SERBICA   Kocic Bjelic 
 СЕРБИКА
                       Revue électronique                     
ISSN 2268-3445
         N° 17 /  septembre  2016                    
 
Kocic Bjelic Petar Kočić
par Jovan Bijelić

Dossier spécial

PETAR KOČIĆ 
CENT ANS APRÈS

1877 - 1916 - 2016
                                                                   
Quiconque aime sincèrement et passionnément
la Vérité, la Liberté et la Patrie
est libre et intrépide comme Dieu,
mais affamé et méprisé comme un chien. 

Serbica 17 Kocic
 
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♦ SOMMAIRE ♦

 *

1.

♦ PORTRAIT DE L'ECRIVAIN ♦

L’agneau-serpent de Sepentagneau
ou éthique et esthétique de résistance

par Milivoj Srebro

Petar Kočić vu par ses confrères

Petar Kočić par lui-même :
lettres et notes
traduit par Alain Cappon

2.

PETAR KOČIĆ DANS LE MIROIR DE LA CRITIQUE
Textes traduits par Alain Cappon

Choix de textes de :
Jovan Skerlić, Dimitrije Vučenov, Vitomir R. Vuletić,
Predrag Palavestra, Jovan Deretić, et Thomas J. Butler

3.

♦  KOČIĆ & ANDRIĆ : COMPARAISON EST-ELLE RAISON ? 
Textes traduits par Alain Cappon

La terre, les hommes et la langue chez Petar Kočić
par Ivo Andrić

[Légende et démythification de la légende : Petar Kočić et Ivo Andrić]
par Vuk Krnjević

Deux sommets de la nouvelle serbe
par Staniša Tutnjević

4.

L’ART DE LA TRADUCTION ET SES LIMITES

Les mots de Petar Kočić : les maux du traducteur
par Kolja Mićević
Traduit par Alain Cappon

5.

BIBLIOTHÈQUE DE SERBICA - ATELLIER DE TRADUCTION
ŒUVRES DE PETAR KOČIĆ

Présentation des oeuvres traduites
Textes
traduits par Alain Cappon

I. Poèmes en prose : Prière, La chanson triste
Traduits par Boris Lazić

II. Nouvelles : Tuba, Jablan, Le pope de Mračaj,
Tiré du livre ancien de Simeun le diacre, Dans la tempête de neige
Traducteurs :
Boris Lazić, Dr Thomas Todorović,
et des étudiants de l’université Paris IV-Sorbonne

III. Théâtre : Le Blaireau devant le tribunal
Traduit par Radivoj Srebro

6.

♦ BIOGRAPHIE ET BIBLIOGRAPHIE

Vie et œuvre de Petar Kočić : chronologie
Traduit par Alain Cappon

Bibliographie : I . Œuvres de Kočić ; II. Critiques et essais

 *

1.  ♦ PORTRAIT DE L'ECRIVAIN ♦ 
L’agneau-serpent de Sepentagneau ou éthique et esthétique de résistance
par Milivoj Srebro

Considéré comme « le premier véritable écrivain et artiste » de Bosnie (Ivo Andrić), Petar Kočić est apparu à une époque charnière dans l’évolution de la littérature serbe tout en contribuant à son ouverture aux idées novatrices du modernisme triomphant. Conteur de race, idéaliste de nature mais aussi écorché-vif et incarnation de l’énergie de la révolte propre à l’époque du modernisme, Kočić manquera de temps pour réaliser une œuvre à la hauteur de son talent. Engagé jusqu’au sacrifice dans la lutte pour la cause nationale et sociale des Serbes de Bosnie-Herzégovine sous l’occupation austro-hongroise, ce tribun populaire et l’un des maîtres spirituels de la génération révolutionnaire de la « Jeune Bosnie » s’est rapidement consumé. Mais, même si sa mort précoce ne lui a pas permis de parachever son œuvre littéraire, elle ne l’a pas empêché de léguer à la postérité quelques morceaux d’anthologie qui lui assurent une place importante dans la littérature nationale : celle de l’un des nouvellistes serbes majeurs avant l’avènement d’Ivo Andrić.

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*

Petar Kočić vu par ses confrères

« Il avait davantage l’air d’un insurgé que d’un écrivain bosniaque, d’un homme fait plus pour le duel que pour la méditation, plus habile à manier la kubura que la plume. Personne ne s’attendait à voir Kočić un jour bouleverser la nouvelle serbe mais, plutôt, soulever les paysans et incendier les çardaks turcs. Toute sa personne laissait deviner un combattant… Il avait les bras aussi longs que ceux d’un sonneur de cloches, les yeux écarquillés, effarés d’un chasseur de lions et non de lapins ou de perdrix. Et une voix qui claironnait plus qu’elle ne prononçait de mots humains. »

Jovan Dučić

« Je suis tombé, il y a quelques temps, sur une photographie fidèle et bien reproduite de Petar Kočić. Je l’ai observé longtemps. Elle me rappelait le visage de quelqu’un d’autre que j’avais vu aussi sur une photo, mais je ne savais plus qui. – A qui, mais à qui donc, cela me fait-il pensé ? – me demandais-je à plusieurs reprises, et puis brusquement cela me revient : à la photo de Friedrich Nietzsche… »

Ivo Andrić

>Texte intégral<

*

Petar Kočić par lui-même : lettres et notes

Trois lettres de Kočić à son épouse Milka

Un avertissement prémonitoire

Zagreb, le 25 avril 1901

Ma chère Milka,

[…] Aujourd’hui je peine et je souffre à l’école pour t’assurer ainsi qu’à moi une bonne situation dans la société. Mais il faut que tu saches ceci : peut-être vais-je passer dans les geôles et prisons le plus clair de ma vie car nous tous, les étudiants, allons engager la lutte contre les Boches qui tourmentent notre peuple, le privent de sa liberté et ruinent son bonheur. Si tu es préparée à tout cela, alors tu peux me prendre pour époux ; sinon, il vaut mieux que tu me quittes, et, de moi, advienne que pourra. [...]

Ton Petar qui te serre dans ses bras et t’embrasse ardemment.


« Après nous demeurera le lumineux souvenir de notre sacrifice
pour notre peuple »

la prison de Banja Luka, le 11 novembre 1907

Ma chère et tendre Milka,

[…] Peut-être me tiens-tu pour responsable de tout ce qui m’est arrivé. Tout ne m’est pas imputable car tout cela devait survenir. Je sais, tu souffres beaucoup et, intérieurement, tu me maudis, mais tu n’en as pas le droit. Notre peuple est tellement accablé, écrasé par la pauvreté et la détresse qu’il fallait quelqu’un pour s’insurger et hurler contre les actes de violence et d’injustice dont il est en permanence victime. Ce quelqu’un, en l’occurrence, était ton Kočo. Accorde-lui ton pardon et oublie tes souffrances car le peuple te bénira. Quelle qu’ait été notre vie nous mourrons, et après nous demeurera le lumineux souvenir de notre sacrifice pour notre peuple.

Je sais par avance qu’à la lecture de ces mots tu esquisseras un sourire amer et que tu murmureras : « Le voilà bien, mon fou de Kočo ». […]

Ton Kočo qui te serre fort dans ses bras et t’embrasse ardemment.


« La liberté est la sainte, la noble mère de la Justice »

la prison de Donja Tuzla, 1908

Ma chère Milka,

Tu me demandes si je pourrais déplorer l’injustice où qu’elle soit. Retiens bien ceci : de même qu’on ne saurait trouver de lumière dans l’obscurité la plus noire, chercher la Justice dans un pays privé de Liberté est une tâche vaine. La liberté est la sainte, la noble mère de la Justice. Sans la Liberté, sa mère, La Justice se transforme en vulgaire catin, en cantonnier qui, sur les larges chemins impériaux, empoisonne et contamine les innocents en les privant perfidement de leur jeunesse, de leur fraîcheur et de leur santé !...

*

Le combat pour « la pureté et la beauté » de la langue serbe, 1911

[…] Voici ce que Vuk Karadžić, le créateur de la nouvelle littérature serbe, a écrit quelque part : « Le serbe le plus pur et le plus correct est parlé en Bosnie-Herzégovine. » Après 33 ans de domination autrichienne notre langue a gravement souffert […]La colère et la tristesse nous prennent alternativement à voir mettre à mal et sans pitié la précieuse conquête spirituelle du peuple, la pureté et la beauté de la langue populaire. La colère nous assaille aussi à sentir dans cette dénaturation, dans ce massacre de notre magnifique et libre langue, notre totale colonisation, notre soumission, notre asservissement ; une profonde tristesse nous habite parce que nous sommes faibles et impuissants à protéger de la profanation et de l’avilissement notre grande et forte langue qui, par son ample et magnifique littérature traditionnelle, par sa pureté de cristal et la fraîcheur montagnarde de son souffle nous enhardit et nous encourage à ne pas nous effondrer sur le chemin de la vie, sur un chemin séculaire pavé de trébuchements et de souffrances, de chutes et de relèvements.

>Texte intégral<

2.  PETAR KOČIĆ DANS LE MIROIRE DE LA CRITIQUE
Textes traduits par Alain Cappon
Extraits

[…] Petar Kočić est l’un des écrivains serbes contemporains les plus originaux. C’est un artiste qui a peint la montagne avec plus de fraîcheur et de couleurs que quiconque avant lui ; c’est un esprit combattif, un critique mordant tel que la littérature serbe n’en connaît plus aujourd’hui. Il se distingue des autres auteurs serbes par la pureté, la fluidité, et le naturel de sa langue. Il écrit aujourd’hui avec la langue de Njegoš et de Ljubiša, celle fraîche, inépuisable des montagnards, qui regorge de force, d’élan, de pittoresque ; de ce point de vue, Kočić s’élève au-dessus de tous les nouvellistes serbes contemporains.

Jovan Skerlić, 1914.

[…] Kočić exprime de la façon la plus accomplie et avec le plus de vigueur les sentiments, désirs, espoirs, désillusions, insatisfactions et révoltes du paysan bosniaque. Il formule sur le mode artistique ses sentiments nationaux, patriotiques, ses idées et convictions politiques et sociales qui, dans ses œuvres, prennent la forme, parfois, d’une nostalgie de la liberté, très souvent de protestation, de révolte et de satire cinglante contre les ennemis de la société et du peuple. […]

Dimitrije Vučenov, 1963.

On a souvent dit que chez Kočić le combattant rejetait le poète dans l’ombre. Il ne faut pas opposer le poète et le combattant, l’un n’aurait pas existé sans l’autre. Kočić s’est mis à l’écriture pour assouvir son besoin de se battre, et il a transvasé avec passion dans ses personnages toutes ses qualités d’homme et de combattant. Elles sont nombreuses : l’humour, la roublardise, et la complexité de David Štrbac ; la gouaillerie, la vantardise, et le tragique de Simeun le diacre ; le côté austère, sombre du pope de Mračaj ;l’endurance stoïquede Relja Knežević. […]

Vitomir R. Vuletić, 1973

Bien que nombre de ses spécificités stylistiques marquent sa proximité avec la tradition de la nouvelle réaliste serbe et les sources éthiques de ses inspirateurs, Petar Kočić a souligné dans sa vie et dans son existence littéraire deux motifs qui correspondent davantage à la poétique moderniste : le thème de la lutte, et le thème de la liberté. […] C’est pourquoi, dans la littérature serbe, il apparaît comme le précurseur de la littérature engagée et du réalisme révolté – d’un style annonciateur de l’avant-garde et le produit explicite de l’époque moderniste en littérature.

Predrag Palavestra, 1986.

[…] L’œuvre de Kočić est en réalité le fruit de l’éthique et de l’esthétique chrétiennes qu’Isidora Sekulić nomme, et non sans fondement, l’éthique et l’esthétique de la douleur car elles sous-entendent un sacrifice accepté en toute conscience. À ceci près qu’Isidora Sekulić n’a pas vu que les mots lourds et courroucés de David Štrbac ne cachent pas le coup qu’assène « Kočić l’homme politique », mais le messianisme chrétien qui repose sur l’amour de la Vérité, de la Justice, et de la Liberté. […]

Predrag Lazarević, 1997.

[…] Un lien profond, quasi mystique, avec la nature de son pays imprègne l’œuvre de Petar Kočić. Dans plusieurs de ses nouvelles, il s’attache au combat de l’homme contre les éléments. Il faut ressortir en particulier celles dont le titre comporte une préposition de lieu : « U magli » [Dans le brouillard], « Kroz maglu » [À travers le brouillard], « Kroz svetlost » [À travers la lumière], « Kroz mećavu » [Dans la tempête de neige]. Cette dernière nouvelle figure parmi les meilleures de Kočić. […]

Jovan Deretić, 2001.

[…] Petar Kočić était un héros bosniaque, par son œuvre littéraire mais aussi par la vie qu’il mena. Ses histoires furent appréciées par la nouvelle génération de révolutionnaires qui vit le jour en Bosnie peu avant 1914. […] Gavrilo Princip, Danilo Ilić, et les autres, qui admiraient le sacrifice de Kočić, avaient compris à travers son exemple l’impossibilité de libérer la Bosnie par le truchement de la loi et des tribunaux.

Thomas J. Butler, 2010.

3. KOČIĆ  &  ANDRIĆ 
COMPARAISON EST-ELLE RAISON ?
Textes traduits par Alain Cappon

La terre, les hommes et la langue chez Petar Kočić
par Ivo Andrić

[…] Chassé du lycée de Sarajevo, poursuivi pour ses positions militantes du patriote et ses emportements, Petar Kočić a fait ses études secondaires à Belgrade. Il lui arrivait de souffrir de la faim. Son père ne pouvait lui faire parvenir d’aide matérielle, il le lui écrivait, et la seule chose qu’il lui ait envoyé fut cette recommandation, de « faire montre d’un tempérament d’acier… » Ce ne sont pas là des mots creux, pittoresques, venant d’un père, ce que le fils lui écrit le montre… « Je ne me suis humilié devant personne pas plus que je n’ai mendié car les Kočić en sont incapables. Il y eut des jours, et cela deux ou trois de suite, où je n’avais rien à me mettre sous la dent, mais je n’ai incliné la tête devant personne pour demander l’aumône. » (1898)

Dans cette insistance appuyée sur son indigence, il ne faut chercher aucune ascèse… Cet accent mis sur sa misère afin uniquement, de souligner plus nettement encore son indépendance et sa liberté qui est en quelque sorte sa richesse et sa force, recèle quelque chose qui est typique de Kočić et de la Krajina, et, jusqu’à un certain point, de toute la Bosnie. Tout est déterminé par les circonstances particulières de l’histoire de la Bosnie, un pays soumis à deux occupations étrangères cinq siècles durant et sous lesquelles la raja dut développer sa propre éthique, une éthiqueoù les concepts de possession et de bien-être, surtout de luxe et d’éclat, devinrent – vu les conditions – pratiquement incompatibles avec ceux d’indépendance, de fierté, voire celui, fondamental, d’honneur. Il n’y a que « sur la montagne et au pied de celle-ci » où l’existence est besogneuse, rude de simplicité, que vivre est possible si on veut rester celui qu’on est. Cette conception est celle de communautés et de peuples asservis mais nullement défaits ou découragés, la psychologie d’hommes révoltés qui trouvent une satisfaction folle, presque sensuelle à n’avoir aucun besoin et, même, à être dépourvus du strict nécessaire, de gens qui, ne pouvant être ce qu’ils souhaiteraient être, veulent devenir ce que les autres – leurs bourreaux – jamais ne pourront être, des miséreux riches de leur fierté. […] >Texte intégral<

*

[Légende et démythification de la légende : Petar Kočić et Ivo Andrić]
par Vuk Krnjević

Le fait est connu, « la Bosnie de la nouvelle » commence avec Petar Kočić même si, sur le sol de la Bosnie-Herzégovine, ses débuts sont antérieurs… Que la nouvelle en Bosnie-Herzégovine ait de fait commencé avec lui, qu’elle ait connu des débuts extraordinaires puis un grand essor, souligne l’exceptionnel talent de conteur de cet écrivain qui sut, à ses meilleurs moments, dépasser tout ce qui constituait son être social – les apports journalistiques, son intérêt pour la politique, son penchant pour le romantisme national – et créer d’authentiques œuvres narratives. […]

La tradition de Kočić a été dignement continuée par un écrivain appartenant à la génération suivante d’auteurs originaires de Bosnie-Herzégovine, à la génération des Jeunes Bosniaques, Ivo Andrić. Mais là où Kočić, père fondateur de la « Bosnie de la nouvelle », poursuivait la légende, Andrić, dès sa première nouvelle, allait la démythifier et ouvrir un espace dans l’intimité des héros légendaires de la tradition folklorique. […] >Texte intégral<

*

Deux sommets de la nouvelle serbe
par Staniša Tutnjević

[…] Quoiqu’on ne puisse parler de façon même approximative de « l’influence déterminante » exercée par Kočić sur Andrić, on peut affirmer sans crainte que si Andrić constitue le principal maillon dans la continuité de la nouvelle serbe, il l’est par l’intermédiaire de Kočić ; on peut même parler de certaines similitudes clairement visibles sans être franchement essentielles ainsi que des influences de Kočić sur Andrić, plus indirectes mais ici ou là presque directes.

Outre celui qu’il portait à Njegoš et à Vuk Karadžić, Andrić manifestait un intérêt particulier pour Petar Kočić. On sait qu’au cours des années 1950, Andrić donnait des conférences aux étudiants en littérature de la faculté des lettres de Belgrade, conférences qu’il a ensuite publiées. La ligne de la littérature serbe qui part de Vuk Karadžić et de Njegoš et qu’Andrić emprunte et matérialise ensuite magnifiquement arrive à lui par l’intermédiaire direct de Kočić. Il ne prend place dans la continuité de l’art narratif populaire authentique, original, qu’après que Kočić y eut jusque-là occupé la place la plus importante. Cette ligne narrative de la langue serbe la plus pure, on le sait, Andrić l’a puisée à sa source même, la prose insurpassable de Vuk Karadžić et la littérature orale, mais on perçoit aussi le grand respect qu’il éprouvait pour la pratique de Kočić de cette tradition et qu’il acceptait sans restriction ni réserve. […] >Texte intégral<

4. ♦ L’ART DE LA TRADUCTION ET SES LIMITES 
Les mots de Petar Kočić : les maux du traducteur
par Kolja Mićević
traduit par Alain Cappon

En traduisant, au moins, deux langues différentes – celle parlée par chaque personnage pris individuellement et celle du narrateur – le traducteur doit réussir à créer l’effet particulier présent dans l’orignal : la transfiguration et la combinaison permanente d’une langue populaire déformée, mais très juste, avec le style absolu, abstrait, du narrateur lui-même. […]

Néanmoins, il est un point qui me fait craindre pour tout traducteur éventuel des nouvelles de Kočić, et en quelque langue que ce soit : le traitement particulier auquel Kočić soumet la lettre, l’unité linguistique la plus minime mais la plus essentielle. À ces moments-là, Kočić se comporte en musicien qui s’amuse avec des notes, chacune d’elles ayant pour lui une seule valeur, une valeur si unique que jouée par un autre instrument (et sans modification de hauteur ni de durée) signifierait une trahison de ce son particulier qu’il entendait produire et transmettre à nos oreilles. […] >Texte intégral<

5.  BIBLIOTHÈQUE DE SERBICA – L’ATELIER DE TRADUCTION  
ŒUVRES  DE  PETAR  KOČIĆ

I. POÈMES EN PROSE

Prière / молитва & la chanson triste / жалобитна пјесма

Un crédo littéraire
par Predrag Lazarević

Dans le poème en prose « Molitva », Kočić s’adresse à Dieu : « Ô mon Dieu, grand et puissant et impénétrable, donne-moi cette langue, donne-moi ces mots larges et lourds que l’ennemi ne saisit pas mais que saisit le peuple, pour que je puisse pleurer et me lamenter du sort terrible de mon Peuple et de ma Terre ». Mais il ne se satisfait pas que de mots, il ajoute : « Donne-moi ces mots et donne, ô mon Seigneur, ce don qui est Tien par Ta miséricorde incommensurable […]. La nature de ce don qu’il implore de Dieu s’éclaircit quand on se remémore les premières phrases de l’Évangile selon saint Jean…

Quoique la conception de l’art chez Kočić, exprimée dans « Molitva », puisse se ranger sous la formule de Vassili Kandinsky « la création d’une œuvre est la création du monde », des différences essentielles existent entre Kočić et les expressionnistes européens. Après que le dément de Nietzsche eut déjà annoncé la mort du Dieu chrétien, les expressionnistes occidentaux voulurent installer l’artiste sur le trône vacant ; Kočić, quant à lui, s’attribua à lui-même et à ceux qui partageaient ses idéaux le rôle de disciple du Créateur dans la réalisation de sa vision de la vie idéale. […]

*

II. CHOIX DE NOUVELLES

Tuba / Туба, 1902

« Le registre et l’inventaire de toute l’œuvre à venir
par Ivo Andrić

La première nouvelle publiée de Kočić, « Tuba », celle d’un écrivain encore débutant, contient les éléments majeurs de la plupart de celles qui suivront. Dès la deuxième page, il est question de la souffrance des paysans, puis de la révolte de la Krajina, de David Štrbac et de son blaireau ; on y évoque la dime et le tiers, on se raille même de la langue officielle. Bref, le registre complet, tout l’inventaire de l’œuvre littéraire ultérieure y est déroulé. […]


Jablan /
Јаблан (1902)

« Dans le domaine de la communication muette »
par Nikola Koljević

À travers l’histoire symbolique d’un combat de taureaux, Kočić réussit à créer une puissante parabole artistique qui raconte l’opiniâtre résistance du peuple à l’occupant austro-hongrois. La nouvelle dans laquelle l’accent est mis sur le drame intérieur du jeune héros Lujo à qui appartient le taureau Jablan, se signale en particulier par son style concis, condensé, et par les fortes images narratives qui se succèdent comme sur un écran de cinéma. […]


Le Pope de
Mračaj/ Поп де Мрачај (1903)

« L’un des personnages les plus insolites de la prose serbe »
par Predrag Palavestra

Le caractère véritable du réalisme de Kočić se découvre d’abord chez les personnages de ses nouvelles. Saisis en mouvement, sculptés d’une main sûre, ils captivent par leur vitalité. Le pope de Mračaj peut illustrer la manière dont Kočić compose, façonne un caractère, et aussi apporter la preuve de la maîtrise personnelle qu’il avait de la réalité. Renfrogné, irascible, solitaire et insoumis… le pope n’a que dépit pour tout ce qui l’entoure, pour l’homme et pour son chien, il ne reçoit personne, n’a de confiance en personne, il est tout entier modelé, asséché par la colère, il est fou mais d’un seul bloc, massif, pareil à une apparition dans un cauchemar. […]


Tiré
du livre ancien de Simeun le diacre /
Из староставне књиге Симеуна Ђака (1905)

Une « prophétie » satirico-allégorique sur la chute de Ićinđi et Birinđi
par Predrag Palavestra et Vitomir R. Vuletić

Ce fragment en prose appartient à un cycle composé de cinq nouvelles réunis autour de l’un des personnages les plus authentiques de Kočić, Simeun Pejić, « le diacre du monastère de Gomjenica ». Dans ce cycle la satire se présente sous une forme assez différente de celle du Blaireau devant le tribunal : elle est plus joyeuse, plus sereine, plus spirituelle. Chez Simeun Pejić, le vieux diacre du monastère, un fripon ivrogne et hâbleur, il y a davantage d’espièglerie et de bouffonnerie, et moins de souffrances et d’amertume. […] Dans le fragment « Tiré du livre ancien… » qui, en plus de celle satirique, possède une dimension allégorique, Simeun apparaît en sage lucide, en prophète, afin d’énoncer la fin apocalyptique des Ićinđi (des Turcs) et des Birinđi (des Autrichiens) et la libération finale de son peuple.


Dans la tempête
de neige / Кроз мећаву (1907)

Le Job de Zmijanje
par Stojan Ðorđić

Les personnages principaux des nouvelles de Kočić sont des héros tragiques ou, plus exactement, les victimes d’un combat inégal pour la préservation de leur dignité humaine. Au centre de ces textes, il y a un homme qui souffre et meurt écrasé, soit par l’injustice, soit par un pouvoir impitoyable, soit par la cruauté de la nature. À l’image des héros des tragédies antiques ou du biblique Job, ces personnages sont engagés dans une lutte qui n’offre aucune perspective… Leur caractère exceptionnel, leur grandeur réside dans le tragique de leur destin, et Kočić personnifie ce côté exceptionnel dans une histoire qui les raconte. « Dans la tempête de neige » en offre peut-être la réalisation la plus expressive. […]  

A lire :

>Le texte intégral de la présentation des œuvres traduites de Petar Kočić <
Traduit par Alain Cappon

*

>Les traductions des œuvres de Petar Kočić <

(Prière, La chanson triste, Tuba, Jablan, Le pope de Mračaj,
Tiré du livre ancien de Simeun le diacre, Dans la tempête de neige)

Traducteurs :
Boris Lazić, Dr Thomas Todorović,
et des étudiants de l’université Paris IV-Sorbonne

*

III. THÉÂTRE

Le blaireau devant le tribunal / Jазавац пред судом (1904)

David Štrbac – « l’un des personnages
les plus marquants de la littérature serbe »
par Staniša Veličković

Le Blaireau devant le tribunal, une pièce satirique en un acte, est l’œuvre la plus connue et la plus populaire de Petar Kočić. On la joua, déjà à l’époque, sur presque toutes les scènes des contrées serbes. Un contemporain de Kočić affirma même qu’une seule représentation avait un retentissement plus grand que des centaines de meetings politiques. […]

Son héros, David Štrbac, est une personnalité très complexe. S’incarnent en lui les traits de caractère du paysan bosniaque qui, dans le combat séculaire pour le pain et la survie, sont sculptés en signes caractéristiques. David est astucieux et matois, imaginatif et vif d’esprit, persévérant et opiniâtre, finaud et prompt à la révolte. Il couvre un large spectre de caractéristiques… Il est à la fois un plaisantin et un martyr. Tel qu’il est, il impressionne : il nous fait rire aux larmes, émeut jusqu’à faire mal. Par le rire il stimule et insuffle la confiance en ses propres forces, par la douleur il pousse les enhardis à l’action. En des temps difficiles, Le Blaireau faisait l’effet de vouloir éveiller et pousser à l’action, et David Štrbac est resté l’un des personnages les plus complets et les plus impressionnants de la littérature serbe.


Extrait du Blaireau : portrait de David Štrbac
Traduit par Radivoj Srebro

David (menu, petit, sec comme une branche, léger comme une plume. Il a la jambe gauche plus courte que la droite et cela le fait se dandiner quand il marche. Ses yeux brillent et chatoient comme ceux d'un chat dans la nuit. Les cheveux tout blancs, il a passé la cinquantaine. Il change de voix. Il est capable de se mettre à pleurer comme un enfant, à aboyer comme un chiot ou à pousser des cocoricos. Souvent, en claquant des mains contre ses cuisses il trompe les coqs du village qui se mettent alors à chanter avant l'heure. A cause de cela les jeunes femmes le grondent. Il fait semblant d'être timide aussi. Mais ne le croyez pas !

Entrant dans la chambre du tribunal il se signe mais ne lâche pas son sac où est ligoté un blaireau dont seul le museau dépasse) Bonjour, Messieurs les Très Grosses Têtes !

Le juge (du côté droit près de la fenêtre, la tête immergée dans un bouquin, il marmonne quelque chose)

Le petit greffier (du côté gauche, courbé sur la table, il écrit rapidement, absorbé par son griffonnage)

David : Bonjour, Messieurs les Colossales Têtes d'Empire!... Eh, doucement, David pauvre fou, pourquoi tu te précipites comme un pourceau dans le petit lait ? Tu ne vois donc pas que ces Messieurs sont occupés ? Pousse-toi donc contre le mur et patiente un peu ! (Au blaireau) Et toi, criminel, tu es arrivé là où il se doit. Dieu sait qu'ici il n'y a point de maïs, mais il va y avoir autre chose, petit blair’! Il y aura des périgraphes... Y en aura des doubles, d’obèses de périgraphes, petit blair’... On a beau plaindre ta pauvre et misérable mère ! Dis donc, avoir mangé tout un champ de maïs sans prendre en dessert un périgraphe, ça… ça ferait pleurer le bon Dieu. […] >Texte intégral<

6 BIOGRAPHIE ET BIBLIOGRAPHIE
Vie et œuvre de Petar Kočić : chronologie
> Texte intégral <

I . Œuvres de Petar Kočić
>
Texte intégral <

II. Critiques et essais
> Texte intégral <

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