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Mušicki, Lukijan (1777 - 1837)

Lukijan_Musicki

 

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Épîtres poétiques
La voix du patriote

 

 

 

 

 

Appelé par ses confrères le « Horace serbe »,  Lukijan Mušicki, de son vrai nom Luka Jemušicki représente la seconde génération d'ecclésiastiques défenseurs des Lumières au sein de la culture serbe, à une époque où les idées progressistes ont été véhiculées par des ecclésiastes. Premier poète professionnel de la littérature serbe moderne, érudit et esprit cultivé, il est celui qui eut – parmi tous les auteurs de son époque  –  le plus d’influence sur ses contemporains. Pour argumenter ces propos, il suffit d’évoquer un autre célèbre ecclésiastique, P. P. Njegoš, qui voyait en Mušicki un exemple à suivre, aussi bien sur le plan des idées, qu’il reprend et amplifie dans ses œuvres littéraires, que sur un plan pragmatique.

Originaire de la région de Bačka, Mušicki effectue son éducation primaire à Titel (où il étudie la langue allemande), puis aux lycées de Novi Sad et de Szegedin où il apprend le hongrois. À Pest, il étudie le droit et la philosophie. Il apprendra, par la suite, le français et l’italien, et plus tard - l’anglais, le grec, l’hébreu et s’initiera à la langue arabe.

En 1802 Mušicki devient professeur au lycée de Sremski Karlovci, alors siège de la Métropolie de Syrmie, et depuis plus d’un siècle déjà centre culturel et intellectuel des Serbes d’Autriche. Parmi ses élèves figurent des personnalités de premier ordre comme Vuk St. Karadžić, linguiste, ethnographe et historien, Lazar Bojić, historien de la littérature ou Pavle Solarić, encyclopédiste et poète. La même année, il devient chancelier de la Métropolie, se fait moine et prend pour nom monastique Lukijan, selon Lucien de Samosate, satiriste antique. De 1805 à 1812 il exerce les fonctions de professeur à la faculté de théologie de Sremski Karlovci : son étudiant est le futur évêque Platon Atanacković, grand mécène. Y travaillant avec ses élèves originaires de la Serbie insurgée, il entreprend la rédaction de la poésie orale.

En 1812 Mušicki est nommé archimandrite du monastère de Šišatovac, en Syrmie, qui devient aussitôt un centre intellectuel de premier plan. Il y reçoit des professeurs, des écrivains, des éditeurs, des directeurs de lycées, des scientifiques slaves : Vuk Karadžić, Dimitrije Davidović, Stefan Živković, Andrej Kajsarov, Aleksandar Turgenev, Pavel Jozef Šafarik, Franjo Miklošić, Andrej Volni. C’est à cette époque qu’il élabore plusieurs projets de création d'académies littéraires. Parmi ces projets, citons les plus importants. Membre du « Cercle de Karlovci », Musicki entreprend d’abord de créer une société littéraire et à cette fin rédige un programme (travail littéraire dans les deux idiomes - slavoserbe et serbe vernaculaire – et création du journal littéraire Српски весник), mais ce projet ne verra pas le jour. Véritable encyclopédiste, il entreprend, dans un même élan, la rédaction d’une bibliographie des livres imprimés en langue serbe (de 1493 à 1821), d’une grammaire du slavoserbe, la systématisation des sources écrites relatives à l’histoire culturelle serbe et devient propriétaire d’une des meilleures bibliothèques personnelles de son temps. Enfin, même s’il ne participe pas directement à sa création, il pose les fondements intellectuels et déontologiques de la « Матица српскa »  (institution scientifique et culturelle de Serbie, fondée en 1826 à Budapest et transféré en 1864 à Novi Sad),  plus précisément, il en est le père spirituel (à cette fin il compose l'ode « A la Société savante serbe ».) C’est, selon M. D. Stefanović, « un organisateur, un créateur d’idée » qui correspond avec toutes les figures importantes de la scène culturelle slave. L’expression la plus aboutie de son programme culturel est contenue dans son célèbre poème « La voix du patriote » [Гласъ народолюбца, 1819].

Sur l’insistance des laïcs qui le soutenaient dans ses heurts incessants avec la hiérarchie ecclésiastique, Mušicki devient évêque en 1828.  Il transfère alors le siège de son évêché de Plaško à Karlovac, en Croatie. Il y exercera son ministère jusqu’à sa mort. Quant à Mušicki homme des lettres, il est important de souligner en particulier qu’il fut un poète raffiné et d’une grande sensibilité, marqué par l’influence de la diction latine : comme nombre de ses contemporains, il a en effet subit la profonde influence du poète latin Horace, auquel il restera fidèle sa vie durant et dont il donnera plusieurs traductions littéraires. Grand épistolier et classiciste, ses meilleures pièces littéraires (composée en latin, slavoserbe et serbe vernaculaire), se présentent sous formes d’épîtres versifiées où il confesse à ses amis ses blessures secrètes et revendique un héroïsme stoïque face aux détresses de la vie.

Attentif aux transformations sociales de son temps, Mušicki a été à la proue de certaines de ces réformes, notamment dans le domaine culturel en général et littéraire en particulier. C'est en partie pour ces engagements extra-ecclésiastiques qu'il s'attirera l'opprobre du métropolite et en sera marqué trois décennies durant : il n'est pas à douter que sa poésie, dans ce qu'elle a de plus authentique, renvoie à ces luttes, traduites dans la vie courante par d'incessantes brimades. Car, de même que par ses odes il rend gloire aux contemporains les plus éminents de la culture serbe, il en paye aussi le prix, puisqu'il rend gloire, entre autres, à Dositej Obradović, philosophe des Lumières ostracisé par la chancellerie du métropolite Stratimirović. Enfin, il faut souligner que la raison la plus profonde de ses souffrances morales réside notamment dans sa position d'homme d'église intéressé avant tout par la culture profane, qu’elle soit antique ou contemporaine.

Boris Lazić

 
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