Rajić, Jovan (1726-1801)

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Histoire des peuples...

 

Érudit, poète baroque, théologien et traducteur de textes de caractère théologique, Jovan Rajić est l’une des figures de proue de la vie spirituelle et intellectuelle serbe du XVIIIe siècle.

Né à Sremski Karlovci, il commence son instruction au Collegium slavono latino carloviciense, l’école slavo-latine alors renommée qu’avaient initiée des professeurs formés à l’Académie spirituelle de Kiev sous la conduite d’Emanuil Kozačinski, l’auteur de Traedokomedija, le premier drame baroque serbe. Cette période de l’existence de Rajić aura profondément marqué son développement intellectuel (il a laissé à ce propos un beau témoignage dans ses écrits autobiographiques) qui s’est poursuivi aux lycées de Komárom et de Sopron, villes aujourd’hui situées en Hongrie, et terminé aux académies spirituelles de Kiev et de Moscou. Ses études terminées, faute de trouver un emploi dans les milieux serbes de la Hongrie méridionale, il retourne en Russie d’où, via Carigrad, il gagne le Mont Athos. Il   y explore les archives du monastère et réunit le matériau de sa future Histoire des Serbes et des Slaves du sud. Vers la fin des années 1750 il occupe un poste de professeur dans sa ville natale, puis enseigne à Temišvar et, enfin, achève son travail pédagogique au grand séminaire de Novi Sad. En 1772 il prend la bure et, jusqu’à son décès en 1801, vivra et travaillera au monastère de Kovilj.

Poète, Jovan Rajić se fait connaître en 1790 avec le recueil Pesni različitije na gospodski praznici [Divers chants pour les fêtes du Seigneur] que publie la célèbre imprimerie de Damjan Kaulici : ces poèmes composés au cours des deux décennies précédentes figureront même pour certains dans des anthologies de la poésie serbe. Son œuvre majeure, et la plus ambitieuse, reste néanmoins le volumineux poème épique Boj zmaja s orlovi [Le combat du dragon et des aigles] (1791). Écrite en vers polonais de treize syllabes – l’un des vers exclusifs du baroque slave – cette épopée présente par ailleurs nombre d’autres caractéristiques poétiques de l’époque baroque et, en particulier, de sa forme tardive (le rococo). En premier lieu, plus reconnaissable est le style pompeux (marqué par le concetto comme figure favorite) qui, par instants, vire au maniérisme rocaille ; puis domine une thématique historico-héroïque expressément confessionnelle : la guerre menée par les puissances chrétiennes contre l’Empire ottoman, à savoir l’islam ; de même, dans son essence, la texture toute entière est pénétrée d’allégorie et de fantastique ; enfin, perceptible est l’influence de l’héritage folklorique serbe à travers ladite « ethnologie critique » par laquelle se voient légitimer les textes ayant trait aux légendes païennes et, plus généralement, aux croyances et mythes non-chrétiens. Le combat du dragon et des aigles ne manque ni d’intérêt ni d’importance dans le contexte de son époque mais aussi dans celui de l’évolution de la poésie épique serbe dans son ensemble.

Par ailleurs, Jovan Rajić a acquis toute sa stature et exercé une influence de plusieurs siècles dans la culture serbe avec Istorija raznih slovenskih narodov najpače Bolgarov, Horvatov i Serbov [Histoire des différents peuples slaves, en particulier bulgare, croate, et serbe] (1794-1795) qui, bien que basée sur les volumineuses Chroniques slavo-serbes du comte Djorđe Branković (1645-1711), contient quantité d’éléments dont l’intensité atteindra son paroxysme avec le (pré)romantisme naissant. Le slavisme baroque qui marquait cette œuvre sous-entendait pour les Slaves un passé pré-chrétien commun de sorte que sont ici intéressants les passages (surtout mi-factuels et davantage fantasmagoriques) se rapportant à l’ancienne mythologie et à la religion serbe qui – sous l’influence des idées de Rousseau – intéressera ô combien ! les générations littéraires suivantes.

La dimension éducationnelle (louanges au savoir et à l’érudition du XVIIIe siècle) ainsi que l’accent mis sur des événements historiques plus récents (sur les Serbes d’Autriche – notamment de l’actuelle Voïvodine – et sur les privilèges qui leur étaient garantis), constituent la partie la plus originale de l’historiographie de Rajić, une partie qui acquerra une actualité exceptionnelle vers 1848, l’année des révolutions. D’un autre côté, concernant l’idéologie du romantisme de Vuk Karadžić, les écrits de Rajić sur l’histoire des Nemanjić et du mythe du Kosovo vu dans son ensemble représenteront la source écrite majeure qui soutient les idéaux empruntés à la tradition populaire serbe (surtout épique et poétique). Jusqu’à l’avènement de l’historiographie serbe critique (positiviste et scientifique) vers la fin du XIXe siècle, cette œuvre restera la source fondamentale et, aussi, la plus digne de respect de connaissances sur le passé nationale serbe.

En son temps Jovan Rajić était un érudit connu et reconnu : il traduisait la littérature théologique dans l’esprit du baroque polonais et ukrainien, retouchait et publiait des manuscrits importants (par exemple la Traedokomedija de son maître, pièce dont, encore enfant, il avait vu la première). Après sa mort on a également trouvé des écrits épistolaires et autobiographiques qui ne seront préparés pour publication qu’au cours des décennies suivantes.

Études et articles en serbe : Dimitrije Ruvarac, Arhimandrit Jovan Rajić [L’archimandrite Jovan Rajić], Sremski Karlovci, 1901 ; Nikola Radojčić, Srpski istoričar Jovan Rajić [L’historien serbe Jovan Rajić], Belgrade, 1952 ; Jovan Rajić – život i delo [Jovan Rajić – sa vie, son œuvre], sous la direction de Marta Frajnd, Belgrade, 1997.

Sava Damjanov

 Traduit du serbe par Alain Cappon

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