LE LIVRE DU MOIS : JANVIER 2016 |
L'Age d'homme édition bilingue Classiques slaves 400 pages 2015
|
Borislav Pekić L'HOMME QUI MANGEAIT LA MORT Čovek koji je jeo smrt Traduit du serbo-croate par Mireille Robin Petar II Petrović Njegoš LE FAUX TSAR ŠĆEPAN LE PETIT ЛАЖНИ ЦАР ШЋЕПАН МАЛИ édition bilingue Traduit du serbe par Vladimir André Čejović et Anne Renoue L'Age d'homme, 2015
Borislav Pekić L'HOMME QUI MANGEAIT LA MORT Čovek koji je jeo smrt Traduit du serbo-croate par Mireille Robin
Extrait de la préface de Petar II Petrović Njegoš
Šćepan le Petit était un affabulateur et un aventurier qui rendit célèbre l’époque où il vécut au Monténégro en se proclamant tsar russe. Personne n’a encore écrit l’histoire de sa vie dont les principaux faits n’ont été conservés que dans des récits oraux. […] L’importance des événements et l’étrangeté de Šćepan avaient fait naître en moi le désir d’écrire quelque chose sur lui. Mais si le hasard ne m’avait mené à Venise au début de l’année 1847, je n’aurais rien eu d’authentique à révéler à mon peuple à son sujet. Une fois arrivé chez les Vénitiens, je n’ai pas ménagé mes efforts et j’ai réussi à pénétrer dans les immenses Archives de l’ancienne république de Venise. […] Cinq ou six courageux scribouillards ont fureté pendant trois semaines dans tous les recoins des Archives et recopié tout ce qu’il était possible d’y trouver sur l’étrange Šćepan et sur d’autres faits concernant le yougoslavisme. […] On est frappé d’étonnement en lisant tout ce qui a été écrit sur cet homme étrange, nommé tantôt « tsar » tantôt « empereur », quand on voit à quel point il leur a brouillé la cervelle. J’ai écrit cette œuvre en l’an 1847, et je la donne aujourd’hui au monde, à Trieste, le jour de Spasovdan de l’an 1850.
Le Faux tsar Šćepan le Petit par Isidora Sekulić […] Nous nous demandons encore : comédie, drame, poème satirique ? Dans Šćepan le Petit il n'y a pas d'intrigue centrale, il n'y a pas de héros principal, pas de personnage qui parle pour l'auteur, pas de passion individuelle annonçant un destin fatal et une mort héroïque. La comédie est collective, la faute est collective. En plus du perroquet on pourrait inscrire dans la liste des personnages le "brouillard" que Šćepan sème dans la tête des Monténégrins qui l'entourent, et dans celle des Turcs. Mais nous avons des vers tranchants, lourds de sens, sombres du destin d'un peuple rude, et aussi des vers légers, ailés, pleins d'un humour joyeux, ou encore terrifiants et chargés d'un humour amer. […] Si nous nous en tenons à la description des Monténégrins, nous pouvons dire que Šćepan le Petit est un complément à La Couronne de la Montagne. Dans La Couronne de la Montagne, les Monténégrins sont décrits à travers le prisme d'une haute poésie épique. Dans Šćepan le Petit, ils sont montrés sans pathétisme, avec un sens de la réalité et de la psychologie au quotidien. Dans les deux œuvres, nous trouvons comme point de départ un évènement historique : dans La Couronne de la Montagne l'extermination des poturice à l'époque du prince-évêque Danilo I, et dans Šćepan le Petit le court règne du faux tsar. Dans les deux œuvres, les batailles et les victoires restent dans les coulisses. Nous n'y voyons pas de campement militaire, de tentes dressées, pas de sentinelle. Nous n'entendons ni les tirs de fusils, ni le piétinement des marches militaires, ni le chant des combattants, ni, comme dans le Henry V de Shakespeare, le morne et funeste silence entre les lignes ennemies. Dans La Couronne de la Montagne, tout est lumineux ou tout est sombre, tout est ivresse de l'aspiration. Dans Šćepan le Petit, Njegoš explique et authentifie cette ivresse par la nature profonde des personnages. Ainsi la réponse de l'higoumène Teodosija au prince russe Dolgoroukov : Nous sommes un peuple d'une poignée,
mais, Dieu merci, ivre de liberté,
si nous n'étions portés par cette ivresse,
depuis longtemps nous serions engloutis,
comme tant d'autres dans le sac du diable.
(Šćepan IV, 250-254)
Comme dans La Couronne de la Montagne, la liberté dans Šćepan le Petit n'est pas un acte et un état définitifs, mais une aspiration à poursuivre l'accomplissement de l'acte. L'ivresse du cœur, comme nulle part ailleurs sans doute, affermit chez l'homme la puissance du coup porté et du verbe énoncé. Dans l'alphabet chinois, le signe qui représente le nom du royaume chinois se présente sous la forme d'un cercle qui entoure une bouche et un sabre, c'est à dire la puissance de la parole et la puissance du coup. Ce symbole vaut également pour le Monténégro, celui de La Couronne de la Montagne comme celui de Šćepan le Petit. Si tu es au combat, bats-toi héroïquement, si tu discutes, parle en poète. La vie est courte, mais la trace d'une vie peut être longue. Dans Šćepan le Petit, lisons ces vers inspirés par le sabre et le verbe : Tout homme naît pour une fois mourir,
honneur et honte vivent à jamais ! (I, 606-607) In Његошу књига дубоке оданости / À Njegos, un livre de profonde dévotion, 1951 > Texte intégral < Avec Njegoš en Italie par Ljubomir Nenadović Naples, avril 1851 […] Ce jour-là avant midi, Njegoš n’allait nulle part. Dehors, le vent soufflait fort et, en outre, il pleuvait. D’ordinaire, quand il ne fait pas de promenade, il arpente les grandes pièces. En plus du temps médiocre et de son piètre état de santé, un paquet arrivé de Trieste le retenait chez lui. Il contenait quelques nouveaux livres. Il m’en tendit un : « Connaissez-vous Šćepan le Petit ? » « Oui, monseigneur. Ce qu’en disent les joueurs de guzla dans leurs chants. » « C’est un livre sur lui. C’est moi qui l’ai écrit. J’ai dû faire de longues recherches avant de réunir de la matière. On a peu écrit sur lui. » Je pris le livre ; le titre en est : Lažni car Šćepan Mali [Le faux tsar Šćepan le Petit]. L’ouvrant aussitôt, j’en lus quelques passages, ceux qu’il me suggérait. « J’aime beaucoup, ai-je dit, je vais emporter le livre chez moi pour le lire. » « C’est hors de question. Chez vous, vous écrivez Obilić ou vous prenez du repos. Vous pourrez le lire sur le vapeur, quand nous partirons. » Et il ajouta : « Rien ne vous frappe dans ce livre ? » Avec attention, j’examinai le livre puis répondis que non, je ne remarquais rien. « Il est, voyez-vous, imprimé dans la nouvelle orthographe de Vuk Karadžić. » […] Puis l’évêque prit place dans la voiture qui, comme de coutume, attendait devant la maison, toujours prête au départ. Quant à moi, je suis resté et j’ai poursuivi ma lecture du Šćepan le Petit. À son retour, et sitôt entré, il me demanda : « Le livre vous plaît-il ? » « Beaucoup » répondis-je, et je mentionnai des chants, Kola, effectivement fort à mon goût. « Šćepan le Petit est-il meilleur que Les Lauriers de la montagne ? » Vu mon silence, il apporta lui-même la réponse à sa question : « Non, aucunement ! Les circonstances dans lesquelles j’ai écrit Les Lauriers de la montagne étaient autres. […] In Писма из Италије / Lettres d’Italie, 1868 > Texte intégral < |
Petar II Petrović Njegoš
|
Auteur : Petar II Petrović Njegoš (1813-1851) par Boris Lazić
Poète romantique et prince-évêque de Monténégro, Petar II Petrović Njegoš est né en 1813, à Njeguši, fief séculaire de la dynastie des Petrović-Njegoš. La société qui le voit naître est patriarcale, rurale, pastorale, guerrière. Patriarcale dans sa mentalité et ses coutumes, elle est guerrière par nécessité et par contrainte historique et géographique. Effectivement, le Monténégro – qui, à l’époque de Njegoš, compte 100.000 habitants – bien que non reconnu comme tel par les grands empires, est de fait indépendant et représente un îlot de liberté serbe au carrefour de l’Orient et de l’Occident. D'obédience orthodoxe, byzantin d'appartenance politique et culturelle, le Monténégro représente durant la présence ottomane une promesse d'espoir et de renouveau et est représenté comme tel aussi bien par les lettrés que par l’épopée orale. […] Toute œuvre littéraire de Njegoš, dont la portée diffère ostensiblement de celle de son travail politique bien qu’elle lui soit complémentaire, est placée sous le sceau de sa recherche du sens et de la finalité de l'existence (individuelle, nationale). Cette recherche, passionnante et parfois douloureuse, a porté ses fruits en trouvant sa plus belle expression dans La Lumière du microcosme (1945) et dans La Couronne de la Montagne (1947). Mais ces deux chefs-d’œuvre de Njegoš ne doivent pas faire oublier les poèmes à caractère méditatif qui les ont précédés, ou encore le poème dramatique Le Faux tsar Šćepan le Petit publié ultérieurement, en 1851. […] > Texte intégral < A lire aussi : > Dossier spécial : Petar II Petrović Njegoš < |
> Tous les mois < |