SERBICA | |
СЕРБИКА |
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Sous la loupe L'homme qui mangeait la mort
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♦ SOMMAIRE ♦ |
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1. ♦ SOUS LA LOUPE ♦
L’Homme qui mangeait la mort |
L’homme qui se nourrissait des livres : portrait de Borislav Pekić Ecrivain aux multiples talents – romancier, nouvelliste, essayiste, dramaturge, publiciste, feuilletoniste, scénariste et auteur de science-fiction – Borislav Pekić a créé un imposant opus littéraire qui constitue, à lui seul, toute une bibliothèque. Abondante et variée, mêlant différents genres, l’œuvre de Pekić nous fait découvrir tout à la fois un érudit à l’esprit encyclopédique qui s’est « armé » de divers savoirs pour tenter de saisir la complexité de l’homme et le sens de son destin historique, un prosateur à l’imagination époustouflante toujours à la recherche de nouvelles formes d’expression, et enfin, un intellectuel lucide, courageux et sceptique qui n’a cessé de s’interroger sur le monde et l’époque dans lesquels il vivait. […] Appréciée par la critique et le grand public en Serbie, l’œuvre de cet écrivain, aujourd’hui considéré comme l’un des romanciers serbes majeurs de la deuxième moitié du XXe siècle, a été récompensée par de nombreux prix littéraires. Traduite en plusieurs langues dont, partiellement, en français, cette œuvre d’une portée universelle attend cependant toujours en France d’être reconnue à sa juste valeur. >Texte intégral< * L’homme qui mangeait la mort : nouvelle […] Apeuré, quelqu’un a chuchoté que l’Incorruptible arrivait. Le temps manque à Popier pour conclure sobrement à la probabilité infime d’une telle visite, il saisit un morceau de papier sur le bureau, emballe son reste de déjeuner qu’il fourre dans la poche, puis, prenant de la liasse le premier arrêt de condamnation du jour, plonge la tête dans le Registre. […] Le soir, dans la soupente du Palais de Justice, d’où l’on pouvait regarder Paris sans pour autant voir la Révolution, d’où tout était affublé des traits sombres, immobiles, rassurants de l’indifférence, avant que ses colocataires montent dormir, Popier s’assit sur son matelas posé sur des planches et sortit de sa poche son reste de déjeuner afin d’en faire son dîner. Il était enveloppé dans une feuille de papier. À l’air familier. Popier la défroissa de sa paume de main car elle était toute chiffonnée et tachée de graisse de fromage. Penché au-dessus de la chandelle, il lut : «Au nom du peuple français…» Il était question d’une pauvre fileuse, une certaine Germaine Chutier, qui avait déclaré devant des témoins patriotes que ce qui lui manquait le plus dans la vie, c’était le roi. À l’audience, elle s’était défendue en prétendant avoir dit le rouet. Le tribunal s’en était tenu à l’idée qu’un roi est plus utile à une fileuse qu’un rouet, et l’avait condamnée à mort. Aujourd’hui, il lui fallait payer sa fidélité au roi. Mais plutôt que montée à l’échafaud, elle était à ce moment couchée sur la paille de la Conciergerie, bien en dessous de son involontaire sauveteur, le citoyen Popier, et dormait en rêvant au rouet qui, davantage que le roi, lui aurait rendu la vie meilleure. Entendant à temps du brouhaha dans le couloir, Popier fourra la feuille de papier sous la couverture. Entrèrent les greffiers Chaudet et Vernéro. […] Si la fileuse Germaine Chutier, elle, dormait à la Conciergerie, bien en dessous de lui, Popier, lui, ne dormit pas. Il veilla toute la nuit, dissimulé sous sa couverture, déchira la feuille en petits morceaux, et, un à un, les mangea. Et ainsi le citoyen Jean-Louis Popier, greffier au Tribunal Révolutionnaire, mangea sa première mort. […] >Texte intégral< * Sous les regards croisés de la critique française : Extraits L’homme qui mangeait la mort est une fable extraordinaire. Une leçon d’histoire, et de littérature. […] Des Balkans à Paris, Borislav Pekic décape la cruauté, la bêtise, tranche dans les désastres. Le tout avec un humour féroce. Ce qui est peut-être bien une forme de tendresse. Martine Laval, Télérama, 14/09/2005. * * * Un récit d’une inquiétante étrangeté pour découvrir Borislav Pekic. […] Rigoureusement fantaisiste, gravement drôle, Borislav Pekic fait du rond-de-cuir Popier un personnage mémorable. Cet art de la fantasmagorie brillante rappelle les doubles sens et les doubles jeux d’un Leo Perutz. J-M. M., Livres Hebdo, 16-23/09/2005 * * * Borislav Pekic réussit, avec brio, à ébranler préjugés et certitudes que l’on pourrait avoir au sujet de la Révolution de 1789. Daniel Leduc, « Borislav Pekic, Le Littéraire.com, 01/10/2005 * * * En moins de cent pages, Pekic décrypte la bêtise avec une jouissance peu commune. Une œuvre de virtuose. Christine Ferniot, Lire, 1er novembre 2005 * * * Pekić, facétieux, jouant d’une érudition toute borgésienne, réussit à transformer sa petite fable historique en implacable réflexion sur le Mal. Olivier Noël, Fin de partie, 03/02/2006.* * * L’homme qui mangeait la mort, nouvelle forte, intelligente et sensible, est un vrai petit bijou, […] une petite merveille d’écriture, astucieusement construite, palpitante de la première à la dernière page, et d’un style tout à fait délicieux… Nebalestuncon.over-blog, 29 septembre 2011. * La mort dans ses petits papiers […] Pekic ne cherche nullement à ménager un mauvais suspens. La fable n’est édifiante que parce qu’elle nous empêche de sombrer dans l’excitation du voyeur et que, dès le départ, il est clair que le brave greffier Popier devra rejoindre à son tour la cohorte des déchus de la Révolution : ce n’était pas là une possibilité pour le scénario, mais sa seule conclusion disponible. […] Naturellement, le piquant de la fable est que la Révolution va ici se heurter à l’un de ses agents les plus irréprochables. La résistance ne viendra pas d’individus héroïques extérieurs au système, mais de l’être le plus docile, le moins soupçonnable, le plus indifférent à ce qui se trame. Nonobstant les apparences, et n’était la chute finale, il pourrait donc bien s’agir d’une fable optimiste, le contrôle social total se révélant impraticable : le plus policier des systèmes viendra peut-être à bout de l’homme, jamais de l’imprévisibilité humaine. Ici, l’individu devient malgré tout, et surtout malgré lui, le meilleur agent corrupteur, l’imprédictible grain de sable qui s’ingéniera à gripper les rouages. […] >Texte intégral< * La mort qui « mangeait » l’homme […] Au fur et à mesure, on assiste à un retournement de la situation dans le conte : ce n’est pas l’homme qui « mange » la mort, mais c’est la mort qui « mange » l’homme dans tous les états possibles. La mort se répand avec la rapidité d’une métastase. Popier en devient dépendant. Le rythme vital se déroule selon le flux et la quantité des « sauvés » face à la mort. Ainsi, la mort est la seule chose qui « vit » et qui structure la narration : autrement dit, la mort « mord », dévore, consume. Popier s’en nourrit, s’endort avec elle, il en jouit. Cependant, le risque est bien évident : la mort « le possède », « le sent », « de tout son être ». Par conséquent, les effets de l’overdose de la mort sont aberrants : perte de la raison, états psychologiques contradictoires chez Popier, qui réapparaissent à la seule pensée à la mort, jouissance extrême et désespoir complet. […] Nul optimisme n’est présent dans cette nouvelle sauf l’attention sous-jacente de l’auteur qui espère que cet exemple d’un « Sisyphe malheureux » emprisonné dans le corps de Popier pourra déclencher une réflexion universelle sur la valeur de la vie qui est donnée comme un don suprême et que personne n’a le droit d’enlever. Expier sa faute, ce n’est pas être puni et libéré à la fois de cette faute par la peine de mort. Expier sa faute, c’est être confronté à elle, vivre avec elle afin de se rendre compte de ses propres actes. Comme l’affirme Albert Camus : « L’important n’est pas de guérir, mais de vivre avec ses maux ». >Texte intégral< * Le pouvoir mortifère de l'écriture […] Nombreuses sont les questions auxquelles Pekić invite son lecteur à réfléchir à travers l’histoire de Jean-Louis Popier. L’homme peut-il préserver son indépendance en se tenant à l’écart de l’Histoire ? Peut-il rester innocent dans des époques tumultueuses ? Lui est-il permis de rester enfermé dans sa tour d’ivoire lorsque le sang coule à flots, avec l’illusion de pouvoir garder les mains propres ? Quelle est la marge de manœuvre des petites gens face aux régimes qui les mettent en situation de devenir co-exécuteurs des actes meurtriers décidés par d’autres ? Serait-il possible de faire quoi que ce soit pour son prochain si l’on s’obstinait à se tenir à l’écart du pouvoir ? En l’occurrence, Jean-Louis Popier aurait-il pu sauver une seule vie humaine pendant la Terreur s’il n’avait pas accepté d’entrer aux écritures du Tribunal révolutionnaire ? Avec un goût prononcé pour le paradoxe et l’aporie, Pekić nous montre que le combat contre les tyrans ne signifie pas nécessairement confrontation directe, refus net de participer aux structures de pouvoir d’un régime détesté. Si on veut faire quelque chose pour son prochain, on ne peut éviter d’approcher quelquefois des tyrans et des despotes, aussi répugnants soient-ils, de les côtoyer, d’adopter leur discours, de mimer leurs gestes… Pekić lui-même s’est hasardé à emprunter ce chemin à un certain moment de sa vie, à l’instar du personnage de sa fiction, en choisissant la même stratégie subversive : il s’est affilié à la Ligue des jeunesses communistes de Yougoslavie, afin de mieux saper de l’intérieur les fondements du régime titiste et contribuer ainsi à sa destruction. En 1949 il fut emprisonné pour son activité antirévolutionnaire et condamné à une peine de prison de huit ans. Il reviendra sur ces années difficiles dans un ouvrage autobiographique Les années mangées par les sauterelles, paru en 1987. […] >Texte intégral< * Le pouvoir de l'histoire dans une histoire sur le pouvoir […] Dans la nouvelle L’homme qui mangeait la mort dont l’action se déroule à l’époque de la Terreur (1793-1794), la période la plus dramatique de la Révolution française, l’écrivain se lance dans une véritable aventure de création littéraire, dans rien de moins que la reconstruction du « palimpseste » né de l’imbrication de l’historiographie officielle – qui, dans son esprit, reflète nécessairement le point de vue du conquérant et du vainqueur – et de la tradition orale qui, malgré son peu de fiabilité, conserve toujours les traces de « la vie reçue en héritage ». Pareillement méfiant à l’égard de l’une et de l’autre dans sa quête créatrice de la vérité, Pekić opte pour une troisième voie. Fort du savoir de l’érudit, aiguillonné par l’instinct de l’archéologue, et versé dans l’art délicat du restaurateur, il se lance à vrai dire dans l’aventure tel un véritable explorateur et, ce, avec un objectif clair : « gratter le parchemin » avec minutie, faire disparaître les couches embrouillées du palimpseste qui ont sédimenté autour de la Révolution française, et, « sous ce qui se voit », mettre au jour l’invisible. En d’autres termes, il tente d’accéder, sous « les traits et l’empreinte de l’histoire visible », à « l’histoire invisible » longtemps oubliée, enfouie sous les couches malaisées à démêler du palimpseste. Cette tentative est digne des plus grands chercheurs, mieux encore, des orpailleurs car, « en grattant le parchemin », Pekić parvient à découvrir le filon qui va le conduire à une découverte précieuse, celle du « cryptogramme ». Appelant alors à la rescousse son imagination et son érudition, il va déchiffrer et (re)construire l’histoire singulière de Jean-Louis Popier, greffier au Tribunal révolutionnaire, histoire qui, par sa puissance artistique, apporte véritablement la preuve qu’« un peuple vaincu entre (malgré tout) dans le futur. » […] >Texte intégral< |
2. ♦ THÉÂTRE : MAJA PELEVIĆ ♦
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Maja Pelević Maja Pelević, née à Belgrade en 1981, appartient à la nouvelle génération des écrivaines dramatiques serbes qui tentent, non sans succès, de renouveler l’écriture théâtrale sur les plans tant thématique que structurel et scénique. Tout en se référant au « théâtre postdramatique », elle opte pour une forme ouverte de texte dramatique construit comme une sorte de collage. L’auteur prolifique, engagée par ailleurs dans le projet collectif « Nova drama » [Nouveau théâtre], Maja Pelević a déjà écrits une dizaine de pièces dont plusieurs ont été montées en Serbie et dans d’autres pays de l’ex-Yougoslavie, ainsi qu'en Allemagne, Angleterre et Russie, notamment : ESCape, Ler / A croume, Budite Lejdi na jedan dan / Soyez la Lady d'un jour, Beograd-Berlin, Deca u formalinu / Enfants dans le formol, Pomorandžina kora / Peau d’orange, Ja ili neko drugi / Moi ou quelqu’un d’autre, Možda smo mi Miki Maus / Peut-être sommes-nous des Mickey Mouse, Čudne ljubavi / Amours étranges, Posledice / Conséquences. […] >Texte intégral< Afin de faire découvrir en France l’œuvre dramatique de cette talentueuse écrivaine, Serbica présente, dans la traduction française, ses trois pièces ainsi qu’un de ses textes autoréférentiels qui illustrent assez bien les singularités de l’univers théâtral de Maja Pelević. * À croume Scène 2 Au night-club « Le Trou ». Vukan et Una, accoudés au bar, boivent un verre. VUKAN : Tu te rends compte que d’ici quelques années je pourrai emballer des meufs nées dans les années quatre-vingt-dix ? Tu sais, ma meuf est née quand on a institué les sanctions… UNA : Tu aimes bien quand même les nanas d’avant-guerre. VUKAN : Les années quatre-vingt-dix ont été nulles à chier. Tu parles, il n’y a eu alors que trois icônes : Kurt Cobain, Quentin Tarantino et Slobodan Milošević. UNA : Et tout le trip techno ? Et expansion d’Internet ? VUKAN : Et la mode des petits boucs chez les mecs. Mais je crains que les années deux mille ne soient encore plus chiantes. Cocktails sucrés et mauvaises mathématiques… UNA : Et le cyber sexe… VUKAN : Tu parles, ça reste de la S.F. Putain, il faut d’abord que les Serbes s’habituent à la cyber existence avant qu’on puisse en parler. Ils ne savent même pas baiser les yeux dans les yeux, alors virtuellement… UNA : Les années deux mille, ce sera pourtant ça. VUKAN : Les années deux mille, ça reste un concept. Tous font semblant d’être enthousiastes, ils suivent les nouvelles tendances, mais nous ne sommes pas allés plus loin que la mcdonaldisation et les barres chocolatées « Mars ». Qu’est-ce que tu crois… […] >Texte intégral< *Belgrade – Berlin : extrait Sur le quai. ELLE HAUT-PARLEUR ELLE Il monte dans le train. Il s’installe dans un compartiment. Elle le suit du regard, mais s’assied pourtant dans le compartiment d’à côté. Ils se tiennent dos à dos, et s’il n’y avait ce mur, ils pourraient se toucher. Elle ferme la porte, tire les rideaux. […] HAUT-PARLEUR Elle se lève et le rejoint dans l’autre compartiment. […] > Texte intégral < * Peau d'orange - extraits […] Avec combien d’hommes avez-vous couché jusqu’à présent ? Combien de femmes ? Combien de calories apportez-vous quotidiennement à votre organisme ? Etes-vous dominatrice ? Au lit ? Dans la vie ? Votre position favorite ? Votre plat favori ? Souhaitez-vous vous marier ? Estimez-vous mener une vie normale ? Souhaitez-vous mener une vie normale ? Définissez-vous. Souhaitez-vous éliminer la peau d’orange à l’aide des dernières découvertes Merci de votre appel et au revoir. […] > Extraits dans leur intégralité < * Subversions du texte-collage dans le théâtre postdramatique Lorsque nous évoquons la forme et la manière dont est abordé le nouveau drame sur les scènes contemporaines, il convient de nous référer à l’ouvrage de Hans-Thies Lehmann, Le Théâtre postdramatique. Cet ouvrage fondamental propose une analyse du drame à travers un panorama des avant-gardes, des performances, et des médias. Ainsi, il éclaire les changements opérés sur la structure dramatique en regard des mutations sociales. Dans cet article, je tenterai d’explorer la forme dramatique par le prisme du théâtre postdramatique tout en me référant à mes propres pièces, de l’écriture jusqu’à la création. A mon sens, la caractéristique fondamentale de la forme du nouveau drame réside en son ouverture et en sa capacité d’appréhender les éléments textuels comme une construction de collages. […] >Texte intégral< |
3. ♦ UN ECRIVAIN – UN LIVRE ♦ Milisav Savić - Le pain et la peur |
Jadis soixante-huitard, aujourd’hui postmoderne : Milisav Savić Jeune intellectuel de province, venu faire ses études à Belgrade, Milisav Savić a réussi très tôt à attirer l’attention du milieu littéraire de la capitale serbe. Doué et provocateur, il s’est vite imposé comme l’un des principaux représentants de « la prose de la réalité », courant dominant dans les années 1970. […] Plus tard, Savić élargira son champ thématique, optera pour un style plus travaillé et plus attrayant, et introduira de nouveaux procédés et modèles narratifs. Attiré de plus en plus par les questions d’ordre éthique, idéologique et existentiel qui se posent au fil de temps face à sa génération, il décide de régler définitivement ses comptes avec ses illusions de jeunesse en se posant dans le même temps en juge impitoyable de l’époque titiste. Ainsi dans Topola na terasi / Le peuplier sur la terrasse (1985) – roman consacré aux manifestations estudiantines de 1968 à Belgrade – il s’attaque sans pitié ni nostalgie à son passé de soixante-huitard avant de faire, dans Hleb i strah / Pain et peur (1991) – roman récompensé par le prestigieux prix NIN – un bilan noir de sa génération, la « génération de Tito », sacrifiée, abusée et désabusée. [...] >Texte intégral< De l’usage des techniques narratives dans Le pain et la peur de Milisav Savić […] Roman ludique et mélancolique, âpre et enjoué, fresque d’une enfance en royaume socialiste (…), Le Pain et la peur, peinture des traumatismes infantiles en société totalitaire, réussit le pari de mettre en lumière, couche après couche, strate après strate, l’épouvante du grotesque, tout en revêtant les formes d’un conte pour enfant… La liaison, l’agencement des chapitres se fait par association d’idées, par flash-back sur fond d’une prise de conscience d’un Exil intérieur. Ces idées elles-mêmes s’articulent autour de deux grandes narrations : l’une est la tradition littéraire (dépositaire, également, de l’identité nationale), l’autre l’idéologie communiste (sous sa forme titiste, avec un internationalisme organisé sous la forme de mouvement des Non-alignés ; avec la mise en place d’une culpabilisation des Serbes en tant que grand-bourgeois, exploiteurs, impérialistes, etc.). L’enfant chemine vers une connaissance du monde et de soi entre l’exil intérieur des adultes (dépourvus de leur culture d’origine, dénié de leur identité culturelle, subissant la greffe à l'échelle nationale d’une idéologie totalisante de la vie) et son propre désir de fuite. L’étrangéisation (narrative, thématique, émotionnelle, symbolique) des rapports à l’écriture et à la lecture s’effectue par le biais du langage et par l’analyse du désir de fuite, qui comprend l’idée de plaisir. La littérature devient dès lors un outil non d’évasion – l’escapisme ici n’est pas de mise – mais de jeu. Il s’agit d’un espace ludique où jeux de sonorités, jeux de mots, contes et nouvelles, histoires de fuites et de retours servent à procurer des délices esthétiques. Entre les deux narrations, entre les deux grandes histoires qui se font face et s’entrechoquent se met en place la narration individuelle : la construction de soi, l’établissement de l’identité. […] >Texte intégral< |
4. ♦ MEMOIRE ET OUBLI ♦
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La Reine de Grèce […] La Reine de Grèce est depuis longtemps fermée et, selon les plus informés, tout s’est totalement effondré à l’intérieur, tout comme le mobilier originel vermoulu et les souvenirs épars, dilués, qui tombent en poussière. Comment avons-nous pu oublier la place qu’occupait ce vieux café, cet hôtel jadis modeste en plein centre d’une ville misérable qui se précipite vers l’Europe, dans le développement culturel de notre petit peuple ? Pourquoi oublions-nous avec autant d’aisance ce que nos prédécesseurs ont su atteindre et obtenir ? […] Chers lecteurs, peut-être trouverez-vous quelque peu outrancier le ton dramatique avec lequel le théologien Baptist Metz pose ses questions qu’il adresse à nous tous qui nous sentons appartenir à la civilisation européenne… […] Seul problème, pas plus que Metz je ne peux croire que l’absence de souvenirs soit indolore car je pressens qu’en profondeur, la douleur fait horriblement souffrir L’HOMME, autant qu’une herbe toxique contre laquelle il n’est pas d’antidote et dont lui, le plus souvent, n’a même pas conscience. Peut-être ne faites-vous pas ce point de vue totalement vôtre. Peut-être pensez-vous qu’il faut effacer toutes les traces qui assurent nos souvenirs. >Texte intégral< |
5. ♦ PARUTION ♦
Ivo Andrić : Chronique de Belgrade |
L’image de la femme dans la Chronique de Belgrade d’Ivo Andrić […] Les sept nouvelles réunies par la Fondation Ivo Andrić dans La Chronique de Belgrade [Beogradske priče, Belgrade, 2013] ont été écrites entre 1946 et 1951, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Elles représentent, dit l’auteur de la postface du recueil, un témoignage artistique original sur une période tragique et les dates importantes de l’histoire récente de Belgrade. […] Même si « Le journal de Grand-père » est supposé se situer en 1994, cette période s’étend en réalité du début du XXe siècle – approximativement 1908 et l’annexion de la Bosnie-Herzégovine par l’Autriche-Hongrie – à la libération de Belgrade en 1944. Ivo Andrić se penche sur un demi-siècle d’histoire, décrit par petites touches la transformation de la société, le développement de la capitale yougoslave, l’évolution des mentalités et des relations au sein de la famille. C’est toutefois à un autre aspect du livre que nous nous intéresserons : l’image que La Chronique de Belgrade renvoie de la femme. Simples silhouettes de passage ou personnages quasi centraux autour desquels s’articule le récit, épouses et mères ou jeunes filles, certaines déplaisantes, voire détestables, d’autres dignes de sympathie, admirables pour leur force de caractère dans l’adversité, une bonne dizaine de personnages féminins défilent au fil des nouvelles. […] >Texte intégral< |
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