Marko Avramović


Miodrag Pavlović,
poète qui a exercé une forte influence
sur le canon poétique serbe


Obradović by Uroš Predic
 Miodrag Pavlović, 1989
par Stojan Ćelić

Miodrag Pavlović est l’un des auteurs majeurs et les plus féconds de la littérature serbe de la seconde moitié du XXe siècle. Bien qu’il se soit distingué dans la quasi-totalité des genres littéraires – poésie, essais, nouvelles, drames, récits de voyage, romans – et qu’il ait publié plus de cinquante livres, la partie la plus significative de son œuvre reste la poésie avec laquelle il avait commencé sa longue et fructueuse carrière.

Miodrag Pavlović est né à Novi Sad mais dès sa petite enfance vit à Belgrade où il fera ses études à la faculté de médecine. Après avoir brièvement exercé il assurera plusieurs décennies durant la fonction de responsable de plusieurs éditions importantes chez Prosveta, l’une des grandes maisons d’édition serbes et yougoslaves. Il vivra les quelques dernières dizaines d’années avec sa famille entre Belgrade et Tuttlingen, petite ville du Land de Baden-Württemberg où il décédera.

Le premier livre de Pavlović, par ailleurs l’un des plus célèbres recueils de la poésie serbe contemporaine, 87 poèmes [87 песама], paraît en 1952 ; avec L’écorce [Кора] de Vasko Popa publié l’année suivante, il marque un tournant dans la littérature serbe. Rompant avec la poétique du réalisme socialiste encouragée par le parti communiste alors au pouvoir et qui apparaissait en poésie dans des compositions célébrant la construction du socialisme dans l’après-guerre, rompant également avec la poésie lyrique traditionnelle dite « doux et tendre stimmung », Pavlović se tourne vers un art poétique radi calement moderniste qui se caractérise par une expression fragmentaire, retenue, et qui chante le drame du citadin contemporain. L’anxiété, l’aliénation, la vie sous la menace d’une catastrophe nucléaire sont les marqueurs de cette existence. Mais la partie qui conclut le recueil, « Rimes » [Риме], et où Pavlović revient à une poésie rimée et à des formes tel le madrigal porte un appel à la quête de nouvelles valeurs et d’un nouvel espoir. Des thèmes similaires – désintégration, existence en solitaire de l’homme contemporain, mais aussi l’ombre des horreurs de la guerre qui viennent de prendre fin, l’aspiration à la recherche d’un point d’appui stable – sont aussi traités dans le recueil suivant, Le pilier des souvenirs [Стуб сећања, 1953], qui plus encore exprime combien l’art de Pavlović s’appuie sur la poésie moderne anglaise.

Dans ses publications ultérieures, à commencer par Le lait des temps immémoriaux [Млеко искони, 1962], Pavlović se tourne vers des thèmes tirés de la culture et de l’Histoire et cherche des continuités civilisationnelles. Après l’inspiration que lui avaient insufflée le mythe antique et l’effondrement du monde hellénique, il se focalise dans La Grande Scythie [Велика скитија, 1969] sur l’installation des Slaves dans les Balkans et sur le Moyen Âge serbe. Dans cette vision historique le mythe du Kosovo occupe l’une des places centrales. Dans son évocation des personnages historiques et mythologiques l’auteur leur confie fréquemment le rôle de sujet lyrique et leur accorde la possibilité de parler d’eux-mêmes. D’autres poètes légèrement plus jeunes comme, par exemple, Ivan V. Lalić et Jovan Hristić, ont assez souvent recouru à des procédés analogues.

Les livres qui font suite témoignent aussi de l’inspiration que furent pour Miodrag Pavlović les thèmes historiques et culturels : Pèlerinages [Хододарја, 1971] présentent une forme particulière de pèlerinage tant dans les espaces culturels français et allemands que dans les monastères serbes et le Mont Athos ; Fêtes lumineuses et sombres [Светли и тамни празници, 1971] sont inspirés par les lieux chrétiens. Dans sa poésie Pavlović entre en communication avec beaucoup de ses devanciers et dans les deux recueils ci-dessus mentionnés attribue un rôle important au poète allemand Friedrich Hölderlin. Bien qu’il ait dans certains livres postérieurs poursuivi ses pèlerinages poétiques à travers les espaces culturels européens comme dans Entrée à Crémone [Улазак у Кремону, 1989], Pavlović n’a cessé de descendre l’axe temporel, de s’inspirer de couches mythiques et culturelles toujours plus basses comme dans Chants sur un remous [Певања на виру, 1977], une sorte de reconstruction préhistorique du Lepenski vir[1]. Sur la base des mythes anciens et des cultures de la préhistoire il crée aussi des formes poétiques plus grandes tel Le miracle divin [Дивно чудо, 1982], l’un des ouvrages de synthèse de son opus poétique.

Important en tant que poète, Pavlović ne l’est pas moins comme essayiste et auteur d’anthologies. Parmi ces dernières se distingue l’Anthologie de la poésie serbe du XIIIe au XXe siècles : intégrale, l’une des deux plus importantes de la poésie serbe en général, elle a connu à ce jour une dizaine de rééditions. Comme dans la majeure partie de son œuvre poétique, il s’efforce d’y montrer les continuités culturelles et littéraires, les premières éditions de l’ouvrage rattachant la nouvelle poésie serbe apparue au XVIIIe siècle à celle, ancienne, du Moyen Âge, et la version complétée ultérieurement à l’antique lyrisme oral.

Miodrag Pavlović est aussi l’auteur d’une série d’ouvrages d’essais et de critiques où il parle abondamment des poètes serbes mais traite également de problèmes liés à l’anthropologie et aux théories littéraires : Les temps de la poésie [Рокови поезије, 1958], La poétique du moderne [Поетика модерног, 1978], La poétique du rite du sacrifice [Поетика жртвеног обреда, 1987]. Avec son Anthologie de la poésie serbe et ses essais sur les poètes, Pavlović aura exercé une forte influence sur le canon poétique serbe d’aujourd’hui. Ses dernières années de création sont marquées par cinq romans en grande partie autobiographiques et finalement réunis en un cycle La main de cendre [Рука од пепела, 2010].

Comme Vasko Popa, Miodrag Pavlović est traduit dans toutes les grandes langues européennes ; une trentaine d’éditions de sa poésie ont été publiées à l’étranger, la plupart en français (cinq livres), en allemand et en anglais. Son travail littéraire lui a valu tous les grands prix littéraires serbes ainsi que plusieurs récompenses internationales de renom comme, par exemple, celle décernée lors du festival international de poésie « Soirées poétiques de la ville de Struga » en 1970 ou le Prix Pétrarque en 2012. Miodrag Pavlović était membre de la SANU, l’Académie serbe des Sciences et des Arts, et de l’Académie européenne de Poésie.

[1] Lepenski Vir est un site archéologique situé sur la rive sud du Danube en Serbie orientale. L'origine de la culture de Lepenski Vir remonte probablement aux premières populations européennes : la première installation humaine du site est datée d'environ 7 000 av. J.-C.


Traduit du serbe par Alain Cappon

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Date de publication : octobre 2022


Date de publication : juillet 2014

 

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