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Avec Petar Kočić et Ivo Andrić, Branko Ćopić fait partie de la grande triade d’écrivains serbes de Bosnie qui a fortement marqué la littérature serbe du XXe siècle. A l’instar de ses deux célèbres prédécesseurs, Ćopić est resté, toute sa vie durant, viscéralement lié à son pays natal – la Krajina bosniaque – pays qui se transformera dans son œuvre en un véritable microcosme dépeint avec un amour généreux et un humour joyeux, naturel et spontané rarement teinté d'ironie. C'est également dans ce pays retiré, rendu pauvre par l’histoire tourmentée bosniaque, que l’écrivain trouvera les prototypes de ses héros hauts en couleur, porteurs, malgré les conditions défavorables, d’une extraordinaire vitalité qui les rend capables d’exploits et, parfois même, d’une véritable noblesse d’âme. Ecrivain fécond, lu et apprécié par un large public, Ćopić a légué à la postérité une œuvre considérable qui mêle différents genres : poésies, nouvelles, romans, contes et poèmes pour enfants. C’est à la fin des années trente, alors qu’il est étudiant à Belgrade, qu’il se fait connaître par la publication successive de trois recueils de nouvelles : Sous le Ggmeč [Pod Grmečom,1938], Les combattants et les fuyards [Borci i bjegunci, 1939] et Les montagnards [Planinci, 1940]. Ces premiers récits montrent déjà un conteur-né qui s’inscrit certes dans la tradition réaliste mais qui cultive aussi un style qui lui est propre, tant spontané que captivant. Durant la Deuxième Guerre mondiale, Ćopić rejoint les partisans de Tito et devient l’un des plus célèbres poètes de la lutte de libération nationale. Après la guerre, enthousiasmé par la victoire et par les idéaux proclamés par les idéologues de la « nouvelle société socialiste » auxquels il adhérait sincèrement, il tente de dénoncer, dans une série de récits satiriques publiés en 1950, les abus d’une certaine caste communiste aveuglée par le pouvoir. Aux yeux de celle-ci, c’était là une « hérésie » dangereuse et impardonnable. Même le président Tito n’hésita pas à mettre en garde publiquement l’écrivain « égaré » ! Après ce sévère rappel à l’ordre qui le traumatisa profondément, Ćopić ne tentera plus, du moins publiquement, de critiquer « les déviations » dans la société et encore moins de défier les acolytes du régime titiste. Mais il continuera à écrire et, dans les deux décennies qui suivent, publiera plusieurs recueils de poèmes et de nouvelles ainsi que quatre romans parmi lesquels il faut mentionner en particulier La Brèche [Prolom, 1952], une large fresque épique sur la résistance et l’héroïsme des petites gens de la campagne, et La Huitième offensive [Osma ofanziva, 1964], récit humoristique sur la colonisation des montagnards bosniaques en Voïvodine et sur le retour des « héros » à la réalité de la vie quotidienne. Parmi ses œuvres narratives, une place à part revient à son dernier livre, un recueil de nouvelles intitulé Un Jardin couleur de mauve [Bašta sljezove boje, 1970]. Dans ce livre, Ćopić évoque, avec une rare force poétique, les souvenirs lointains de son enfance qui se présente, dans la vision de l’écrivain, comme un merveilleux monde de liberté, de rêve et d’innocence, un monde sans limites et sans interdits truffé de mystères. Dans ce « jardin de l’enfance », incarnation même du jardin d’Eden à jamais disparu, la place centrale est occupée par la figure saisissante d’un vieillard généreux, le grand-père Radé, l’ange gardien du paradis perdu. Cette œuvre ultime, ce chant du cygne nostalgique d’un écrivain vieillissant et désillusionné où le pathétique est parfaitement maîtrisé par un humour habilement dosé, n’a pourtant pas laissé présager de la mort tragique de son auteur, survenue une dizaine d’années plus tard : le 26 mars 1984, Ćopić s'est donné la mort en sautant dans le vide, d'un pont belgradois. Sa disparition reste, jusqu'à nos jours, voilée d'un mystère impénétrable. ♦ Etudes et articles en serbe. Vladimir Bunjac : Jeretički Branko Ćopić, Narodna knjiga, Belgrade, 1984 ; Radovan Popović, Put do mosta, Belgrade, 2009 ; Voja Marjanović, Romani Branka Ćopića, Banja Luka, 2015 ; Vedrine i sete Branka Ćopića : zbornik, dir. Mihajlo Pantić, Belgrade, 2015 ; Voja Marjanović, U društvu sa Ćopićem : razgovori i sećanja, Belgrade, 2015.
Milivoj Srebro |