], chef-d’œuvre de description de la vie et de la pensée populaires ainsi qu'une des expressions les plus abouties de la pensée philosophique et métaphysique du poète. Sima Milutinović est le pédagogue de Njegoš entre 1827 et 1830. Lorsque Njegoš fait la connaissance de son maître, celui-ci a 36 ans et est un poète de renom. Njegoš, lui, en a 14 et s'exerce, comme nombre de Monténégrins, à la guzla. Mais il possède déjà un esprit ouvert : pour preuve, ses premiers poèmes seront, à la faveur de l'influence du maître, de caractère onirique. Thème de prédilection s’il en est, puisqu'un des plus beaux passages des Lauriers de la montagne est constitué par les rêves de Vuk Mandušić. Cet intérêt pour l'onirique, l'irrationnel, l'étrange va se poursuivre, puis s'élargir à celui pour l'étude de l'espace, du temps, de l'être (le drame humain, individuel, collectif, en tant que drame cosmique). S'il est un élément qui résume parfaitement l'apport de Milutinović au développement de Njegoš, c'est d'avoir très tôt permis à l'élève de faire la connaissance de soi. C’est également grâce à l’enseignement de son maître que le jeune poète réussira à retrouver sa propre voix tout en choisissant d'asseoir sa poésie sur la tradition orale, de préférer le vers décasyllabique aux autres formes de versification – qu'elles soient d'héritage classique ou vernaculaire – et d'entretenir l'expression gnomique et symbolique. L’éducation littéraire du jeune Njegoš se parfait ainsi par la lecture des classicistes mais aussi des sentimentalistes. La tradition au sein de laquelle se forme ce poète est déjà riche en œuvres de premier ordre : il suffit de retenir les poèmes et romans de Dositej Obradović, Atanasije Stojković, Lukijan Mušicki, Milovan Vidaković et, bien sûr, Sima Milutinović Sarajlija. Si le sentimentalisme ne convient pas à son tempérament, il retient les avancées littéraires de ce mouvement et inscrit son œuvre dans sa continuation formelle. Sa deuxième grande œuvre, Луча микрокозма [La Lumière du microcosme, 1845] est l’aboutissement d’une tradition poétique et philosophique et aussi son dépassement radicalement individualiste et romantique. L'œuvre politique et l'œuvre littéraire Il est certain que Njegoš affine ses connaissances théologiques en vue de son intronisation comme prince-évêque de Monténégro, en 1833, par le patriarcat russe de Saint-Pétersbourg. La plus grande part de ses sources littéraires, théologiques et philosophiques provient du russe ou de traductions de philosophes ou de pères de l'Eglise grecque en russe et pour certaines, plus rares, du serbe. S’agissant de la maîtrise des langues étrangères, il convient de préciser également que Njegoš était un intellectuel de haut rang. Ainsi, à côté du russe, il utilisait aussi couramment le français : il a eu, durant quelques mois, un maître français à Cetinje – Le Tarasconnais Antide Jaume, ancien combattant de l'Insurrection grecque et de la Révolution polonaise, qui a séjourné au Monténégro de janvier 1838 à juillet 1839 en tant que précepteur du jeune évêque. Enfin, il faut ajouter que le poète avait également des notions d'italien et d'allemand qu'il réussira à parfaire au cours de ses nombreux voyages à Vienne ou de ses séjours sur la côte adriatique et en Italie. Quant à Njegoš homme politique, notons d’abord qu’il s’initie en Russie au dur métier du politique avant d’entretenir par la suite des relations diplomatiques poussées – et rarement heureuses – avec la Porte ottomane, l'Empire austro-hongrois, la Russie et la France. Ses relations avec l'Italie sont, en revanche, empreintes d'amabilité et de sincère courtoisie, notamment avec des personnalités éminentes de Venise et de Trieste (où vit à l'époque une forte colonie d'émigrés serbes). Par ailleurs, ses amitiés en Italie lui permettent, entre autres, de faire un grand voyage initiatique dans le monde des anciens Latins. Son amour et son attachement à la culture et la gloire de la Rome antique ne se sont jamais démentis. Certains de ses plus beaux poèmes (tel « La visite de Pompéi ») sont consacrés à l'Italie. Njegoš, fort du soutien de la Russie, œuvre à la délimitation des frontières avec l’Autriche et la Turquie, à la création du Sénat et de la garde (1832), d’une imposition fiscale (1833), à l’ouverture des écoles, de l’imprimerie (1834), à l’édification du palais dit « le Billard » (1838), à l’émission de la médaille militaire « Miloš Obilić », d’une monnaie, le perun (1851), contribuant de sorte à la fondation du Monténégro moderne. En 1848 il soutient les révolutionnaires Croates et Serbes. En guerre incessante contre l’occupant turc, il vainc Smail-aga Čengić (1840), mais perd les îles de Vranjina et Lesandra (1844). Sous le sceau de la recherche du sens de l'existence Toute œuvre littéraire de Njegoš, dont la portée diffère ostensiblement de celle de son travail politique bien qu’elle lui soit complémentaire, est placée sous le sceau de sa recherche du sens et de la finalité de l'existence (individuelle, nationale). Cette recherche, passionnante et parfois douloureuse, a porté ses fruits en trouvant sa plus belle expression dans La Lumière du microcosme et dans Les Lauriers de la montagne. Mais ces deux chefs-d’œuvre de Njegoš ne doivent pas faire oublier les poèmes à caractère méditatif qui les ont précédés : « Ко је оно на високом брду ?» [Quel est cet homme sur la haute colline ?] en 1827 ; « Црногорац к свемогућем Богу» [Le Monténégrin au Dieu Tout-puissant] en 1834 ; « Ода Сунцу » [Ode au soleil] en 1837 ; « Мисао » [La Pensée] en 1844. Ces poèmes, de portée universelle, représentent des étapes successives et nécessaires en vue de la réalisation de la « grande œuvre ».
♦ Études et articles en serbe : Nikolaj Velimirović, Religija Njegoševa [Religion de Njegoš], Belgrade, 1921 ; Ivo Andrić, Njegoš kao tragični junak kosovske misli [Njegoš, héros tragique de la mémoire du Kosovo], Belgrade, 1935 ; Isidora Sekulić, Njegošu knjiga duboke odanosti [A Njegoš, ce livre (en témoignage) d’un dévouement profond], Novi Sad, 1961 ; Dušan Nedeljković, Njegoš, filozof oslobodilačkog humanizma [Njegoš, philosophe d’un humanisme libérateur], Belgrade, 1973 ; Milovan Đilas, Njegoš. Pjesnik, vladar, vladika [Njegoš. Poète, souverain, évêque], Belgrade-Ljubljana, 1988. Boris Lazić |