Patriotes (Les) / Rodoljupci, 1909 (Jovan Sterija Popović)

Patriotes_-_Sterija

 

 

Jovan Sterija Popović

 

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Les Patriotes : extrait

 

 

Bien que Sterija, dans cette comédie amère comme dans ses autres pièces, cherche à éduquer (« mon intention n'est pas de couvrir le peuple de boue, mais de l'instruire et de lui faire prendre conscience »), Les Patriotes n’en restent pas moins un "corps séparé" dans son œuvre. La pièce surprend d'abord par son thème "sacré", tout à fait inhabituel pour une comédie — le patriotisme ou, plutôt, la désacralisation du patriotisme — et par le courage de l'auteur qui énonce des vérités fort déplaisantes sur le commerce des idées patriotiques. L'intention didactique passe au second plan, s’efface devant la volonté de consigner la réalité (« je n'ai pas inventé »), de réaliser une critique à portée sociale et, ainsi, d'engager le lecteur ou le spectateur. Bien qu’il souligne dans la préface que Les Patriotes sont « l'histoire privée du mouvement de résistance serbe », Sterija ne peut, en tant que témoin portant un regard critique de l'année révolutionnaire 1848, passer à côté d'une évaluation historique de ce mouvement qu'il veut laisser à l'histoire.  

De tous les auteurs dramatiques européens, Sterija a été le premier à vouloir introduire dans une pièce un héros collectif, le groupe des "patriotes", une tentative d'autant plus remarquable que ce « personnage dramatique » est négatif. Cette comédie, au ton sérieux et satirique, vise avant tout à provoquer l'émotion et, ensuite seulement, le rire. Le comique y naît de la passion et de l'égoïsme, qui sont les moteurs du groupe de personnages, il naît des situations où ceux-ci sont placés et, le plus souvent, se réalise sous la forme du comique de mœurs. Les Patriotes – pièce insolite à bien des égards – sont une comédie satirique insurpassée et l'un des chefs-d'œuvre du théâtre serbe, susceptible d'intéresser un large public européen.  

Des différences existent entre les membres du groupe des faux patriotes, mais elles sont ténues. Pris dans un contexte historique et géopolitique complexe, ils se comportent généralement tel un seul et même personnage, en dépit de désaccords temporaires et même si certains, dotés d'un plus grand espace textuel, s'affirment davantage que les autres. Ensemble hétérogène mêlant des individualités diverses, ces personnages ont en commun leurs brusques changements d'orientation nationale et se caractérisent d’abord par une continuelle instabilité, par un désir permanent de changer d'identité. Une fois celle-ci mise en question, elle devient un fragile roseau que le vent secoue et plie en tous sens.   

De même que les (faux) patriotes de la pièce ne peuvent aucunement peser sur les événements historiques qui déterminent leur destin – ils ne font que s'y adapter en estimant à chaque fois les bénéfices potentiels à en tirer – Gavrilović, qui représente les positions et les idées de l'écrivain, ne parvient en rien à infléchir les agissements des premiers. Certes, à coups de remarques et de mises en garde fondées sur ses valeurs morales et ses sentiments humanistes, il ne cesse de critiquer, de rappeler à l'ordre ce groupe de « patriotes » mais, statique lui-même, il ne peut que s'en remettre au destin. Grâce à ses vues morales élevées, Gavrilović renforce à chacune de ses apparitions sa stature de défenseur des vrais patriotes au nom de toute une nation. Par ailleurs, par son sérieux et par ses rappels de la dure réalité, il agit comme un destructeur du comique.  

Si nous tentons d'envisager séparément les deux énonciations des Patriotes, le texte lui-même et son adaptation théâtrale (ce à quoi pourrait nous autoriser le fait que Sterija ait d'abord écrit Les Patriotes pour être lus, puis pour qu’ils soient mis en scène), les possibilités qu’offrent la représentation théâtrale du texte comique de Sterija transcendent la qualité littéraire du texte dramatique, car la pensée de l'écrivain rend possible une interprétation plus riche de la représentation. La comédie recèle ce que Sterija pense (et par là-même, également, ce qu'il ne pense pas) et ce qu'il permet de penser.

♦ Etudes et articles en français

♦ Etudes et articles en serbe. Miroslav Radonjić : Sterija u ogledalu 20. Veka, Pozorišni muzej Vojvodine, Novi Sad, 2006 ; Milorad Rikalo : O Rodoljupcima Jovana Sterije Popovića, Pozorišni muzej Vojvodine, Novi Sad, 2006 ; Sava Andjelković : « Šta se zapravo događa u Sterijinim Rodoljupcima ? », Povelja,  XXXIV, n° 3, Kraljevo, 2004 ; Sava Andjelković : "Sterijini komični likovi", Bosanska vila, n° 36-37, Sarajevo, 2006.


Sava Andjelković

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