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La Chambre de Bernardi est une œuvre tissée à la manière d'un patchwork au gré des bizarreries du narrateur où toutes les audaces sont possibles. On navigue entre passé et présent dans une sorte de déambulation déroutante au petit bonheur de la langue inventant ses tours. Le roman se déploie de façon musicale, dans l'interpénétration des événements, des réflexions, des couleurs, des formes du design, avec de subtiles et très discrètes insinuations érudites, des clins d’œil au lecteur. Tout cela est surplombé par l'image de l'océan comme l'incarnation spirituelle d'une liberté inconditionnelle qui obsède le personnage par delà les misères bien concrètes de son existence. Une situation sociale et psychologique qui permet à l'auteur de remettre en cause toutes les valeurs, d’exercer en sous-main une critique acerbe de la société, des intérêts mesquins qui déterminent les comportements (on est dans la Yougoslavie socialiste où la politique préoccupe les esprits et promet des promotions rapides à des postes élevés, mais à quelles conditions ?) Le narrateur se considère comme un rebut de la société. Il revendique ce statut: être au plus bas de l'échelle sociale – c'est-à-dire nulle part – est la condition pour atteindre les sphères supérieures de l'esprit auxquelles il aspire et à quoi, par moments, grâce à sa capacité à se détacher de tout, il parvient. L'histoire de Pišta Petrović dont le nom lui-même est absent durant la plus grande partie du roman où, pourtant, au fil de la lecture se révèlent toujours de nouveaux aspects du personnage dans un mélange de réalité et de fantaisie, est, par une dernière originalité de l'auteur résumée enfin de façon chronologique en deux pages dans le tout dernier chapitre qui porte le titre Bagatelle, uniquement pour les impatients. Dont la première phrase est : Qui est Pišta Petrović ? Inutile de reproduire ici cette histoire. Mais, pour donner un bref aperçu du roman, il faut dire qu’il n’est pas sans rebondissements. Après les embrouilles avec ses "invités" qui avaient envahi son lieu au point de le contraindre à dormir dans la carcasse de sa Mercedes abandonnée, il obtient une lettre d'expulsion. Son père ayant quitté le service militaire et s'étant exilé à l'étranger où il est mort, l'appartement est repris par l'Etat. Cette fois-ci, il ne lui reste en effet comme seul abri que la vieille carcasse devant la maison. Le moment est venu de se séparer du mobilier de Bernardi, qu'il décide contre toute logique d'offrir en cadeau au marchand de meubles qui lui avait téléphoné à plusieurs reprises pour en négocier le prix. Celui-ci lui laisse néanmoins dans la boîte à gants six milles euros qu'il découvre avec surprise et non sans joie. Mais, lorsqu'il se présente à la banque, on constate qu'il s'agit de faux billets et il est immédiatement incarcéré. Il n'a nulle envie de se défendre. Par bonheur, on finit par retrouver sa mère qui met au clair la situation et l'amène dans sa communauté hippie où désormais il n'y a plus que des femmes. Mais une fois arrivé là-bas, après une longue pérégrination, on lui explique qu'il doit subir une épreuve, un acte symbolique, condition nécessaire pour appartenir à la communauté, en fait, la simulation d'une crucifixion. Trois jolies femmes arrivent pour exécuter le rituel. Du moment où on lui affirme qu'il n'y aura pas de sang, il ne lui reste qu'à accepter. Il apprend à sa stupéfaction que la communauté survit grâce au tourisme. Il s'agit en fait tout à la fois de maisons d'hôtes et d'un institut de beauté. Les candidats à la crucifixion sont très nombreux, le prix de cette "purification" de l'âme se monte à cent euros. Il découvre, par bonheur, derrière les bâtiments principaux, une petite baraque en métal, où les belles exécutrices du rituel s'entraînent à tirer avec un pistolet à air comprimé. Sa mère lui explique que cet exercice est très favorable à la concentration. Il décide de s'essayer à cette activité. Il conclut : "En effet, sans précision, sans exactitude rien ne vaut ! Viser le centre, et rien de plus. Ce qui m'a toujours manqué." Curieuse fin du roman. On ne peut pas ne pas songer à Beckett, à Pinget, à Gailly… en terre balkanique.
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