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LES PERSECUTIONS AUTRICHIENNES ET BULGARES
CONTRE LA LITTERATURE SERBE

par

GUILLAUME APOLLINAIRE

 

Apollinaire soldat en 1916

Guillaume Apollinaire soldat

1916 

Guillaume Apollinaire et les Serbes

[…] Cosmopolite par ses origines et par ses principes, doué d'une très grande curiosité et attiré par le sort des peuples opprimés, Apollinaire a commencé très tôt à s'intéresser aux peuples balkaniques en général et aux Serbes en particulier. Il n'y a aucun doute que la rédaction de L'Européen et son principal collaborateur André Barre y sont pour quelque chose. C'est ainsi que dans son article « Bulgares, Turcs, Macédoniens, Grecs », publié dans ledit journal le 11 avril 1913, Apollinaire parle aussi des Serbes. La même année paraît, dans la Revue Blanche (numéro de janvier), son conte intitulé L'Otmika, dont l'action se passe en Bosnie et dont les personnages sont des Yougoslaves, Serbes et musulmans. (Après avoir été publié, en partie, en 1910, dans la Démocratie sociale, L’Otmika a trouvé sa place, la même année, dans le célèbre recueil d'Apollinaire L'Hérésiarque et C-ie.)

Un peu avant, en 1907, Apollinaire publie, sous le manteau, son roman érotique Les Onze milles verges, dont quelques personnages sont des Serbes et où il est question de l’assassinat du couple royal Obrenović, en 1903. (Ce roman sera réédité en 1911, 1948 et en 1973.) Toujours dans la Démocratie sociale (où il signait "Polyglotte"), dans la rubrique "A travers le monde, journaux et revues de l'étranger", il publie (le 2 avril) l'article intitulé « La Constitution de la Bosnie-Herzégovine ».

Collaborant activement, à la même époque et durant des années, au Mercure de France, Apollinaire y publie le 1er décembre 1911, dans la rubrique "La Vie anecdotique", l'article intitulé « Chefs d'Etats » où il mentionne, entre autres, le roi Pierre 1er de Serbie. L'année suivante, le 16 janvier, dans la même revue (et dans la même rubrique) voit le jour son article consacré aux événements littéraires les plus importants de l'année 1911, où il est question de la thèse de doctorat d'André Barre et de ses écrits consacrés aux Serbes, avec un éloge particulier concernant la prévision par Barre de l'événement tragique de 1903*.

Même dans ses lettres et poèmes d'amour, adressés, au début de la guerre, à "Lou" (Louise de Chatillon-Coligny), Apollinaire se souvient des Serbes. (Voir surtout Poèmes à Lou, X.) Laissant de côté ses deux ou trois comptes-rendus concernant des livres sur les Serbes […], mentionnons son article anonyme (mais dont le manuscrit était conservé chez Gallimard) publié le 16 octobre 1917 par le Mercure de France, sous le titre : « Les Persécutions autrichiennes et bulgares contre la littérature serbe », où la sympathie du poète pour le peuple martyr va de pair avec une très solide documentation.

Enfin, de cette touchante présence du peuple serbe dans les pensées d'Apollinaire témoigne aussi une note publiée au Mercure de France ("La Vie anecdotique") le 16 juillet 1918, c'est-à-dire un peu plus de trois mois avant la mort de l'écrivain, sous le titre « Hymne de la Société des Nations » où Apollinaire, moitié sérieux, moitié plaisant, propose que dans les vers pacifistes de Béranger – La Sainte alliance des peuples – on remplace les noms Russe et Germain par Serbe et Mourmain.

* Les articles d'Apollinaire, publiés dans la rubrique "La Vie anecdotique", ont été reproduits, par Michel Décaudin, dans Les Anecdotiques, Paris, 1955.

Mihailo Pavlović

 

On sait que les Autrichiens se livrent en Serbie à une entreprise de dénationalisation qui est bien l'un des efforts les plus criminels et les plus singuliers de cette guerre. C’est ainsi que le culte orthodoxe est combattu de la façon la plus violente, la plus honteuse parfois et la moins dissimulée en faveur de la religion catholique, ce qui explique jusqu’à un certain point le silence prudent que le pape a cru devoir conserver à propos de la Serbie dans sa note aux chefs des États belligérants.

La langue nationale est persécutée comme la religion. L’alphabet cyrillique, étant considéré comme une des caractéristiques de la langue serbe, est sévèrement prohibé.

Dans les villes, les noms des rues ont été transcrits en lettres latines. Cette persécution s'étend du reste à la littérature nationale. On a confisqué partout les recueils de chants nationaux et il y a des peines sévères pour ceux qui les cachent. Comme ces chants ne contiennent rien contre l'Autriche et narrent seulement la lutte des Serbes contre les Turcs, il est clair que leur prohibition n'a pour but que de détruire  toute manifestation de l'esprit national serbe ; on a prohibé également les œuvres poétiques de B. Raditchevitch et celles de Y. Yovanovitch Zmay, tous deux sujets hongrois, dont les chants se répandirent librement pendant plus de cinquante ans parmi les Serbes d'Autriche-Hongrie ; ces œuvres n'ont été mises à l'index que parce qu'elles étaient écrites en langue serbe.

Dans cette lutte contre la langue nationale, les Bulgares vont plus loin encore que les Autrichiens ; ils brûlent livres et manuscrits serbes, n’épargnent pas même les registres et les archives des églises et des tribunaux.

Le ministre du Commerce bulgare a un peu modifié ces mesures de vandalisme en donnant l'ordre de transporter désormais les livres et les manuscrits serbes à l'imprimerie nationale de Sofia pour être transformés en pâte de papier.

Les Bulgares, avec une rage insensée, ont encore détruit les monuments historiques de la Serbie que la domination turque avait respectés. On a supprimé toutes les inscriptions des églises et des couvents où il était question des Souverains serbes.

Les Bulgares ont été jusqu'à forcer les Serbes à changer la désinence itch [-ić] de leurs noms en off, qui est la désinence des noms de famille bulgares.

Remarque : La note sur Apollinaire ainsi que son article paru dans Mercure de France ("Echos", le 16 octobre 1917, p. 761) sont reproduits  ici d’après : Témoignages français sur les Serbes et la Serbie 1912-1918, choix de textes, notes de présentation, traduction et commentaires de Mihailo Pavlović, édition bilingue, Belgrade, Narodna knjiga, 1988, p. 204-207.

 
 
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