Harita Wybrands

L’art de la concision

Aleksandar Gatalica : Le Siècle [Vek], 2000


Gatalica VEK 1

 Le Siècle

Sous le titre emblématique, Le Siècle, Aleksandar Gatalica nous donne à lire l'histoire du vingtième siècle en cent chapitres, enserrés entre un prologue (1900) et un épilogue (2000). Un recueil de nouvelles, certes, mais avec une touche d'originalité où l'on reconnaît déjà la préoccupation de l'historiographe : un récit pour chaque année ! Procédé inédit, continuité dans la discontinuité, l'histoire du siècle se tisse en sous-œuvre, c'est la toile de fond, les coulisses en quelque sorte, l'arrière-plan de ce qui se joue sur le devant de la scène.

Après ses prouesses d'orchestration d'un complexe tissu romanesque dans A la guerre comme à la guerre, paru en 2015 chez Belfond, Gatalica peut  surprendre encore par son talent de conteur qui se révèle magistralement dans la nouvelle. Il y est décidément dans son élément. Pour l'essentiel, on retrouve la passion bien connue de l'auteur de lire l'époque en inscrivant la petite histoire individuelle dans la grande, l'Histoire proprement dite. Mais ici, il la scrute pour ainsi dire à la loupe, en ciblant le détail concret qui va mettre en évidence, en deux ou trois pages, le drame de toute une vie : les contradictions, les faiblesses, les lâchetés, le mal qui couve dans les bonnes intentions... Parfois, un évènement en apparence banal, anodin, ouvrira la faille par où un renversement inattendu va se produire et, on ne sait comment, tout se précipitera dans la catastrophe.

Dans le prologue, Edouard Parmentier "hélas, mal préparé à l'entrée dans le nouveau siècle", disparaît mystérieusement dans la foule de l'Exposition Universelle de Paris et ne sera jamais retrouvé. On ne s'en soucie pas outre mesure. C'est une sorte d'incipit, l'indice d'une anomalie qui s'est glissée dans l'ordre des choses au seuil d'un siècle qui se voulait glorieux. Le signal est donné, le ver est dans le fruit, le siècle sera contradictoire, confus, déchiré, corrompu. Un regard impitoyable va fouiller l'âme de ce siècle à travers l'âme des personnages, petits et grands, réels ou fictifs ; le ton sera ironique, l'humour, inévitable, en accord avec un monde incohérent, aux critères incertains où les personnages seront tour à tour victimes ou bourreaux au gré des circonstances, sans savoir trop bien ce qui leur arrive. Le fantastique mêlé à la réalité viendra à l'appui de ce chaos des valeurs et des actes.

L'individu pris dans la trame de l'Histoire qui se resserre autour de lui comme un étau; plus il se débat pour s'en sortir, plus sûrement il tombe dans ses rets. On trouve de façon sous-jacente ce schéma comme fil conducteur d'un recueil fidèle à sa tâche de traduire un siècle, l'ambition de Gatalica est d'être toujours à la hauteur des choses. A passer en revue tous les textes de ce kaléidoscope, on constate qu'il y a rarement un happy-end, à moins que ce ne soit par l'ironie du sort. Telle une bête traquée, d'une façon ou d'une autre, chacun est pris au piège. Mais cette note de fatalité est ici ce qui fait la force du récit qui, dans l'espace étroit qui le circonscrit, déploie sa logique implacable où rien n'est voué à l'arbitraire. Rien n'est anodin, chaque geste a ses conséquences, tout se tient dans une composition rigoureuse où aucun mot n'est de trop. Tel est le Gatalica que l'on découvre ici à nouveaux frais dans la forme courte qui lui va comme un gant. Il s'agit ici d'un autre exploit que celui d'un "chef d'orchestre" où il s'était montré maître dans A la Guerre comme à la guerre. Cette fois, c'est la concision, le regard décapant, l'art de trouver le détail juste, révélateur de toute une destinée que nous avons comprise en quelques pages. On aurait pu en faire un roman, on n'en a esquissé que quelques traits, mais la vie dans sa concrétude la plus palpable s'est inscrite dans ces pages.

On est tenté d'ouvrir le livre pour voir ce qui se passe en telle ou telle année qui nous intéresse, mais on n'y trouve que rarement ce à quoi on s'était attendu. Déception de ne pas y voir marqués de façon ostentatoire les évènements qui nous sont familiers ? Non, plutôt surprise de découvrir autre chose qui nous y ramène par des voies plus biaisées, mais autrement plus riches ! Mordu par la curiosité, on se plonge dans la lecture et on se laisse entrainer. Erudition, mise en scène de personnages célèbres : Heinrich Mann, Modigliani, Mussolini, Hitler, Staline, les passagers du Titanic, Elvis Presley, le lit de Marilyne Monroe etc. Ce n'est pas seulement l'histoire de l'Europe que nous parcourons, c'est aussi celle de l'Amérique Latine (Cuba, Argentine,  Paraguay), l'Indochine... en somme le monde, le siècle, le vingtième, dans toutes ses dimensions.

Le Siècle a été traduit en italien (Editioni Diabasis, 2008) et en allemand (Wiezer Verlag, 2012). Des nouvelles du recueil ont été publiées dans des anthologies en de nombreuses langues. Une thèse est parue en Allemagne, qui traite de l'approche du vingtième siècle à travers la comparaison des œuvres de Gunther Grass et d'Aleksandar Gatalica et, entre autres, une étude très ambitieuse en Italie, où le livre a eu un succès fulgurant.    

Date de publication : novembre 2018

A lire :

> Extraits du Siècle

> "Le Siècle" par Petar Pijanović

 

Date de publication : juillet 2014

 

> DOSSIER SPÉCIAL : la Grande Guerre
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Le poème titré "Salut à la Serbie", écrit en janvier 1916, fut lu par son auteur Jean Richepin (1849-1926) lors de la manifestation pro-serbe des alliés, organisée le 27 janvier 1916 (jour de la Fête nationale serbe de Saint-Sava), dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne. A cette manifestation assistèrent, â côté de 3000 personnes, Raymond Poincaré et des ambassadeurs et/ou représentants des pays alliés.

Grace à l’amabilité de Mme Sigolène Franchet d’Espèrey-Vujić, propriétaire de l’original manuscrit de ce poème faisant partie de sa collection personnelle, Serbica est en mesure de présenter à ses lecteurs également la photographie de la première page du manuscrit du "Salut à la Serbie".

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