Chilandar, Mont Athos Notre choix
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Teodosije de Chilandar est un auteur majeur de la littérature médiévale serbe dont on sait néanmoins fort peu de choses, si ce n’est qu’il a été un moine de Chilandar (le monastère serbe du Mont Athos) et qu’il a œuvré entre la fin du XIIIe et les premières décennies du XIVe siècle. Auteur de vies de saints et d’hymnographies, écrivain hors pair, il se distingue par un style expressif, peu rhétorique, avec quelques éléments réalistes et profanes, et qui donne un relief romanesque vif et imagé, psychologique et suggestif à la fois, à ses héros et à leurs prouesses et engagements spirituels. L’un des auteurs les plus prolixes de cette période, Teodosije est l’auteur de deux importantes vies de saints, trois acolouthies, neuf canons et une louange. L’une des caractéristiques de son travail littéraire est le jumelage des deux cultes fondateurs, ceux de Siméon le Myroblyte et de Sava Ier archevêque, fondateurs de l’État (ainsi que de la dynastie némanide) et de l’Église de Serbie. Une légitimation sacrale de l’Église et de l’État à travers la solidarité de ses deux cultes fut la motivation à l’origine de cette vaste entreprise littéraire. L’œuvre maîtresse de Teodosije est La Vie de Saint Sava, composée selon les règles strictes de l’hagiographie byzantino-slave. Faisant partie des vies étendues et élaborées, elle comprend la « vie et œuvres » (Βιος και πολιτεια), dont notamment la vie dans l’ascèse, mais aussi le récit de voyage du saint, ainsi que celui de ses miracles. La vie du père (Siméon) est associée à celle du fils (Sava) dès le titre de l’ouvrage, signe tangible de la volonté de mise en valeur et du jumelage de leurs deux sacerdoces dans la grâce eschatologique. Cette œuvre majeure de l’hagiographie slavo-byzantine eut une importante diffusion dès son époque, comme en témoigne le nombre relativement important de manuscrits dont on dispose de nos jours, une trentaine. La Vie de Saint Pierre de Koriša, deuxième œuvre hagiographique de Teodosije, est consacrée à la vie d’un anachorète du début du XIIIe siècle de la région méridionale du Kosovo (la montagne au sud de la ville de Prizren), que l’auteur s’est employé à reconstituer à l’aide d’une enquête réalisée sur les lieux mêmes, y compris grâce au témoignage des disciples du saint. L’exploit spirituel y est mis en relief notamment par l’opposition de l’amour christique et de celui de l’amour familial, contradiction psychologique qui acquiert ici les proportions d’un drame antique. La description de la nature sauvage de l’environnement offre une toile de fond de tournure cosmique à ce drame spirituel et moral. Deux des trois acolouthies rédigées par Teodosije sont également consacrées à Saint Sava et Saint Siméon. Composées vraisemblablement au cours de la première décade du XIVe siècle, elles ont assez rapidement replacé tous les offices antérieurement composés en dédicace des deux saints fondateurs. Structurés sous forme « hiérosolymitaine », les deux offices comprennent un nombre optimal de stichères, selon la règle « pour le grand saint », avec petites et grandes vêpres, au cours desquels est prescrite la lecture de parimies, avec agrypnie (= office de toute la nuit, comprenant un canon), et la Liturgie, y compris deux canons originaux (incluant le nom de l’auteur). Le jumelage des deux cultes est exprimé par l’adjonction de l’autre saint à l’exaltation du saint en titre. Parmi les neuf canons composés par Teodosije, il convient de citer en particulier les Canons octoèques à Saint Siméon et à Saint Sava et le Canon commun au Christ, au Saint Siméon et à Saint Sava. Le premier témoigne de la mise en œuvre d’un office quotidien dédié aux deux saints dès le XIVe siècle, ce qui implique un culte intensif, dont la mise en pratique est habituelle sur les lieux mêmes du culte, à Chilandar et à Studenica. Quant au second canon, il est inclus dans l’agrypnie (office de toute la nuit) dans la tradition scripturaire des XIVe-XVe siècles. Cette composition hymnographique exprime particulièrement le jumelage des cultes des deux figures « sacerdotales », unies liturgiquement au Christ, qui est à l’origine de leur sainteté à laquelle il donne tout son sens. La diffusion de ces cultes fondateurs est par ailleurs confirmée par l’impression de ces textes à Venise en 1776 (par les soins de Teodosije le Jeune). Une place importante dans l’abondante œuvre de Teodosije appartient également à l’Éloge de Siméon et Sava, un texte rhétorique, composé, lui aussi, selon les normes du genre byzantin mais dont l’usage liturgique n’est pas précisé dans les manuscrits connus à ce jour. Il s’agit vraisemblablement d’un ouvrage destiné à une pratique liturgique de vie monastique (au réfectoire ou à l’église), à l’origine d’une tradition scripturaire dont on a pu observer l’extension dès le XIVe siècle. Sa diffusion, de concert avec La Vite de Saint Sava, œuvre majeure de Teodosije, atteint la Russie au XVIe siècle. ♦ Bibliographie.V. Mošin, “Starac pop Teodosije i hilandarska bratija načelna” [Le starec, pope Teodosije, et la “confrérie principale” de Chilandar], Južnoslovenski filolog, knj. XVII (1938-1939), p. 189-200 ; Dj. Sp. Radojičić, “O starom srpskom književniku Teodosiju” (Sur l’ancien écrivain serbe Teodosije), Istoriski časopis, 4 (1954), p. 13-42 ; M. 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