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> Branko Miljkov <

 
 
 
 
 
 


II


LA POÉSIE CONTEMPORAINE    

 

 


Branko 
Miljković



SONNETS  TRAGIQUES

[ТРАГИЧНИ СОНЕТИ]




I.


Début d'un rêve

[Почетак сна]

 

Que moi, indigne, m'enveloppe le vent !

Tour, je respire sur ton sommet hors du temps,

À l'étroit est le ciel dans l'oiseau, plus encore l'oiseau en lui-même,

Détaché, hors de mon cerveau, mon œil veille.

 

Je retire son nom au monde pour le cacher dans la pré-réalité

Quand rien ne commence car le lieu s'est dérobé,

Quand la nuit des puissances endormies et des mortelles pluies

Me tue par le rêve moi et les animaux par la forêt maudits.

 

Pourchassé par le feu pur, ô que ferai-je

De ce que j'ai vu et entendu quand non trouvé je m'immerge

Dans l'espace d'avant le verbe où ma tête pourrit

Quand je ne vole ni ne bouge tel un homme endormi,

Ô rose sans peur, larme, grue envolée,

Plainte des oiseaux noirs et de l'éloge désolé ?

 
 

II

La Tour des crânes

[Кула лобања] 


Plainte des oiseaux noirs et de l'éloge désolé,


Nom vide derrière la mort et vue évidée

Ce n'est pas l'amour, c'est la souffrance et la pudeur blessée

Quand les échos déplacent rivages et contrées.

 

Un vent souterrain étreint les endormis,

Deux silences gardent l'entrée et un roc dur,

Ce n'est pas l'amour, c'est la souffrance et le mur

De crânes où pourrissent les étoiles qui ont resplendi.

 

Je disparais, je veille, je deviens temps et voix,

Fleur plus vaste que la nuit, vague vide sans mémoire,

Étoiles qui au-dessus de ma tête flamboient

Par lesquelles j'ai changé ma vue et le nom de mon cours,

Barque pleine d'oubli et de vent, sans proue,

D'un autre monde ombres lourdes qui s'échouent.




III

Refus du doute

[Одбацивање сумње]

D'un autre monde ombres lourdes qui s'échouent,

Ô esclave d'un dur versant et de méchants discours !

Ce qui habite notre conscience il est trop tard d'en douter

Toute notre vie les mots nous ont dépouillés.

 

L'amour déçu de l'œil et du mirage tremblant

Dans une contrée plus intime me dépose

Où le mot a valeur de destin et de subconscient

Où grandioses sont les ombres et petites les choses.

 

Aveugle, où me mèneront tous les visages de l'onde ?

Que les enfants qui doivent grandir viennent au monde

Pour le sens du mystère qui rêve dans l'Illusion.

 

Ô flûte, dans ton souffle tourmenté,

Quand j'offre à l'esprit du mal un soleil de feu imaginé,

Au fond du poème qu'y a-t-il de caché ?


 

IV

Début du voyage

[Почетак путовања]

 

Au fond du poème qu'y a-t-il de caché

Quand pour le même don là est matin et là-bas nuit de paix ?

Ô lointain du rêve où le sud chante les Pléiades,

Cache-moi de l'aveugle pierre qui veille au ciel.

 

Là, les dociles vallées en gouffres se changent

Dans ce poème où je n'ai pas de paix.

Le cœur empli de ténèbres choisit son ange

Pour veiller sur la mer amère et voiler mon souhait.

 

Voile noire de mon vent, aveugle odyssée,

Pour mon orgueil la mer jusqu'aux genoux montée,

Au-dessus de ma tête le danger de la symétrie

Des mondes alignés dans l'illusion par l'esprit.

Puisque j'ai perdu la vue avec quoi puis-je t'unir

Mon beau jour à l'âme d'élégie !



 

V

Début de la recherche de l'être

[Почетак трагања за бићем]

 

Mon beau jour à l'âme d'élégie,

Quand de l'Être l'ombre se pose sur les contrées,

J'erre en larmes, la peur me saisit,

L'emprise stellaire au-dessus de moi – qui les retiendrait (!)

 

Ancré dans l'apparent, personne ne s'est encore découvert,

Ô monde, dans les scènes de ta sphère.

Rends-moi le jour s'il existe encore quelque part,

Terre inconnue quand les serpents s'enlacent dans le crâne.

 

Les têtes alignées dans le temps oublié,

Avec de derniers mots et de vaines pensées

Dans la ténébreuse pierre pressentent leur reflet.

 

Je te cherche dans le vent si encore tu es,

Ô mot prononcé pour les mondes tombés,

Je cherche le début, l'éblouissement et les heures arrêtées.

 

 

VI

Identification de l'être et du mot

[Поистовећивање бића и речи]

 

Je cherche le début, l'éblouissement et les heures arrêtées,

Qu'ils vivent ma vie pour la ressusciter

Des restes de la réalité déguisée en rêverie

Quand pénétrant le désert ils cachent les endormis.

 

Je répète les mots qui m'ont donné

Cette fleur, cette pierre, l'oiseau qui jaillit

Du rien, le soleil qui a éclaté

Sur le monde qu'ils ont eux-mêmes choisi.

 

Plein d'espoir, je tends l'oreille à toutes les orées.

La lune se couche, le temps. Le mot arrêté

Se tient au-dessus du monde pour les mots qui sont restés.

 

À demi réel un jour d'aveugle amour passa.

De baume oint, sans souvenir du monde il s'en alla

Quand deux tristes oiseaux te donnèrent l'éternité.

 

 

VII

Expiation d'un rêve

[Испаштање сна]



Quand deux tristes oiseaux te donnèrent l'éternité,

La patience de l'espace et pour châtiment leur visage,

Ô Tête dévalant les noirs degrés de l'immuable

Jour de souffrance, quels feux se sont embrasés ?

 

Dans l'abîme gît le soleil, et le temps est feu. Grue,

Où est son écho, dans le rêve ou la mort ? Vaincus,

Les témoins de la mer et des changements vains

Rêvèrent de paix et empierrèrent les vagues.

 

Arraché au dragon maléfique, en temps le monde est transformé

Par l'accalmie du feu et par une douloureuse nébulosité.

Ville, il n'y a pas de condamnés, tous rêvent cette nuit

Dans les jardins où poussent le non-retour et le chiendent,

D'espérance il n'est pas, mais non plus de peur du serpent

Devant la porte derrière laquelle l'espace se putréfie.

 

 

VIII

Souvenir du défunt

[Сећање на покојника]

 

Devant la porte derrière laquelle l'espace se putréfie

Il est un ducat confus et une croissance ambigüe

Du mot de plus en plus trouble qui nous attend

Pour percer la coque de notre noyau en germant.

 

Dans sa flamme ivre de chant qui le perçoit ?

De son nom poussent l'herbe et le salut,

Lui seul est éveillé et il n'est que voix,

Ils l'ont entendu mais personne ne l'a vu.

 

L'espace et le temps au milieu de ce qui se passe

Par une infaillible parole dans la lumière il les dépasse

Pendant que les villes brûlent dans leur autodéfense.

 

Il est une étoile au-dessus du vide, une parole qui révèle

Le soleil broyé du souterrain comme le mercure dans l'os.

Là le souvenir perdu nourrit le désert.

 

 

IX

Début de l'oubli

[Почетак заборава]

 

Là le souvenir perdu nourrit le désert,

Le nourrit devant un buisson ardent d'un oiseau en vol abattu.

Là est vivant ce qui vit mais ne demeure sur terre,

Ce qui dure, le début dans la fin, les jours de longtemps n'étant plus.

 

Là tout est nom ou mot, s'éveille tôt dans le temps

Du soleil, des autres étoiles, et des hélianthes.

La nuit jaillira de la mer, se réveillera dans le cœur. Elle augure

La comète à l'obscurité, la rosée au rêve, le remède à la blessure.

 

Emporté par le tournoiement du ciel qui broie nos os

Tandis que les sages répandent de faux présages,

Vois-tu ce qui n'est pas, et que tu protèges ?

 

Il n'est pas d'amour, le prouvent cette eau et ce rivage.

Du bateau fantôme pourrit l'épave,

Près d'un feu dont ne se nourrissent les jours.

 

 

X

Invention du monde

[Измишљање света]

 

Près d'un feu dont ne se nourrissent les jours,

Des formes altérées par une féroce dilution

Du rêve et du vide. Ô vérité du discours,

Remplacé par le mot tout appelle à une trouble oraison.

 

Le monde avec le vent sous chaque feuille dans la nuit,

Qui finit par les étoiles au-dessus des montagnes définies,

Et une monstruosité obligée de naître dans le baiser,

Par notre arrivée nous l'avons nous-mêmes inventé.

 

Mais nous guettent les hauteurs où les choses perdent sens,

Où l'essence est ronde et la forme à elle-même ressemble,

De toute réalité ne sont restés que les mots. Et les couleurs ?

Et les sons et les parfums ? Ils peuvent s'embrasser

Mais il n'y a pas d'amour. L'événement raconté,

La plainte enterrée et le trésor non trouvé demeurent.

 

 

XI

Enchantement

[Зачаравање]

 

La plainte enterrée et le trésor non trouvé demeurent.

Ô sonore rosée, là où nous sommes tombés

Dans de tardifs enchantements de nous ignorés,

Quand les eaux ne coulent pas, car rien ne peut exister

Qui n'ait cessé d'exister. Les paysages furent séparés

Par l'écho de ce mot. Les heures se sont arrêtées

Et au-dessus de l'abîme les vagues domptées.

La réalité est-elle mirage, ou est-ce une conscience enfuie

Qui allaite par une trouble sortie dans le nulle part le murmure traqué ?

Ô désert le plus semblable au soleil, est-il quelque part

sable plus fin que celui qui dort dans le cœur et l'infini !

Et quelle orée du monde est un présent

Quand tu veilles, unique étoile, au-dessus de la contrée imaginée,

Mort mon amour mais pourtant vivant ?

 

 

XII

Prédication du feu

[Проповедање ватре]

 

Mort mon amour mais pourtant vivant !

Qu'il se consume dans son jour au verbe inachevé,

Qu'il joue au poète jusqu'à ce que le poème soit créé

Le chanteur par l'oiseau illuminé, en moi abrité.

 

Ô alluvion dorée du temps, aires

Inondées de soleil ! Ombre, où se cache cette terre,

Où la matière toute d'oubli décèle

le jour sans matin dans la montagne et le feu en elle.

 

Comment s'appelle tout cela, avant notre naissance

Prêts dans un espoir étranger et un feu sans souffrance ?

Salut, ô possible étoile que nous ne pressentons pas,

Ou bien oublie-moi poème, car mon désir est coupable.

Sous la terre continuera la durée amorcée.

Ô tout ce qui passe devient éternité.

 

 

XIII

Fin du voyage

[Крај путовања]

 

Ô tout ce qui passe devient éternité.

L'ombre qui fût, l'arbre qui dure. Éveillé

Sous son nom que réveillent

La main avec des fleurs, le sang à lui-même enchaîné.

 

Le voyage prendra fin, les silencieuses collines resteront,

Le vide gris, le vent vagabond,

Un lieu sans lieu dans le désir mais qui fait don

Du mal pour nous sauver et dévoiler la vérité.

 

Ce que vous priez est un Triste Rossignol.

L'amour ne prend jamais fin.

Dans la souffrance, qu'y a-t-il d'humain ?

Écoute l'écho du jour. Immobiles, les étoiles se figent.

Les mains vides, le cœur vide, l'ombre aride,

De moi il n'est plus, mais de mon amour encore.

 

 

XIV

Prédication de l'amour 

[Проповедање љубави]

 

De moi il n'est plus, mais de mon amour encore ;

Je le vois dans le soleil, dans la terre où pourrissent nos os.

Le jour s'achève dans sa gratitude,

Semblable à la musique, semblable au vide, en quiétude.

 

Les miennes et tiennes aspirations il sauvegardera,

Par miséricorde ressuscitera les anniversaires défunts,

Au pied du vent, l'ombre insondable du dédain

Dans la cendre de ceux qui n'existent plus disparaîtra.

 

Dans le cœur dépeuplé, dans le temps mort, appelle-moi,

Ô désir évanoui, pour que le monde à nouveau se déploie.

Si je n'ai pas trouvé l'amour, si j'ai assoupi mon esprit,

De sorte qu'est vide le jour qui n'a pas encore surgi,

Comme une branche s'étirant en un vain bruissement

Que moi, indigne, m'enveloppe le vent.

 

 

XV

Magistral

[Магистрале]

 

Que moi, indigne, m'enveloppe le vent,

Plainte des oiseaux noirs et de l'éloge désolé,

D'un autre monde ombres lourdes qui s'échouent,

Au fond du poème qu'y a-t-il de caché ?

 

Mon beau jour à l'âme d'élégie

Je cherche le début, l'éblouissement et les heures arrêtées

Quand deux tristes oiseaux te donnèrent l'éternité

Devant la porte derrière laquelle l'espace se putréfie.

 

Là, le souvenir perdu nourrit le désert,

Près d'un feu dont ne se nourrissent les jours

La plainte enterrée et le trésor non trouvé demeurent

 

Mort mon amour mais pourtant vivant,

Ô tout ce qui passe devient éternité,

De moi il n'est plus, mais de mon amour encore


Poèmes traduits par
Vladimir André Cejovic et Anne Renoue


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