Lumière du microcosme (La) / Luča mikrokozma, 1845 (Njegoš)

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Luča mikrokozma    
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texte original 

 

Petar II Petrović Njegoš
Études et articles
 
Milton et Njegoš


A lire :

    Un extrait de ce poème

 

La Lumière du microcosme, poème allégorique de P. P. Njegoš – écrit entre le 10 mars et le 7 avril 1845, dates du carême orthodoxe – est divisé en sept parties distinctes. La première est la dédicace consacrée à son ancien maître à penser, Sima Milutinović. Le poète y fait l'exposé de la condition humaine et de son cheminement spirituel. Le reste du poème est divisé en six chants de longueur inégale. Chaque chant (dédicace incluse) est à son tour partagé en strophes de dix vers décasyllabiques chacune.  

Le premier chant de La Lumière du microcosme décrit l'élévation du poète par la pensée, par l'esprit pur, par la lueur immortelle, vers le monde supérieur de l'éternité. C'est un retour vers les origines premières, divines, de l'être. Le deuxième chant est une description très imagée de l'ordre régnant dans le monde éternel. Le trône de Dieu y est également représenté. A la fin du chant, le poète boit de l'eau de source dont la propriété est de révéler les faits passés. Ainsi fait-il un autre saut en arrière, dans les temps reculés, afin de découvrir le sens premier – jusque-là pour lui secret – de sa destinée. 

Le troisième chant laisse la parole au créateur des mondes : Dieu y expose son œuvre de création au cours d'un entretien avec ses archanges Michel et Gabriel, tout en attirant leur attention sur l'œuvre néfaste de leur camarade de rang, Satan. C'est dans le quatrième chant qu'est développée la personnalité la plus riche et la plus complexe du poème, Satan. Et c'est maintenant à lui d'exposer sa vision du monde et de la création, dans sa polémique avec Michel. Il soutient que l’origine du monde tient au hasard et au néant, refusant par là-même à Dieu son titre d'Être absolu.  

Le cinquième chant est l'épopée par excellence : c'est la description de la guerre entre les fils de la lumière et les êtres spirituels voués à la destruction. Au troisième jour de la bataille, Adam décide de changer de camp. Il reconnaît la suprématie de Dieu et se rend aux légions fidèles. Satan est battu et jeté dans l'Hadès. Notons que le cinquième chant fournit une description imagée des Enfers qui fait écho à la description du Ciel dans le deuxième chant. Le sixième chant explique les conséquences du choix d'Adam à la désobéissance : il est banni sur Terre – troisième sphère mystique avec le Ciel et l'Enfer – et ne vit que peu de temps dans la matière, période durant laquelle il doit expier ses péchés par l'accomplissement de l'ordonnance divine. Cela représente le seul moyen dont l’homme dispose pour réintégrer le monde de l'éternité. Toutefois, l'homme reste libre dans ses choix. Le libre arbitre devient la mesure, la grandeur de l'homme. Le poème s'achève par un hymne christologique, par une promesse d'espoir et de vie à l'homme déchu. Dieu lui-même, incarné dans le messie libérateur, vient enseigner à l'homme le chemin de la vie éternelle.  

Comme le démontre La Lumière du microcosme, la poésie métaphysique de Njegoš se préoccupe essentiellement du problème du mal et de son origine. C'est à travers ses notions ontologiques et anthropologiques propres que l'évêque Rade tente de répondre au problème essentiel de l'existence humaine. Pour le poète, Dieu est le créateur de l'univers spirituel et matériel. C’est lui qui instaure, par la création, un nouvel ordre dans l'être : celui du principe de vie. Dieu est l'Être, le Principe premier, le Logos, le Père de l'univers au même titre que le démiurge procréateur. Mais si donc le Dieu de Njegoš est réellement l'Être, alors le chaos (autre élément capital dans la structuration de son allégorie) ne peut, selon la logique interne du poème, être celui qui fournit la réponse à la question de l'origine du mal. D’où vient alors le mal ?  

La Lumière du microcosme soutient que le mal peut être découvert là où il prend visiblement racine, à savoir dans la possibilité de son apparition, grâce à la liberté des êtres créés doués de conscience réfléchie. Dans cette allégorie, certains de ces êtres, guidés par Satan, décident de se soulever contre Dieu. Les esprits rebelles sont jetés aux Enfers. Les esprits repentis sont, en revanche, bannis sur terre et ne conservent aucun souvenir de leur passé spirituel. Il ne reste à l'être humain qu'une lueur, un principe spirituel, qui est immortelle, préexistante et post-existante à la vie terrestre. Cette lueur rattache l'homme à son origine, à son passé et donne une identité certaine à sa personnalité.  

Selon l’idée développée dans ce poème, l'homme peut se déterminer dans ses choix existentiels uniquement par le biais de sa lueur divine tout en usant de sa liberté fondamentale qui est le fondement de sa personnalité. C’est une liberté qui responsabilise, qui permet à l'homme de s'assumer et d'effectuer, dans l’union mystique, une conversion intime vers Dieu pour pouvoir ensuite lutter contre un mal devenu inhérent à sa nature, puisque incarné par la chair. L'analyse de l'anthropologie njegošienne permet ainsi de constater que dans l'ordre du monde où s'opposent deux principes différents – Dieu face au Néant – la liberté est ce qui permet aux êtres de s'affirmer. C'est également elle qui est à la source de son optimisme : il est toujours possible à l'homme d'aller de l'avant, de se parfaire, de s'améliorer, de combattre le mal qu'il porte en lui et qui l'entoure, de le vaincre, car Dieu dans les cieux vainc et vaincra définitivement.  

Les spécialistes de Njegoš ont beaucoup discuté sur les influences qu'a subies le poète, sur les idées dont celui-ci s'est servi pour la réalisation de La Lumière du microcosme. Njegoš, dans sa pensée, veut avant tout rattacher l'homme aux causes premières dont tout, selon lui, découle. C'est la raison essentielle qui le pousse à transgresser délibérément le dogme orthodoxe établi. C'est aussi la raison principale de son intérêt pour des penseurs et des courants dont les idées majeures sont dualistes. Ses lectures, orientales et grecques pour l'Antiquité, sont occidentales pour la période médiévale (la Comédie de Dante) ainsi que pour celles, plus récentes à son époque (le Paradis perdu de Milton, le Messie de Klopstock, ainsi que le Faust de Goethe qu'il lit en français). Chez ses contemporains, il apprécie le plus ceux dont les idées rejoignent les siennes, des Français surtout, notamment Lamartine.


♦ Études et articles en serbe : 
Nikolaj Velimirović, Religija Njegoševa [Religion de Njegoš], Belgrade, 1921 ; Alojz Šmaus, Njegoševa Luča mikrokozma. Prilog proučavanju Njegoševog religioznog pesništva [La Lumière du microcosme de Njegoš. Contribution à l’étude de la poésie religieuse de Njegoš], Belgrade, 1927 ; Miron Flašar, « Novoplatonsko predanje i izvori Luče mikrokozme » [La tradition néo-platonicienne et les sources de La Lumière du microcosme], in Zbornik Filozofskog fakulteta, VI-2, Belgrade, 1962, p. 201-234 ; Slobodan Tomović, Njegoševa luča [La Lumière de Njegoš], Titograd, 1971 ; Miron Flašar, « Njegoševa Luča Mikrokozma » [La Lumière du microcosme de Njegoš], in Petar II Petrović Njegoš, Luča mikrokozma, Cetinje, 1996, p. 7-102.

Boris Lazić

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