SERBICA | |
СЕРБИКА |
|
|
♦ SOMMAIRE ♦ |
*
* |
1. ♦ LE MOUVEMENT ROMANTIQUE SERBE ♦
|
Le romantisme et l’éclosion du lyrisme […] Au milieu des années 1840, le combat mené par Vuk Karadžić pour une littérature écrite en langue populaire entre dans sa phase ultime. De ce point de vue jouèrent un rôle de déclencheurs des livres publiés en 1847 : la traduction du Nouveau Testament, Les Lauriers de la montagne, et les ouvrages de deux jeunes nouveaux venus, Pesme [Poèmes] de Branko Radičević et Rat za srpski jezik i pravopis [Guerre pour la langue et l’orthographe serbes], un traité philosophique écrit par Đura Daničić. L’ère qui débute avec ces œuvres marque la victoire sans appel du romantisme en tant que mouvement littéraire. Alors qu’il n’était jusqu’alors que l’un des courants littéraires assez fortement mâtiné de classicisme, avec l’éclosion de Branko Radičević il se pose en contraire du classicisme et, ce dernier éteint, devient le courant stylistique dominant. Constituent les prémices du romantisme serbe la réforme linguistique de Vuk Karadžić, la poésie populaire et les influences européennes de différentes natures : la poésie allemande, surtout de Heine, Byron et le byronisme, Petöfi, Shakespeare pour le théâtre. Comme d’autres en Europe, le romantisme serbe était expressément lyrique. Le court poème lyrique, autobiographique, patriotique ou méditatif de contenu, constituait la forme principale de la poésie romantique. Au lyrisme étaient subordonnés deux autres genres poétiques, le poème byronien et le drame historique. Le lyrisme caractérise également la prose romantique dont les réalisations sont moins significatives. […] >Texte intégral< |
2. ♦ BRANKO RADIČEVIĆ ♦
1824-1853 |
Branko Radičević ou l'avènement de la nouvelle poésie serbe Branko Radičević est une de ces figures lumineuses et pérennes des lettres serbes dont l’éternelle jeunesse brille par-delà les siècles. Poète novateur à la mort précoce (il meurt de tuberculose à 29 ans !), d’une aisance verbale stupéfiante, il marque par son œuvre l'avènement de la nouvelle littérature serbe dans son ensemble. Délaissant l'expression classiciste et son vocabulaire slavon au profit de la langue vernaculaire et des formes poétiques héritées à la fois de la poésie romantique occidentale (Byron, Schiller, Uhland, Heine, Pouchkine) et de la poésie lyrique orale, il introduit en poésie un nouveau langage, de nouvelles formes, une nouvelle diction et dans un même mouvement introduit une nouvelle manière d'écrire, de percevoir, de ressentir. Son humour, sa jeunesse et sa spontanéité insufflent à ses poèmes une vivacité telle qu'elle fit cas d'école. […] Branko Radičević a introduit dans la poésie serbe plusieurs nouvelles formes (dithyrambe, élégie, romance) et nouveaux thèmes: la vie lycéenne, la vie estudiantine et urbaine, l'insouciance de la jeunesse, l’hédonisme, l'amour, le regret de la fiancée défunte, l'exaltation des plaisirs où se mêlent avec brio poésie bucolique et érotique, un large éventail de sentiments et d’états d’âme, etc. […] >Texte intégral< * Les Adieux des étudiants, un poème dédié à l'intemporel Les Adieux des étudiants [Đački rastanak, 1844] de Branko Radičević se caractérisent par une poésie sublime dans laquelle la réalité crue et tranchée se transforme en réalité lyrique. Tout se dissout et disparaît dans un magma lyrique de sorte que la poésie devient éthérique, au sens de poésie surnaturelle. Du début à la fin tout se passe dans un monde d’imagination mélodique dans lequel les mots prennent un sens inattendu. Le poème est en même temps imaginaire et concret, réel et irréel, sublime et vrai. Cette structure binaire, mariage de fantaisie et de naturalisme apparent, ne saurait être considérée comme une faiblesse, mais comme une richesse. Tout au long du poème, la transformation est continuelle. On passe de la lumière aux ténèbres, de la joie à la mélancolie, de l'élégie au dithyrambe. Dans le choc des couleurs apparaissent de nouveaux rythmes, de nouvelles mélodies, des images poétiques s’agitent donnant une forte sonorité aux rimes. D’abord tout en vagues, le poème s’élève soudainement très haut, dans un état de douceur, tout en conduisant le poète vers la perfection et l’éternité, vers ce que tous les aspirants romantiques veulent atteindre, l'absolue beauté. […] >Texte intégral< * Choix de poésies :
* TRISTESSE ET SOUVENIR
|
3. ♦ ĐURA JAKŠIĆ ♦ 1832-1878 Présentation du poète et de son oeuvre, choix et traduction de poèmes : Boris Lazić |
Poète du drame individuel et des passions inassouvies Peintre, poète, dramaturge et nouvelliste, Đura Jakšić est une figure romantique par excellence. Admirateur de Rembrandt et Rubens en art, de Byron et Petőfi en littérature, auteur à la forte individualité poétique, au lyrisme exalté, rebelle aux conventions, il est le poète du drame individuel et des passions inassouvies.
* Poésie d’une grande puissance émotive Bien qu’il ait œuvré dans tous les genres poétiques avec une égale aisance, la poésie lyrique de Đura Jakšić, représentée par quelques dizaines de poèmes, forme le noyau dur de son art qui demeure dans les limites thématiques du romantisme : le moi, la solitude, la nature (Орао / L’aigle ; На липару / Au bois de tilleul), la femme aimée, la patrie (Падајте браћо / Tombez, frères ; Ћутите, ћут’те / Taisez-vous, taisez), mais aussi les figures spectrales, menaçantes, de la nuit, de la mort (Божији дар / Le don de Dieu ; Мир / Quiétude ; Поноћ / Minuit). C’est le plus personnel des poètes du romantisme serbe, le plus ouvert, le plus franc. […] Sa poésie, riche en sonorités diverses, lorsqu’elle épouse le ïambe décasyllabique, s’abandonne à l’orchestration d’effets de style, de figures, d’épithètes (Отаџбина / La patrie). Dans ses poèmes de la solitude ou de visions spectrales, dans les scènes pathétiques, dans les explosions des passions, des émotions fatales, il aime produire la sonorité rauque provoquée par l’amoncellement de la consonne « r ». Il y a là tout un crescendo de maestria rhétorique, car tout se doit d’être fort, d’être sublime (Поноћ / Minuit). […] >Texte intégral< * Choix de poésies :
|
4. ♦ JOVAN JOVANOVIĆ ZMAJ ♦
1833-1904 |
Un poète au vers musical et éthéré Poète au vers musical et éthéré, à l’aise aussi bien dans la poésie lyrique que dans la ballade, dans l’invective satirique que dans le poème en prose – pour les besoins duquel il crée le beau terme de „prosaïde“ – Jovan Jovanović Zmaj représente le cas de figure du grand poète national dans sa plus belle et sa plus noble acception. Par son œuvre lyrique, par son engagement politique, par la profusion même et la facilité avec lesquelles il évoque aussi bien la réalité des sentiments intimes que les évènements sociaux et politiques de son temps, celui que ses contemporains surnomment „Zmaj“ („le dragon“) présidera plus que tout autre – hormis Njegoš – à l'unification politique des Serbes, à la cimentation de leur identité nationale moderne par-delà les frontières des empires et principautés. […] Le sommet de sa poésie demeure les recueils Ђулићи / Roses et Ђулићи увеоци / Roses fanées, poésies d’amour puis de regrets des êtres chers, disparus, qui, dans le deuxième livre, atteignent des sommets proprement philosophiques. Toutefois, on mesure aussi avec plus de justesse toute la finesse de sa verve satirique et polémique. […] >Texte intégral< * Le journal lyrique de Zmaj par Miodrag Popović Traduit par Armelle Meyer […] Lorsque l'on parle de Roses et de Roses fanées comme de journaux intimes, peut-être vaut-il mieux parler d'écrits purement lyriques plutôt que du récit poétique d'une histoire lyrique concrète, familiale. En surface, Roses est évidemment l'expression des sentiments de Zmaj pour Ruža ; on perçoit à ce premier niveau le bonheur idyllique de la famille bourgeoise. Mais l'intensité des émotions est si forte qu'elle met en sourdine l'idylle sentimentale, si bien que seul le lyrisme poétique est perceptible ; le jeu des images et des sons. Les sentiments raffinés et subtils, emportés dans une véritable musique poétique, se transforment en images sublimes : en elles l'émotion se teinte de mille nuances différentes. L'amour se voit, s'entend, les baisers eux-mêmes chantent. Du noyau lyrique incandescent émane un rayonnement d'amour dont nous sentons la chaleur tout au long du poème. […] Dans Roses et Roses fanées, nous avons deux niveaux de sens lyrique. Au premier niveau se trouvent les émotions du poète, autrement dit les images et la musique à travers lesquelles elles revivent de manière évocatrice. Par ces mêmes procédés visuels et sonores, au plus profond du poème, le poète exprime sa conception de l'amour comme un universel grâce auquel il touche à l'Être – la substance. Pour lui, l'amour est lumière : le murmure des étoiles qui scintillent ; le chant de l'univers ; la prière à Dieu. L'amante idéale descend aussi du ciel ; elle élève au poète un temple de la foi en la vie. Dans l'intimité du lien religieux, Zmaj s'adresse à Elle dans ses vers comme à un être divin qui a réhabilité ce monde dans toute sa splendeur. […] >Texte intégral< * Roses fanées : un ouragan de douleur […] Pour comprendre les Roses fanées, il faut comprendre la particularité du chagrin qui les a fait naître : il n’en existe pas de plus grand, et il ne s’atténue jamais ; il n’existe pas un instant, ni une partie de l’âme qui puisse y échapper. C’est un chagrin absolu, qui change à jamais un homme au plus profond de lui-même. […] Le chagrin dans les Roses fanées est un « trésor maudit » qui enrichit et qui anéantit. Il anéantit, car il met au pied du mur, il fait sortir de la vie ; il enrichit, car l’âme qui souffre reçoit une force inconnue des gens ordinaires avec leurs souffrances ordinaires, elle s’élève de manière supérieure au-dessus des illusions et s’approche de l’essence des choses, elle sort du cercle des vérités toutes faites et relatives et s’ouvre vers une Vérité absolue. Le désespoir absolu ne voit rien d’autre que la mort, et ne pense à rien d’autre qu’à Dieu. La douleur dépasse et réconcilie les opposés et ainsi prépare l’âme à se séparer du particulier et à s’élever vers l’Absolu. Lire les Roses fanées, c’est ressentir et comprendre la puissance de l’âme qui n’a pas d’autre choix que de s’élever parce qu’elle n’a plus nulle part où aller. […] >Texte intégral< * Choix de poésies :
|
5. ♦ LAZA KOSTIĆ ♦
1841-1910
|
La figure la plus achevée du romantisme serbe Poète, dramaturge, traducteur littéraire, journaliste, philosophe et diplomate, Laza Kostić, juriste de formation, est la figure la plus achevée du romantisme serbe… Poète érudit qui atteint tôt à la maturité, il développe une pensée dont l’unité essentielle s’exprime par diverses formes littéraires. Adulé par sa génération puis vivement contesté par la critique positiviste, il sera, après sa mort, porté aux nues par ses successeurs – les poètes modernistes – qui verront en lui l’un des fondateurs de la poésie serbe moderne. […] Ses poèmes et ballades se caractérisent, au même titre que ses pièces dramatiques, par des jeux de sonorité, des néologismes, des paradoxes et figures baroques où l'ironie et la réflexion sont entremêlées à des sentiments souvent élégiaques. […] Héraclitien, philosophe de la beauté funeste et du pancalisme, Laza Kostić voit en tout phénomène la lutte des principes contraires. Il développe l’idée de la synthèse des sphères éthiques et esthétiques, de la pensée et de l’action, ainsi que l’idée du caractère tragique de la beauté. Selon lui, la forme artistique découlerait, conjointement, de « la spiritualisation du corps et d’une pensée rendue charnelle ». […] >Texte intégral<
En mémoire de Ruvarac / Spomen na Ruvarca, 1865 |
En mémoire de Ruvarac
… La porte s’ouvrit en silence,
En silence apparut une ombre blanche –
Non, pas une ombre, un mort. L’épouvantable
Révélation pensait-t-elle étaler sous mes yeux
l’ensemble de ses prodiges,
de ses tueries, de ses résurrections ?
d’un « Bonsoir ! » le spectre me saluait :
je connaissais la voix ;
comme la brise de minuit qui, par les sépulcres,
ébranle des saules les blancs cristaux ;
je connaissais la voix ; ainsi respirait
dans ses heures dernières
Ruvarac Kosta
« Bonsoir » ! et sous le linceul,
il me tendait un squelette en guise de salut […]
|
Le tombeau de Kosta Ruvarac
« …Eveillez-le ! ---- Attends ! Surtout pas ! Et même si tu pouvais de ta main de mortel éveiller, raviver la mort elle-même, écarter la borne inchangeable qui déchire en deux l’univers, si tu pouvais de ta main téméraire arracher du visage de Dieu l’immaculé voile et nous en montrer le revers, si même cela une force mortelle le pouvait – pas même alors, pas ainsi, pas de la sorte ! Ne le réveillez pas, ayez pitié de lui ! Laissez-le profiter selon son bon désir après la rude école de ces vacances-là… *
|
*
Choix de poésies :
Parmi le rêve et le réveil et autres poèmesTraduit par Kolja Mićević
- extraits -
JE REVE, JE SONGE... СНОВЕ СНИВАМ Je rêve, je songe, je fais les rêves, les songes perlés, en rêve je vis, en rêve je respire, ces petits rêves j’aime faire-les mais je n’arrive pas à les écrire. Je dois rêver, je dois songer, j’en aimerais les images forger, mais mes rêveries sont brèves, je n’arrive pas à les faire loger plus longtemps en mon cœur ailé. Mais penche tes seins vers les rêves miens, tes seins perlés, ces deux froides perles-gouttes : ce froid rendrait ces rêves gelés, il glacerait ces images toutes. |
PARMI LE RÊVE ET LE RÉVEIL МЕЂУ ЈАВОМ И МЕД СНОМ O mon cœur abandonné, qui t’appela devant mon seuil ? fileuse de rêves sans fin toi qui files des fils tant fins parmi le rêve et le réveil. O mon cœur encor fou, que fais-tu de fils pareils ? telle la fileuse tranquille, ce que jour file, nuit effile, parmi le rêve et le réveil. O mon cœur courroucé, évite-moi ce dur écueil ! car alors comment se fait-il que je te perds dans tous ces fils parmi le rêve et le réveil ! |
6. ♦ UN POÈME – QUATRE TRADUCTIONS ♦ SANTA MARIA DELLA SALUTE |
« Du néant au paradis » Prêt déjà pour la publication, le manuscrit d’une édition spéciale des poèmes de Laza Kostić, parue en 1909, a attendu dans l'imprimerie plus de deux mois pour que le poète y ajoute un dernier poème, Santa Maria della Salute, sans lequel son recueil lui semblait incomplet. La critique littéraire serbe mit une vingtaine d'années avant de remarquer ce poème. Il lui fallut presque autant de temps pour se rendre compte que le poète n'avait pas attendu deux mois, mais presque cinquante ans ! Car s'il ne l'avait pas enfanté, son œuvre antérieure n'aurait pu briller de « ce nouvel éclat » (T. Manojlović) détecté par la suite. […] Dans son dernier poème, dans les derniers mots de sa vie et de sa poésie, Kostić a peint le sentiment de bonheur extatique d'unité avec le Dieu et le cosmos, un état de l’être accompli et exempt d'aspiration, où l'on n'attend plus rien de la vie… Le poème tout entier Santa Maria della Salute est, par conséquent, le regard sur la vie du point de vue de la sur-vie, la confession de l'âme transformée par la connaissance ultime surpassant toute connaissance, par ce qui n’est dit « ni dans l'écrit, ni dans le chant lui-même », ce que « seul pressent le prophète extasié ».
* Quatre traductions de Santa Maria della Salute
|
Revue éditée avec le soutien de : Université Bordeaux Montaigne |