Traduction
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A l’instar de Radoje Domanović, Svetolik Ranković figure parmi les héritiers directs des fondateurs de la nouvelle réaliste classique serbe incarnés par Milovan Glišić, Laza Lazarević et Janko Veselinović. Tous deux originaires de la région de Šumadija en Serbie Centrale, ils ont repoussé les limites du réalisme grâce à une manière différente de voir et de représenter la réalité. Tournés résolument vers l’époque contemporaine et non plus vers le passé, vers ce qui est et non pas vers ce qui n’est plus, la vision sombre et pessimiste qu’ils proposent de la réalité se trouve à l’opposé de la sérénité et de l’optimisme des écrivains réalistes qui les ont précédés. Svetolik Ranković appartient à la ligne psychologique du réalisme serbe, initiée par Laza Lazarević. Fils de prêtre et théologien de formation, il a étudié pendant quatre ans à l’Académie de théologie de Kiev. Sa formation littéraire a dès lors été influencée par les grands auteurs de la littérature russe. Sa carrière littéraire a été de courte durée, à peine une décennie, la mort l’ayant emporté alors qu’il était en pleine puissance créatrice. Les trois romans qui composent la partie la plus significative de l’opus de Ranković sont apparus dans les dernières années de sa vie au moment où il luttait fiévreusement contre la mort, ce qui peut expliquer certaines faiblesses dans leur composition. Ranković crée un roman de la personnalité. L’histoire de la vie d’un héros principal est au cœur de chacun de ses romans : Le Tsar des montagnes / Gorski car (1897) relate l’histoire d’un jeune homme d’origine rurale appelé Djurica qui, de petit voleur, devient un bandit et un truand hors pair. L’Institutrice de campagne / Seoska učiteljica (1899) met en scène le destin tragique de deux enseignants en milieu rural – Ljubica et Gojko. Enfin, dans Idéaux brisés / Porušeni ideali (1900), il s’agit de la vie du moine Léontije. Le héros de Ranković a quelque chose du sentiment d’aliénation romantique. Il est en conflit perpétuel avec le monde qui l’entoure. Il entame sa vie plein d’idéaux et d’aspirations, mais la termine désabusé, sans espoir, sans idéal et sans foi en la vie. Il se heurte sans cesse à la réalité. Cette confrontation brise ses idéaux et engendre souffrance et déchéance. Ce sont précisément ces idéaux brisés qui constituent la destinée commune à chacun de ses héros. Chez Ranković, on ne trouve plus de référence à la vieille Serbie patriarcale, idyllique. Seuls perdurent la beauté de la nature, ses superbes montagnes, ses étendues de verdure et ses paysages vallonnés qui rayonnent de lumière. Cela contribue en creux à mettre encore plus en relief la situation tragique dans laquelle se trouve le personnage. Ranković est le premier écrivain serbe à décrire la personnalité en cours de construction. Aucun de ses personnages n’est semblable à ce qu’il était au départ. La vie ne se contente pas de détruire leurs idéaux, elle modifie également leur caractère, elle les rend différents de ce qu’ils étaient et, ce qui est encore plus important, différents de ce qu’eux-mêmes auraient voulu ou souhaité être. Ces conflits et ces fractures internes de l’homme, Ranković les met en lumière de l’intérieur en ayant recours au roman psychologique moderne (par le biais notamment du monologue intérieur). Romancier réaliste le plus important après Jakov Ignjatović, Svetolik Ranković a été le fondateur du roman psychologique serbe, tout comme Ignjatović l’a été pour le roman social. ♦ Etudes et articles en serbe. Milosav Babović, « Svetolik Ranković i ruski realistički roman » [Svetolik Ranković et le roman réaliste russe], Književna istorija, n° 31, 1976, p. 399-418 ; Staniša Veličković, Umetnička proza Svetolika Rankovića [La prose artistique de Svetolik Ranković], Niš, 2001 ; Goran Maksimović, « Analitička slika umjetničke proze Svetolika Rankovića » [L’image analytique de la prose de Svetolik Ranković], Godišnjak za srpski jezik i književnost, n° 7, 2003, p. 51-61 ; Ljiljana D. Ćuk, « Postupci psiho-naracije u pripovetkama Svetolika Rankovića » [Les procédés de la psycho-narration dans les nouvelles de Svetolik Ranković], 1-2, Sveske, n° 86, 2007, p. 212-218, et n° 87, 2008, p. 225-230 ; Vukosava Živković, « Žanrovske transformacije u romanu Gorski car Svetolika Rankovića“ [Les transformations du genre dans le roman Le Tsar des montagnes de Svetolik Ranković], Svet reči, n° 33/34, 2012, p. 16-21.
Traduit du serbe par Raphaël Baudrimont |