Vie de Saint Sava (La) / Žitije svetog Save (fin XIII e - début XIV e s.) – Teodosije de Chilandar

   Teodosije - Sveti Sava   


     

 

Teodosije de Chilandar
 
La Vie de Saint Pierre
de Koriša


Texte de cette vita 
original 2
en serbe
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L’œuvre la plus lue et copiée au Moyen Age et, sans conteste, l’un des meilleurs ouvrages de toute la littérature serbe médiévale, La Vie de Saint Sava du moine athonite Teodosije, pourrait être considérée comme une excellente biographie romancée. Par son style imagé et captivant, son étendue considérable, sa narration élaborée et riche en rebondissements, ainsi que par l'émergence des éléments de style profane en alternance avec des thèmes religieux, l'ouvrage principal de Teodosije tient lieu en effet d'un véritable roman médiéval.  

Écrite à la demande du Conseil Sacré de la communauté de Chilandar, La Vie de Saint Sava de Teodosije – vita consacrée, pour une large part, à Siméon-Nemanja également – est conçue comme une hagiographie développée selon toutes les règles de l’art. Les éléments principaux de sa structure ainsi que sa source principale sont déjà énoncés dans son titre même : « La vie et les œuvres dans le désert avec le père [Siméon-Nemanja], les voyages particuliers et en partie le récit sur les miracles de notre père Sava, qui furent racontés par le bienheureux Domentijan, hiéromoine du monastère nommé Chilandar, et écrits par Teodosije, moine du même monastère ». C’est dans le titre également qu’apparaît l’idée de la symétrie sacrée de deux saints – Saint Sava et Saint Siméon-Nemanja – liés particulièrement à cette ascension à la lumière incarnée, dans leur sanctification. C’est le point de départ de « l’idée de la sainte lignée, à l’origine de la notion de la dynastie charismatique particulière à la Serbie médiévale » (D. Bogdanović).  

En relatant la vie de deux saints, dont les liens affectifs sont érigés en vertu de prédilection, Teodosije met l’accent sur leur unité spirituelle, celle qui doit permettre de surmonter les différences entre les deux hommes, le fils et le père : différence d’âge et de vocation en premier lieu. Sava a la vocation spirituelle dès sa prime jeunesse ; quoi que fort jeune, il a une solide expérience monacale. Siméon, lui, est un souverain ; retiré du monde, il pense et agit en homme d’État. La vertu, la sainteté de Sava accrédite celle de son père, aide à promouvoir l’idéal évangélique dans un contexte d’idées politiques relatives aux notions de la royauté et de la souveraineté.  

Selon Teodosije, topos de la littérature hagiographique, la naissance de Sava est providentielle. En narrant sa vie exemplaire, il recourt fréquemment aux références bibliques, le plus souvent vétérotestamentaires, afin de conforter la signification sacramentelle de son récit. Ainsi, les parents de Sava – Nemanja et son épouse Anne – sont comparés à Abraham et Sarah. Ou encore, l’épisode racontant comment le jeune prince Rastko (Sava) a trompé la vigilance de ses poursuivants envoyés par son père pour le ramener du Mont Athos de gré ou de force : dans cet épisode à consonance initiatique, le geste du jeune Rastko est mis en parallèle avec celui de Jacob s’appropriant par la ruse la bénédiction d’Isac aux dépens de son frère aîné, Esaü.  

Inspirée en partie par l’œuvre homonyme de Domentijan et écrite un demi-siècle plus tard (fin XIIIe-début XIVe s.), La Vie de Saint Sava de Teodosije est à bien des égards aux antipodes de celle de son maître et prédécesseur. Les différences apparaissent surtout dans le contenu du texte, dans les informations historiques, dans le style et dans la structure de l’œuvre. Contrairement à Domentijan, Teodosije brosse, avec son style expressif et vif, des portraits psychologiques nuancés et parfaitement personnalisés de ses protagonistes. Les éléments réalistes et descriptifs qu’il utilise dans cette hagiographie, ainsi que le sens poussé de l'individualisation, donnent lieu à des tableaux aux profils psychologiques exceptionnels des principaux personnages. Orienté plus particulièrement vers le monde matériel avec sa sensibilité « humaniste », la prose de Teodosije contraste également avec la composition complexe, chargée de longues digressions théologiques et de nombreuses digressions idéologiques, de Domentijan. De même, la mystique de ces deux moins athonites provient de sources différentes : « si l’on peut qualifier la mystique de Domentijan de ‘cérébrale’, celle de Teodosije est plutôt une ‘mystique du cœur’, imprégnée d’un amour fervent de Dieu et de son athlète christique, Saint Sava, ainsi que pour le Mont Athos » (Dimitrije Bogdanović). Enfin, il convient de souligner encore une différence notable dans l’approche de ces deux grands auteurs du XIIIe siècle : alors que Domantijan a écrit deux hagiographies consacrées respectivement à Saint Sava et à son père, Teodosije a procédé différemment : il a inclus la vie de Stefan Nemanja dans son récit sur le premier archevêque de Serbie. Ce choix a été fait au moins pour deux raisons : d’une part, parce que c’est à cette époque qu’un culte « jumelé » de deux saints, saint Siméon et Saint Sava, commence à se former progressivement et, d’autre part, par le fait même que la « double » hagiographie des deux saints, rédigée par Domentijan, avait dû en dissuader Teodosije. En effet, ayant eu une connaissance approfondie de l’œuvre de son prédécesseur, ce dernier ne pouvait manquer de se rendre compte que les deux hagiographies présentaient de nombreuses répétitions et juxtapositions, ainsi que surtout du fait que les deux vitae ne pouvaient plus être dissociées.  

En dehors des qualités littéraires reconnues, une des caractéristiques importantes de cette œuvre de Teodosije est également son “historicisme”, un élément essentiel des hagio-biographies serbes médiévales, au point que certains spécialistes ont contesté leur appartenance au genre hagiographique. Quoi qu’il en soit, avec cette vita ainsi qu’avec ses textes hymnographiques, Teodosije marque le jumelage des deux cultes fondateurs de la Serbie némanide.

Manuscrits

Sur une trentaine de ms de cette œuvre, avec au moins autant de rédaction russe, mais aussi bulgare et roumaine.  

La copie de Teodul (moine de Mont Athos), dûment datée de 1336, a été perdue à la fin du XIXe siècle, après la mort de Djordje Djordjević qui avait entrepris d’en faire une édition critique à l’aide d’un autre ms daté des années soixante du XIVe siècle. Quelques fac-similés du ms., de 1336, y compris celui de la page contenant la note avec la date et la signature du copiste, sont conservés à Moscou, dans la Collection de Sevastianov.   

Conservé à la Bibliothèque nationale de Belgrade, le ms du XVe siècle, qui a servi à l’édition de Daničić, a été victime de l’incendie du 6 avril 1941 dû au bombardement de la Wehrmacht.  

Ms (daté de 1370-1375) dans un recueil de vie de saints, comprenant entre autres La Vie de Saint Siméon-Nemanja par Domentijan, l’Éloge des Saints Siméon et Sava par Teodosije, le Typikon de Chilandar de Sava Ier, ainsi qu’une note du scribe, le moine (taha) Marko, Zbornik žitija (Taha-monaha Marka), papier, 326 f°, 27 sur 21cm, NBS, Рс 17.  

Ms faisant partie d’un ménée de fête (253 f°), comprenant une partie liturgique (datée de 1525) avec les offices de Jefrem, Sava, Siméon, Arsenije, Jevstatije, Nikodim ; et une partie hagiographique (deuxième quart du XVe siècle) avec les vies des archevêques de Serbie Jefrem, Arsenije et Sava, ainsi que celle de Siméon, 253 f°, 28 sur 21cm, 852 (NBS 18).  

Žitija svetih (recueil de Vie des saints ; « Zlatoustovac »), XVIe siècle, papier, 278 f°, 22 sur 15 cm, PB = Patrijaršijska biblioteka (=Bibliothèque du Patriarcat de Belgrade), 234 (PB 128).  

Žitije svetog Save od Teodosija (Vie de Saint Sava par Teodosije), 1508, papier, 248 f°, 21 sur 14 cm, Stara crkva (= Eglise orthodoxe serbe à Sarajevo), (245 [SC 18/24]).  

Žitije svetog Save od Teodosija, premier quart du XVIe s. (ms incomplet), papier, 86 f°, 27,8 sur 18cm, 248 NBS (=Bibliothèque nationale de Serbie), n° 32.  

Žitije svetog Save od Teodosija, XVIe s., papier, 216 f°, 31 sur 21cm, Pljevlja (Monastère de la Sainte Trinité à Pljevlja), 247 n° 34.  

Žitije svetog Save od Teodosija, vers 1650, papier, 259 f°, 20 sur 155 cm, NBS, n° 54 ;   

Zbornik (Recueil), deuxième moitié du XVIe s., papier, 302 f°, 32,5 sur 21,5 cm, 315 Pjevlja n° 104.

 Bibliographie : V. Mošin, “Starac pop Teodosije i hilandarska bratija načelna” [Lestarec, pope Teodosije, et la “confrérie principale” de Chilandar]Južnoslovenski filolog, Belgrade, knj. XVII (1938-1939), p. 189-200 ; Dj. Sp. Radojičić, “O starom srpskom književniku Teodosiju” (Sur l’ancien écrivain serbe Teodosije), Istoriski časopis, 4 (1954), p. 13-42 ; M. Dinić, “Domentijan i Teodosije”, Prilozi za književnost, jezik, istoriju i folklor, XXV (1959), p. 5-12 ; A. Cronia, Le più belle pagine della letteratura serbocroatica, Mailand, 1963, p. 17-23 ; Cornelia Müller-Landau, Studien zum Stil der Sava-Vita Teodosijes. Ein Beitrag zum Erforschung der altserbischen Hagiographie, Munich, 1972 ; H. Birnbaum, “Byzantine tradition transformed: The old Serbian Vita”, in Aspects of the Balkans. Continuity and Change, edited by H. Birnbaum and S. Vryonis Jr., La Haye – Paris, 1972, p. 243-284 ; M. Matejić, Biography of S. Sava, Columbus 1976, p. 109-111 ; Dj. Trifunović, “Teodulov prepis Teodosijevog Žitija Svetog Save” (La Vie de Saint Sava dans la copie de Teodul), Hilandarski zbornik, 4 (1978), p. 99-108 ; T. Butler, Monumenta serbocroatica, Ann Arbor, Michigan, 1980, p. 55-60 ; D. Bogdanović, Inventar ćirilskih rukopisa u Jugoslaviji / XI-XVII veka / (Inventaire des manuscrits cyrilliques en Yougoslavie – XIe-XVIIe siècle), Belgrade, 1982, p. 39 n° 367 (1370/75, copie du scribe Marko, avec l’Éloge des Sts. Siméon et Sava), p. 67 n° 852 (deuxième quart du XVe s.), p. 31 n° 234 (XVIe s.), n° 245 (1508), n° 246 (extrait, XVIe s.), n° 247 (XVIe s.), n° 248 (XVIe s. incomplet), n° 249 (v. 1650), p. 105 n° 1520 (milieu du XVIe s.), p. 36 n° 315 avec l’Éloge des Sts. Siméon et Sava (deuxième moitié du XVIe s.) ; Nadežda Sindik, “Još jedan prepis Teodosijevog Žitija svetoga Save”, in Studenica et l'art Byzantin autour de l'année 1200, Belgrade, 1989, p. 107-124 ; Lidija K. Gavrjušina, « Žitie Savvi Serbskogo v russkoi agiografii XVI v. », Prilozi Proučavanju srpsko-ruskih književnih veza X-XX veka, Matica Srpska, Novi Sad, 1993, p. 79-103 ; B. I. Bojović : L’idéologie monarchique dans les hagio-biographies dynastiques du Moyen Age serbe, Pontificio instituto orientale, (Orientalia christiana analecta, 248), Roma, 1995, p 167-180, 417-459 ; G. Podskalsky, Theologichte Literatur des Mittelalters in Bulgarien und Serbien 865-1459, Munich, 2000, p. 376-386; B. I. Bojović, Histoire et eschatologie / Uсторија и есхатологија, De l’histoire et de la littérature du Moyen Age sud-slave / Из историје и књижевности јужно-словенског средњег века, Paris-Vrnjačka Banja 2008, p. 265sq., 311-312 ; I. Špadijer, ”Хронолошки оквири књижевног рада Теодосија Хиландарца” (The literary work of Theodosios of Hilandar: Chronological framework), Prilozi za književnost, jezik, istoriju i folklor (2010), p. 3-16.

Boško I. Bojović

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