L’ESPRIT CARTÉSIEN FACE À
UN « MAÎTRE DE LA VOLTIGE » BYZANTIN
Le dictionnaire khazar vu par la critique française
par
MILIVOJ SREBRO
I.
1. « Le livre le plus étrange du monde »
Bien qu’elle soit considérée en France comme « petite » ou « mineure », la littérature serbe a eu toutefois dans ce pays ses heures de gloire. La preuve en sont les éloges que la critique a adressés à plusieurs livres d’Andrić, l’enthousiasme avec lequel elle a accueilli La Bouche pleine de terre, le respect qu’elle a témoigné au Derviche et la Mort, l’engouement avec lequel elle a présenté certains livres de Kiš, l’intérêt exceptionnel qu’elle a manifesté pour les chefs-d’œuvre de Tišma et Crnjanski, notamment pour Migrations et L’usage de l’homme… Mais jamais une oeuvre traduite du serbe n’a rencontré en France un accueil qui aurait pu rivaliser avec celui qui a été fait au Dictionnaire khazar de Milorad Pavić, certainement le livre le plus étonnant de la littérature serbe contemporaine.
Nous sommes en 1988. Le Dictionnaire khazar[1] vient juste de sortir et il provoque un véritable coup médiatique en France et dans les pays francophones. Peu de livres, y compris ceux venant des « grandes » littératures, peuvent se vanter d’un tel accueil. Non seulement les grands quotidiens et les prestigieuses revues littéraires mais aussi les nombreux journaux provinciaux lui ont immédiatement exprimé leur sympathie sans réserves, parfois sur un ton exalté qui frise la fascination. "Étonnant", "stupéfiant", "surprenant", "étourdissant", "époustouflant", "étrange", "dépaysant", "bizarre", "inclassable", "vertigineux", "fabuleux", "métaphysique", "génial", "prodigieux", "fou", "pervers", "infernal", "diabolique", "abracadabrant", "khazarissime"...; voici quelques-uns des adjectifs, plutôt des superlatifs, qui ont été les plus utilisés dans les comptes rendus accompagnant la parution du Dictionnaire khazar.
Citons en guise d'exemples quelques opinions typiques : c'est "le livre le plus étrange du monde", annonce L’Événement du jeudi[2] ; un livre qui produit "une myriade d'histoires", écrit Le Monde[3] ; "le premier livre du XXIe siècle" et "le premier grand trou noir de la littérature à venir", souligne de son côté Paris Match[4]. Pour le Magazine littéraire[5], Le Dictionnaire khazar est "un monstre magnifique", "un fabuleux recueil de contes et de rêves" qui "ne se propose rien de moins que de recréer le monde" ; pour Le Progrès[6], il s'agit d'une "nouveauté absolue" ; et, pour Ouest-France[7], ce livre représente en même temps un "jeu littéraire sans pareil, époustouflant coup de génie, marché aux puces des Mille et une Nuits..."
De tels éloges, une telle démesure, soulèvent une question préalable : d'où est venu cet intérêt inattendu pour un écrivain jusqu'alors complètement inconnu en France ? Ou, plus précisément, comment la parution du Dictionnaire khazar, livre appartenant à une littérature qui n'est pas le centre d'intérêt des éditeurs et des lecteurs français, a-t-elle pu devenir subitement un véritable événement littéraire ? Bien entendu, il n'y a pas, comme d'habitude, une seule raison, ni une seule réponse. Tout d'abord, il faut souligner le rôle non négligeable de l'éditeur Pierre Belfond qui, bien avant la parution du Dictionnaire khazar en français, a fait courir le bruit qu'il préparait une grande surprise pour ses lecteurs, un livre qu'on était en train de traduire en seize langues. Dans une interview accordée au Figaro[8], il a même réclamé pour cet ouvrage, sans aucune modestie, à la fois le Prix du meilleur roman étranger, le Médicis étranger et le Fémina étranger ! Ainsi, grâce à cette habile stratégie de l'éditeur, le suspense était déjà créé avant même la sortie du livre. Le deuxième moment important dans la promotion du Dictionnaire khazar en France est, sans doute, la participation de Milorad Pavić à l'émission "Apostrophes" de Bernard Pivot[9]. C'est à cette occasion que, parmi d'autres louanges, on lui a prédit un vaste succès à l'instar du Nom de la Rose d'Umberto Eco. Bernard Pivot lui-même a lancé un néologisme original – "khazarissime" – en souhaitant le voir passer dans le langage courant, comme un synonyme d'extravagant ou d'indescriptible. Cette promotion sur le plateau d'"Apostrophes" est d'autant plus importante que c'est elle justement qui a mis en marche la machine médiatique, toujours affamée de nouvelles sensations.
Mais la principale raison du grand succès du Dictionnaire khazar se trouve ailleurs ; elle réside dans le livre lui-même. Son attraction provocatrice qui a largement séduit les critiques français d'aujourd'hui, comme les critiques yougoslaves d'hier, est avant tout liée à la magie littéraire de ce roman et à sa force esthétique intérieure, nées toutes les deux d'une démarche originale et novatrice. De quoi s'agit-il au juste ? Pour le sujet de son livre, Pavić a choisi le destin d'un peuple unique – les Khazars – qui, avant de disparaître à jamais dans le trou noir de l'histoire, avait vécu du VIIe au Xe siècle, entre la Mer Noire et la Mer Caspienne. D'après les rares sources historiques, ce peuple aurait subi les influences religieuses les plus diverses. C'est d'ailleurs autour de cela que Pavić construit son étonnante histoire. Plus précisément, l'écrivain concentre son attention sur la "polémique khazare" dans laquelle interviennent un moine, un derviche et un rabbin qui tentent de convertir l'empereur khazar - Kagan - à l'une des trois grandes religions monothéistes : le christianisme, l'islamisme et le judaïsme. Ce sujet déjà étrange qui se développe à travers une myriade de personnages et d'histoires non moins bizarres, issues d'une imagination débridée, est présenté sous une forme encore plus étrange. La forme est celle d'un roman-dictionnaire ou, pour reprendre l'expression de l'auteur, d'un "roman-lexique en 100 000 mots". Et ce n'est pas tout. Ce dictionnaire labyrinthe est divisé en trois parties : un abécédaire de sources chrétiennes (le livre rouge), un glossaire tiré de sources islamiques (le livre vert), et un "alphabétaire" de textes venant de traditions hébraïques (le livre jaune). A cela, il faut ajouter une idée originale, à la mesure de l'esprit ludique de Pavić, à savoir la publication du Dictionnaire khazar en deux versions : l'une féminine, l'autre masculine.
C'est justement cette fome insolite qui permet à l'écrivain de mettre en valeur son imagination poétique aussi bien que son érudition de savant, ou son génie de la mystification, en s'appuyant sur des démarches déjà connues dans la littérature postmoderne. Par exemple, pour donner du poids à ses histoires fictives, ou pour rendre vraisemblables ses personnages inventés, il mélange des genres et des styles différents, les documents authentiques et les apocryphes ou alors, plus simplement, il joue avec "des manuscrits retrouvés". Son Dictionnaire khazar est justement présenté comme une sorte de palimpseste recréé, comme la reconstruction d'un certain dictionnaire disparu, consacré à la question khazare. D'après l'écrivain, celui-ci serait le fameux Lexicon cosri, l'ouvrage d'un juif polonais, Joannes Daubmannus, qui aurait été imprimé en 1691, et détruit peu après par l'Inquisition. Une autre démarche, de plus en plus présente dans la littérature contemporaine, est aussi utilisée dans ce roman stupéfiant. Conscient de la complexité de son Dictionnaire khazar, de sa construction savante et de son côté ludique, l'auteur s'efforce de faciliter la communication avec le lecteur. En suggérant que son livre peut être lu dans tous les sens, il lui offre un véritable mode d'emploi.
2. « Attention, danger ! »
Pavić écrivain aux multiples facettes et adepte d'une poétique postmoderne, recourt donc à une structure révolutionnaire du roman, seule capable d'exprimer son unique vision du monde et de la littérature. Mais, comme tous les livres qui ne respectent pas les règles et les stéréotypes littéraires, qui cherchent leurs voies en dehors des sentiers battus, son Dictionnaire khazar a également pris le risque de provoquer l'incompréhension des lecteurs et des critiques. Autrement dit, il a pris le risque de dépasser l'"horizon d'attente" de ceux qui, pris par la routine de la lecture quotidienne, ne sont pas habitués à affronter la nouveauté. Quant aux critiques français, ils ont, comme autrefois les critiques yougoslaves, réagi différemment. Devant un tel livre-labyrinthe semblable à la Tour de Babel, comme le dit un critique, ou à "un continent de mots", comme le dit un autre, certains se sont sentis littéralement démunis. C'est le cas, par exemple, de Jean Contrucci, le critique du Provençal qui a franchement reconnu sa frustration :
"Il y a longtemps que je n'ai pas été étonné, séduit, bousculé, enlevé, fasciné par un livre comme je viens de l'être par Le Dictionnaire khazar. (...) A l'heure d'en rendre compte, la plume hésite et ne sait quelle direction prendre, tellement le foisonnement est grand, tellement ce livre est dépaysant pour un esprit cartésien ou simplement routinier. Et pourtant c'est un dictionnaire ! Quoi de plus rassurant ? Mais c'est un dictionnaire diabolique, qui vous piège et ne vous lâche plus, écrit par un diable d'auteur."[10]
Certains critiques, moins sensibles que Contrucci, mais encore moins habitués à ce genre de littérature, se sont laissés complètement piéger par le jeu mystificateur de l'écrivain serbe. Le cas du critique de La Presse de la Manche[11] est, peut-être, le plus délicat. Il a sérieusement informé ses lecteurs que Belfond avait publié une deuxième édition du Lexicon Cosri, jadis édité par "Ionnés Dauhmannus" (sic!), en les prévenant également que cet ouvrage demandait une lecture à "tête reposée en raison des symboles".
La plupart des critiques français se sont cependant montrés plus prudents que leur confrère. Ne cachant pas non plus leur surprise, mais gardant une certaine méfiance, ils ont renoncé à s'engager dans une analyse piégée, c'est-à-dire, à démêler le vrai du faux et à faire la part entre documents historiques et canulars lettrés. Soucieux de mieux informer leurs lecteurs, ils se sont tout d'abord mis à chercher la meilleure manière d'aborder ce dictionnaire aux nombreux accès. Les propositions qu'ils ont faites aux lecteurs, il faut le reconnaître, ne sont pas sans invention ni humour ; ils ont, par exemple, évoqué des lectures à l'endroit, en escalier, en zigzag ou en sauts de puce... Cependant, certains parmi eux ont recourt au pastiche du discours métaphorique pavićien et à ses jeux, laissant ainsi aux lecteurs le choix d'en tirer eux-mêmes une conclusion. Ainsi, le critique du Journal de Genève[12] s'adresse d'abord aux lecteurs pour les mettre en garde : "Attention, danger !" En décrivant Le Dictionnaire khazar comme "un objet imprimé parfaitement non identifié", ressemblant aux "mirages qui naissent du néant", il avertit :
"Une fois refermée cette machine infernale – si toutefois vous y parvenez un jour – faites attention où vous posez le pied, car Pavic le démoniaque nous enseigne que la réalité, comme la vérité, est une douce illusion."
Ouest-France[13] de son côté, lance presque le même avertissement angoissé à ses lecteurs : "Comme l'entrée dans un labyrinthe, sa lecture n'est pas sans danger" – écrit son critique à propos de la structure complexe de ce roman-dictionnaire, et il conclut avec provocation : "Certains mettront des années à trouver la sortie !" Cette tendance à la mystification est présente également dans Le Matin[14] qui décrit Le Dictionnaire khazar comme "un livre aux pouvoirs étranges", et dans L'Hebdo[15] qui le compare à "une immense machine à fabriquer des rêves", soulignant surtout "sa dangereuse magie".[16]
Le mystère créé autour du Dictionnaire khazar, qui par ailleurs déborde d'un humour provocateur et séduisant, a été également soutenu par l'écrivain lui-même. En s'amusant à jouer le rôle du bon diable, il a évoqué, à plusieurs reprises, son étrange expérience de créateur[17]. Dans une interview, il a même déclaré qu'il était littéralement tombé "malade pendant une année après avoir terminé ce livre"[18]. Bien entendu, l'explication de tous ces mystères n'est nullement mystérieuse. En s'engageant dans un jeu avec ses lecteurs, l'écrivain, aussi bien que les critiques qui ont suivi sa démarche ludique, avaient un but précis : celui de mettre les lecteurs au défi de lire le livre. Le défi a été relevé.[19]
3. Un labyrinthe byzantin
Bien sûr, les mystifications et le langage plein de comparaisons et de figures inattendues ne sont pas seulement la preuve de la liberté d'interprétation ou de l'enthousiasme avec lequel la critique française a accueilli Le Dictionnaire khazar. Ils sont également le signe d'un certain malaise devant un ouvrage qui échappe aux classifications habituelles. Un livre qui réunit de nombreux genres, une variété de styles et de démarches littéraires, qui est en même temps un roman d'aventures, un recueil de nouvelles et de poèmes, une étude historique romanesque, un récit policier, un ouvrage cabalistique et un dictionnaire de contes et d'aphorismes, un tel livre effectivement n'est pas facile à saisir. Voici, par exemple, comment Evelyne Pieiller, du Magazine littéraire, décrit son expérience de lectrice du Dictionnaire khazar :
"On croit tout d'abord au simple tour de force, et on se sent en territoire connu, celui des faux splendides. On se promène dans la bibliothèque de Babel, et on salue l'ombre de Borges d'un air malin. Effectivement, on est bien en plein déchaînement d'érudition rigolarde et perverse, mais elle nous mène peu à peu en vertige métaphysique. On essaie tout juste de s'y habituer, qu'on rebondit sur un suspense policier. Le Dictionnaire khazar est une spirale d'ombres et d'échos, qui adore faire trébucher le lecteur pour mieux l'éveiller. (...) On commence par une supercherie élégante (...) et on finit en complet déséquilibre par s'interroger sur la Sainte Trinité."[20]
Ce "complet déséquilibre" dont parle Evelyne Pieiller est peut-être une expression trop forte. Il s'agit plutôt d'un certain manque d'assurance, notamment quand il faut définir cet étonnant lexique. Faute de clefs d'interprétation valables et de termes précis, certains ont essayé de faire preuve de plus d'imagination dans leurs commentaires. Ainsi le critique de La Croix[21] décrit Le Dictionnaire khazar comme "un puzzle métaphysique et romanesque" ; le critique du Monde[22] le considère comme une sculpture ; et celui de La Libre Belgique[23], pas moins inventif que ses pairs, établit une analogie avec les "jeux de rôle" où le lecteur intervient lui-même sur le cours des événements du récit. Mais, la plus inventive de toutes est, sans doute, la définition détaillée d'André Clavel. Comme un véritable cuisinier littéraire, il offre à ses lecteurs la recette complète d'"un cocktail" qui s'appelle Le Dictionnaire khazar[24].
Pour sensibiliser les lecteurs à ce livre déroutant, les critiques se sont également mis à lui chercher des équivalents dans la littérature classique et contemporaine. De nombreux écrivains et ouvrages, appartenant à différentes époques et écoles littéraires, ont été évoqués afin de rendre plus claire l'entreprise littéraire de l'écrivain serbe. Parmi ceux-ci, citons Cervantès, Pic de la Mirandole, Jules Verne aussi bien que les auteurs modernes, tels que Borges, Eco, Tolkien, Queneau, Pérec, Cortazar, Calvino, etc. Les écrivains-mystificateurs comme Eco et Borges sont, peut-être, ceux auxquels il est fait le plus souvent référence. Ainsi Paul Corentin[25] et Patrick Mauriès[26] comparent Le Dictionnaire khazar au Nom de la Rose. D'après le premier, les deux romans sont construits autour de "querelles théologiques médiévales" qui ont, chez Pavić, pris "un tour byzantin à la fois plus tortueux et plus sauvage encore". Pour l'autre, l'exemplaire empoisonné du Lexicon cosri et la mystification créée autour de lui sont des faits qui font penser "invinciblement" au best-seller d'Umberto Eco. Selon Bruno Cessole[27], Milorad Pavić est, avant tout, le successeur européen du grand génie argentin Jorge Luis Borges : chez l'un comme chez l'autre, on retrouve ce mélange particulier de "jeux subversifs et subtils avec l'érudition et la métaphysique". En soulignant également qu'il s'agit d'un livre, non seulement ingénieux, mais aussi ironique, il n'oublie pas non plus de mettre en valeur les côtés picaresques et romanesques du Dictionnaire khazar qui sont, d'après lui, à l'égal de ceux des Mille et Une Nuits ou de ceux de Don Quichotte. Les noms du célèbre argentin et du classique espagnol, accompagnés de celui de Conan Doyle, sont également présents dans les comparaisons faites par Edgar Reichmann[28]. Selon lui, le livre vertigineux de Pavić est comparable par son "aspect labyrinthique" à un ouvrage de Borges qui aurait été "dynamisé par les déchaînements picaresques d'un Cervantès" et "par l'habileté d'un Conan Doyle". Pour André Clavel[29], la structure labyrinthique du Dictionnaire khazar évoque plutôt La Marelle de Julio Cortazar, roman dans lequel on peut cheminer librement. On trouve aussi cette analogie dans l’article de Patrick Mauriès qui fait allusion, par ailleurs, aux poèmes de Queneau, en mettant en évidence surtout le côté ludique du roman. C'est "le livre ouvert, discontinu, que l'on peut découvrir (...) suivant un fil ou un autre", conclut-il.[30]
Et pour en finir avec les comparaisons, notons-en encore une qui mérite une place particulière : celle qui est faite entre Le Dictionnaire khazar et La Treizième tribu d'Arthur Koestler. En prenant pour sujet de son roman l'histoire des Khazars, Pavić a rappelé inévitablement le livre de Koestler écrit sur le même sujet et publié quelques années auparavant. Ce faisant, il a également ressuscité la polémique qui avait été provoquée par La Treizième tribu dans une partie de la presse française. Certaines revues même, ont profité de cette occasion pour combattre, une fois de plus, la thèse de Koestler d'après laquelle "la population juive actuelle ne serait pas d'origine hébraïque, mais descendrait de ces Khazars caucasiens convertis au judaïsme"[31]. Dans cette polémique renouvelée, la revue Carnets d'occultisme s'est montrée la plus radicale. En accusant Koestler de désinformation, elle a réfuté catégoriquement l'hypothèse de la conversion des Khazars au judaïsme en précisant que c'est, en fait, leur roi, Boulan, qui s'est soumis à la conversion, non "au judaïsme rabbinique, mais à la religion issue de Moïse et exclusivement attachée à la Torah et aux rites du premier Temple qui a pour nom karaïsme"[32]. Quant à l'écrivain serbe, ses hypothèses romanesques ne sont pas contestées à cette occasion, bien au contraire.
Cette liste de comparaisons pourrait être bien plus longue encore. Nous n'avons pas noté, par exemple, celle qui est faite par le critique du Magazine littéraire qui compare le monde mythique pavićien à celui d'Andreï Platonov dans son roman Djann[33]. Mais les comparaisons déjà évoquées suffisent à éclairer le contexte dans lequel les Français situent le roman de Milorad Pavić. Évidemment, pour un ouvrage qui ne relève pas des classifications habituelles il fallait chercher des analogies chez les écrivains qui ont osé sortir des sentiers battus.
4. Un défi au genre : « l’œuvre ouverte » par excellence
Parfois trop engagée dans les jeux ludiques de l'écrivain serbe, ou séduite par ses mystifications, mais en même temps consciente d'un risque de perte de distance vis-à-vis du livre, la critique française n'a cependant pas manqué de remarquer les principales qualités littéraires du Dictionnaire khazar. Pour éviter les équivoques et soucieux de ne pas donner une fausse image du livre, les commentateurs ont souligné, à plusieurs reprises, que le roman de Pavić était beaucoup plus qu'une bizarrerie littéraire. "Il s'agit ici de bonne littérature et non de simple jonglerie", avertit J.-M. Montremy[34]. C'est également ce qu'affirment les critiques de L'Express et du Monde. "Le Dictionnaire khazar n'est pas seulement un ouvrage qui sort de l'ordinaire", précise Patrick Mauriès, "c'est un très bon roman"[35] ; "le roman au meilleur sens du terme", ajoute de son côté Nicole Zand[36]. Et si les critiques français décrivent Pavić comme un auteur aux multiples talents, qui possède tout à la fois des qualités de poète, d'humoriste, d'historien et d'ésotériste, ils ont également reconnu à son roman diverses qualités littéraires. En se donnant pour but de renouveler l'art de la narration et de changer le mode de lecture, un tel livre se prête particulièrement à plusieurs niveaux d'interprétations. Pour mettre en évidence les valeurs littéraires du Dictionnaire khazar de nombreux sujets ont été, en effet, abordés ; parmi d'autres, le problème de la forme, de la narration, la question du style et de l'imagination, les significations métaphoriques diverses du roman etc.
N'oubliant pas de remarquer le côté ludique et provocateur de cet ouvrage, certains découvrent, par ailleurs, derrière les jeux insolites du romancier serbe, un but proprement esthétique. Selon eux, la forme extravagante du Dictionnaire khazar représente d'abord un défi au roman en tant que genre. En jouant avec la forme et la structure classique du roman "pour le faire exploser dans tous les sens"[37], Pavić montre, en effet, les possibilités inépuisables de ce genre narratif, toujours prêt à la métamorphose. Pour justifier cette thèse, les critiques s'appuient aussi sur les paroles de l'écrivain qui s'est prononcé à plusieurs reprises sur ce sujet. "Ce que je tâche de faire", affirme-t-il, "c'est de détruire le roman et la phrase classiques pour aller plus loin. Le roman n'est pas en crise mais le réalisme l'est."[38] En mettant en cause l'autorité absolue de l'écrivain, Pavić offre également, à travers une structure ouverte, un nouveau rôle au lecteur, celui, en quelque sorte, de coauteur, constatent les critiques. Car c'est, en fait, lui qui donne, selon son propre mode de lecture, sa forme finale au Dictionnaire khazar et celle-ci peut être différente de celle proposée par l'auteur. Et si on reprend la comparaison entre l'écrivain serbe et l'italien Eco, on peut trouver justement dans leur convergence cette idée d'une structure ouverte qui confie au lecteur un rôle actif. Le roman de Pavić est "l’œuvre ouverte" par excellence ; il est sans doute ce qu'il y a de mieux comme illustration de cette idée originale exprimée par le théoricien de L'Oeuvre ouverte.
Une autre idée insolite, la publication de deux versions du roman (une masculine et l'autre féminine), a fait également l'objet d'analyses ; et elle n'a pas été considérée comme une simple bizarrerie ayant pour but de provoquer la curiosité de lecteurs, mais comme une démarche fonctionnelle, et profondément symbolique. Pour expliquer cette idée de Pavić qui traduit bien sa lucidité ludique et la richesse sémantique de ses métaphores, le critique du Républicain Lorrain[39] se réfère à un personnage du roman, Adam Kadmon, l'homme-étoile, dont la figure est présentée sur la couverture du livre. C'est une créature double qui réunit, selon le même critique, "les deux composantes de l'être humain" ou "l'Homme primordial et a-sexué", créé à partir de l'image biblique d'Adam avant la naissance d'Eve, comme le remarque Edgar Reichmann[40]. Autrement dit, derrière une idée apparemment bizarre et provocatrice, l'écrivain suggère, à travers les différences sexuelles, une vision unifiée du monde.
5. Une métaphore globale ou une « parabole du destin serbe » ?
Portés par la force intérieure du livre, par une fiction de grande envergure où s'entremêlent l'érudition, le fantastique et la magie, submergés par le foisonnement de personnages originaux, de récits merveilleux et de métaphores inattendues, les critiques français ne sont pas non plus restés indifférents à la richesse stylistique et imaginative du Dictionnaire khazar. Parmi eux, Philippe Tretiack se montre, sans doute, le plus exalté. C'est un livre qui "explose et chante de mille chants de bataille !", écrit-il avec enthousiasme[41]. D'autres ont particulièrement mis l'accent sur l'imagination de l'écrivain, extraordinairement puissante et imprévisible ; comme, par exemple, Eric Deschodt[42] qui qualifie ce roman d'"exercice étourdissant d'imagination métaphysique", ou comme Simon Guye[43] qui décerne symboliquement "la palme de l'imagination" à l'écrivain du Dictionnaire khazar, un roman qui, d'après lui, fera date dans la littérature contemporaine. Pour montrer la puissance époustouflante de l'imagination pavićienne aussi bien que ses effets poétiques et surréalistes, André Clavel va encore plus loin : il dresse un véritable catalogue de personnages et d'objets tirés du roman, dignes des meilleurs surréalistes[44].
Les autres critiques, portés davantage sur la vigueur langagière de Pavić, soulignent également la richesse et le raffinement subtil de son style. "Il écrit comme les tziganes jouent du violon, avec délire naturel", constate avec grand plaisir Georges Walter[45]. Michel Caffier n'est pas moins fasciné par l'écriture poétique et onirique de l'écrivain. "La juxtaposition des mots", écrit-t-il, "est un enchantement perpétuel qui attire d'autant plus la curiosité et le plaisir qu'on se demande à chaque ligne si on goûte tout le suc du texte, sa brillance, son humour, sa réalité, ses ombres."[46] Le secret de cette imagination débridée et de ce style particulier se cache en partie, d'après Alain Bosquet[47], dans les origines littéraires de l'écrivain serbe qui aurait pu combiner les illuminations romantiques issues de l'Orient russe et du baroque de l'Europe centrale. Mais le vrai mystère de Pavić, pour ainsi dire, réside avant tout, selon Bosquet, dans son "génie de la mystification" qui fait surtout l'originalité de cette reconstruction de l'histoire d'un peuple disparu. C'est justement ce génie, affirme-t-il, qui distingue l'écrivain du Dictionnaire khazar d'un Michelet "avec sa légèreté latine", ou d'un Théodore Mommsen "avec sa lourde conscience teutonne".
Les effets poétiques du style de Milorad Pavić sont également accentués par les métaphores qui submergent littéralement la narration sous des formes rhétoriques diverses. Selon Laurand Kovacs[48], ce sont elles, davantage que les jeux de la mystification, qui insufflent "un mystère pénétrable" à la narration du Dictionnaire khazar. D'ailleurs, le livre entier peut être interprété comme une métaphore globale. Qu'en est-il exactement ? En prenant pour sujet de son livre un petit peuple disparu dans la tourmente de l'histoire, sans même laisser de traces visibles, Pavić nous a transmis un message codé qui est en même temps un avertissement. Le tragique destin des Khazars représente celui de tous les petits peuples qui se sont trouvés, ou se trouveront, sous le feu croisé des principaux courants religieux et idéologiques, sans vraiment pouvoir résister et défendre leur identité nationale et culturelle, sans pouvoir même compter, dans l'avenir, sur la vérité et l'impartialité de l'histoire qui, comme nous l'apprend Pavić, change selon les témoins et les époques.
L'écrivain s'est sans doute inspiré, comme la critique française l'observe justement, de la tragique expérience historique de son propre peuple situé à la croisée des influences de diverses civilisations et au point de rupture entre des mondes en collision permanente. Le médiéviste Boško I. Bojović a même été tenté de voir dans cette oeuvre une parabole du destin des Serbes, appuyant sa thèse sur des faits historiques aussi bien que sur l'interprétation du livre à l'étranger, notamment dans les revues américaines[49]. Même si Pavić n'a pas pensé nécessairement à son peuple, comme l'écrit cet historien, il a créé dans son roman "une parabole troublante de ce qui est non seulement la trame historique du destin serbe, mais encore plus, de ce qui pourrait être son aboutissement en train de s'accomplir de nos jours"[50].
Quant à l'écrivain lui-même, il a également fait allusion à une hypothétique analogie entre les Serbes et les Khazars. Il a aussi reconnu que son roman "est, en effet, le miroir de la diversité du monde" dans lequel il a été élevé[51]. Mais il a, en même temps, défendu l'universalité des symboles, des significations et des idées du Dictionnaire khazar, lesquels ne peuvent pas être réduits à une simple parabole. C'est justement cette universalité, pourrait-on ajouter, qui fait la différence entre un chef-d’œuvre et un ouvrage ordinaire.
II.
1. Changement du « prisme de lecture »
L’accueil enthousiaste qui fut réservé en France au Dictionnaire khazar incita bien sûr grandement à la publication des autres œuvres de Milorad Pavić. Enhardie par l’immense succès de l’intriguant « roman-lexique », la maison d’édition Belfond devait, les quelques années suivantes, publier en traduction française cinq autres livres de l’écrivain. Toujours sous le coup de la forte impression que lui avait faite le « dictionnaire diabolique », la critique reçut avec sympathie et curiosité également Paysage peint avec du thé (1990), Le lévrier russe (1991) et L’envers du vent (1992). Les deux ouvrages suivants, les recueils de nouvelles Le rideau de fer (1994) et Les chevaux de Saint-Marc (1995) eurent, en revanche, un très faible écho, préludant à un changement d’attitude de la critique française à l’égard du « maître de la voltige »[52]byzantin, changement qui se trouva confirmé peu après par l’intérêt des plus modestes que suscitèrent Le chapeau en peau de poisson (1997) et Dernier amour à Constantinople (2000) dont Belfond céda la publication à d’autres éditeurs.
L’une des raisons de cette volte-face est naturellement à chercher dans le changement radical du contexte qui, au cours de la dernière décennie du XXe siècle, prévalut en France à la réception de la littérature serbe en général. À vrai dire, le déclenchement de la guerre civile en ex-Yougoslavie devait avoir un retentissement important dans les médias parisiens et, dans une large mesure, modifier le prisme à travers lequel allaient être lus les écrivains serbes. Tout en tâchant, pour sa part, de contribuer à une meilleure compréhension du drame qui se jouait dans les Balkans, mais dans son impuissance à contrecarrer l’influence funeste des médias et leur interprétation en noir et blanc d’événements ô combien complexes et tragiques, la critique française se laissa à son tour prendre au piège du manichéisme et, de plus en plus fréquemment, basa son interprétation des livres traduits du serbe sur des critères relevant davantage de la politique au jour le jour que de l’esthétique.
Ce changement du « prisme de lecture » se refléta pareillement sur la réception en France des œuvres de Milorad Pavić au cours des années 1990. Précisément, dès 1992, alors que s’orchestrait la grande chasse médiatique au dit « nationalisme grand serbe », certains critiques prirent ouvertement leurs distances avec l’auteur du Dictionnaire khazar et lui accolèrent l’étiquette de « nationaliste serbe ».[53] Telle une ombre funeste, cette étiquette devait suivre Pavić des années durant, provoquant la réaction virulente de l’un de ses critiques les plus fidèles et les plus lucides, Alain Bosquet, qui se sentit le devoir de prendre sa défense[54]. Pourfendeur acerbe de l’hypocrisie des humanistes de façade qui tenaient pour suspicieux « tout ce qui [venait] de Serbie », il exigea que soit mis fin à cet étiquetage de Milorad Pavić qu’il considérait, souligna-t-il, comme « l’un des quatre ou cinq écrivains d’Europe les plus marquants et les plus originaux », un auteur qui avait « choisi la littérature de l’imaginaire » plutôt que « l’engagement immédiat et à court terme », raison pour laquelle, conclut-il, il devait être respecté et même célébré.
Quoiqu'argumentée, la prise de position d’Alain Bosquet ne produisit toutefois pas les résultats escomptés. Preuve en est l’essai de Jacob Rogozinski qui, illustration d’une lecture tendancieuse qui s’appuie sur l’extrapolation, mérite en particulier que l’on s’y attache[55]. Philosophe par vocation, universitaire parisien, ce lecteur érudit de Pavić allait se fixer comme objectif – à travers une analyse à première vue étayée, sophistiquée, de la dimension allégorique et métaphysique du Dictionnaire – d’apporter la preuve que l’auteur avait – ni plus ni moins – « trahi » sa propre œuvre ! Voyons brièvement quelles sont les prémisses sur lesquelles repose cette interprétation où l’« originalité » le dispute à l’« inventivité ».
Selon Rogozinki, Le Dictionnaire khazar, « un livre admirable », peut s’interpréter comme symbolisant le « dernier roman yougoslave, la geste nostalgique d’un pays aujourd’hui anéanti ». Rogozinski renforce cette affirmation en alléguant que « le légendaire royaume khazar » est à vrai dire « une métaphore de cette Yougoslavie plurielle d’avant la partition et la guerre ». La forme dispersive, mosaïque, du livre – la forme « d’une Encyclopédie fictive » qui mélange « les époques, les genres et les styles » – évoque, elle aussi, le souvenir de l’« utopie yougoslave ». Par ailleurs, continue le philosophe, une telle interprétation est consolidée par l’idée centrale du livre que l’on soupçonne sous-jacente à sa structure complexe : l’idée – ou, peut-être, le « fantasme » de l’écrivain – sur l’unicité d’un monde qui gomme toutes les divisions et différences. Cette idée, précise Rogozinski, Pavić l’a développée dans l’enseignement ésotérique d’Adam Ruhani et, notamment, dans la tentative symbolique qui vise à reconstruire son corps en une unité unique. Dans ce geste, « il était possible [de] voir une allégorie nostalgique du rêve yougoslave », du projet utopique de constitution « d’une Fédération transnationale », le corps d’Adam reconstruit dans son intégralité exprimant de manière symbolique « l’humanité entière au-delà de toute différence de nation, de religion ou de langue ».
Au dire de Rogozinski, Pavić s’est montré infidèle à ce puissant message éthique, humaniste, il l’a « trahi ». De quelle manière ? Par son engagement politique aux côtés des « apôtres de la ‘purification ethnique’», par son « soutien » aux « ‘purificateurs’ de Prijedor ou de Srebrenica » (!). Un engagement indigne qui rappelle la trahison d’un Céline ou d’un Heidegger, dit encore le philosophe, et qui permet une réinterprétation a posteriori de ce livre et l’identification « après coup » du « Royaume Khazar à la grande Serbie » ! Dans cette réinterprétation « après coup », le corps d’Adam ne symbolise plus ce qu’il laissait entendre auparavant, il devient l’allégorie d’un peuple unique – serbe, il va de soi – qui, explique Rogozinski, au nom de « l’unité absolue du Grand Corps », s’échine à « purifier », à « exclure » tout ce qui lui est différent.
Cette interprétation audacieuse, en tout point « originale », en dit bien plus long en réalité sur celui qui la livre que sur le Dictionnaire khazar et son auteur. Surtout si on ne perd pas de vue les affirmations, « originales » elles aussi, exprimées sous forme de conclusion définitive, que « ce reniement, cette trahison de son œuvre » dont se rend coupable l’auteur « étaient déjà inscrits en elle, appelés en un sens par l’œuvre elle-même » ! À la lumière de ce dernier jugement catégorique se distinguent plus clairement quelles étaient les intentions véritables de Jacob Rogozinski : à coups d’insinuations politiques, jeter le discrédit sur l’écrivain, mais aussi son œuvre. Cette œuvre, justement, qu’il disait… « admirable ». En outre, n’est pas non plus dépourvu d’intérêt le fait que cet humaniste, ce philosophe, ait fait paraître son essai en 1999, alors que l’OTAN agressait la Serbie et que, dans certains médias français, la suspicion à l’encontre de « tout ce qui [venait] de Serbie » – pour reprendre l’expression d’Alain Bosquet – se transformait en franche hystérie antiserbe. Peut-être faut-il voir là la modeste contribution apportée par Rogozinski à l’opération « humanitaire » de l’OTAN Noble anvil (24 mars-10 juin 1999).
2. Malgré tout, un livre culte
Le changement de prisme à travers lequel furent lus les livres de Milorad Pavić – changement qui prit, nous l’avons vu, dans le cas de Jacob Rogozinski, une forme extrême ayant pour but de « dézinguer » et l’auteur et son œuvre – devait naturellement se refléter en 2002 lors de la réédition du Dictionnaire khazar[56]. Plus précisément, ce changement eut pour conséquence le faible écho que cette réédition rencontra dans la presse et les périodiques français en dépit des efforts de l’auteur et de l’éditeur pour la présenter de manière inventive susceptible d’ouvrir de nouvelles perspectives à la réception du livre. Par ailleurs, cette réédition était marquée par une modification symbolique et structurelle de taille : plutôt qu’offrir au public deux tomes distincts, « masculin » et « féminin », un volume unique les réunissait dans une « version androgyne ». Pour l’occasion, l’auteur avait lui-même rédigé une nouvelle introduction afin d’intriguer davantage critiques et lecteurs. L’énigmatique observation formulée par Pavić sur la nature « androgyne », voire « hermaphrodite » de l’œuvre en rend parfaitement compte. « Si, au XXe siècle, ce livre avait les deux sexes, au XXIe il est devenu hermaphrodite », dit l’auteur avant d’ajouter que cette nouvelle version du roman peut être considérée comme un « endroit/espace où le temps féminin recèle le temps masculin. » ! Enfin, il n’est pas sans intérêt de rappeler également une circonstance favorable qui aurait dû être bénéfique à l’accueil de cette nouvelle édition du Dictionnaire, à savoir la publication du roman de Marek Halter Le Vent des Khazars[57] qui avait, moins d’un an auparavant, réactualisé la question khazare dans les médias.
Pourtant, ni le renouveau d’intérêt que les médias affichèrent pour ce mystérieux peuple, ni les efforts déployés par Pavić et son éditeur français ne pesèrent de manière significative sur la réception du Dictionnaire. Parmi les rares critiques à avoir pris la parole à cette occasion, seul est en fait à mentionner Edgar Reichmann qui, au demeurant, s’était déjà exprimé – de manière enthousiaste – en 1988, lors de la première parution du livre. Ce nouveau texte, publié dans Le Monde, est certes écrit avec une certaine retenue, mais aussi un respect marqué pour l’auteur et son livre[58]. Sans allusion aucune aux « fautes politiques » commises par Pavić – stéréotype qui menaçait de rejeter son œuvre complètement dans l’ombre – Reichmann rappelle l’immense succès rencontré dans le monde par Le Dictionnaire khazar et sa traduction en pas moins de vingt-huit langues. De plus, il pointe la grande authenticité d’un livre qui ne respecte ni « la chronologie ni la cohérence narrative », sa forme particulière de prose « kaléidoscopique », la « féérie baroque » tissée autour d’une « énigme historique » qui « ressuscite l’une des périodes les moins connues de notre histoire ».
Si l’on peut constater que les principaux journaux et magazines littéraires français restèrent indifférents non seulement à l’égard de cette nouvelle édition du Dictionnaire khazar mais aussi vis-à-vis de son auteur – une attitude qu’ils gardèrent jusqu’à son décès – Pavić ne tomba pas pour autant dans un total oubli au cours de la première décennie du XXIe siècle. Y veillèrent tout particulièrement ceux qui lui témoignaient une grande estime : ceux qui, le plus souvent, n’avaient pas accès à la presse écrite à grand tirage, et qui, de ce fait, utilisèrent les possibilités offertes par les réseaux alternatifs – électroniques – pour échanger avec des correspondants de même sensibilité. Parmi les sites et les blogs où se renseigner sur l’auteur du Dictionnaire, nous n’en citerons que trois. En premier lieu, celui de la traductrice Marija Bežanovska qui offre aux lecteurs intéressés ainsi qu’à d’éventuels éditeurs la possibilité de découvrir les œuvres de prose non encore disponibles en français[59]. Ainsi peut-on lire sur ce site, par exemple, de larges extraits traduits du Théâtre en papier, de La Boîte à écriture et du Miroir invisible, chaque texte s’accompagnant d’une note introductrice rédigée par l’auteur ou par la traductrice.
Digne d'intérêt également, le site Authologies.free.fr qui propose au public francophone des informations diverses sur les auteurs étrangers délaissés ou totalement ignorés par les médias[60]. En prélude à une présentation plus détaillée de Milorad Pavić et de son œuvre, le rédacteur de l’article – non signé – met en avant, telle une sorte de réplique implicite à tous ceux qui lui « sont tombés dessus à bras raccourcis », que cet auteur est un homme « très discret », à l’engagement intellectuel sans bornes, qui « a toujours soigneusement évité de se revendiquer d’une quelconque appartenance politique ». Tout en rappelant que la poétique de Pavić repose dans une large mesure sur l’idée de la « réversibilité de l’art », et qu’on le range d’ordinaire parmi les postmodernes, l’auteur de l’article met ensuite l’accent sur les traits postmodernes majeurs de l’œuvre de Milorad Pavić : une nette opposition à la vision rationaliste de la réalité ainsi qu’au « parti-pris idéologique », le recours à l’ironie, à l’allégorie et au paradoxe dans la peinture du monde, la suspicion ironique que lui inspire « toute vérité ou expérience historique », l’intertextualité, la fragmentation et l’absence de « logique de causalité » et de chronologie linéaire dans la construction d’une histoire. La suite du texte s’attache plus précisément au Dictionnaire khazar, un livre dont la parution fut tel « un coup de tonnerre », souligne l’auteur avant de préciser qu’aucun autre de ce genre n’avait encore été publié, et ce, depuis l’époque des « grandes fantaisies ésotériques de la Renaissance ».
Mentionnons enfin, à titre de curiosité, le site du cinéaste Colas Ricard qui, manifestement inspiré par l’esprit ludique de Pavić et la forme du Dictionnaire khazar, a mis en ligne un « index » intégral du roman qui représente en quelque sorte un « dictionnaire du Dictionnaire » ![61]
Une approche différente, basée sur une solide connaissance de l’œuvre de Pavić, est à chercher dans les textes de Sanja Bošković ; enseignante à l’université de Poitiers, elle a publié en langue française deux essais consacrés à Milorad Pavić : « Les éléments du folklore slave dans la littérature contemporaine yougoslave : Milorad Pavic, Le Dictionnaire Khazar »[62] et « La métaphore khazare ou la quête de l’identité perdue dans le roman de Milorad Pavić Le Dictionnaire Khazar »[63]. Parus dans des publications spécialisées, destinées à un public restreint, quoiqu'étayés par des arguments de poids et rédigés avec un sens aigu de l’analyse, ces deux textes n’ont cependant pas pu toucher un large lectorat ni peser de manière significative sur la réception future de l’œuvre de Pavić.
Parmi les preuves témoignant que l’auteur du Dictionnaire n’était pas totalement tombé dans l’oubli, il faut évoquer également les réactions que provoqua l’annonce de son décès, un événement répercuté par quasiment tous les grands quotidiens français. Comme de coutume en l’occurrence, de courtes nécrologies soulignèrent que venait de disparaître un écrivain important, traduit dans les principales langues mondiales. À cette occasion, bien évidemment, on mit en avant Le Dictionnaire khazar et on rappela que ce livre d’une grande originalité, au formidable retentissement, avait contribué à conférer à son auteur le statut d’écrivain de renommée mondiale. Par ailleurs, le décès de Pavić fut l’occasion pour certains critiques non seulement de rendre un ultime hommage à l’écrivain disparu mais aussi de souligner l’importance et l’authenticité de son œuvre fort injustement délaissée en France depuis quelques années.
Avec chaleur, mais aussi une admiration qu’il ne manqua pas de justifier, Antonio Werli, le fondateur et rédacteur de la revue Cyclocosmia, brossa le portrait de Milorad Pavić, un « écrivain énorme & hors norme »[64]. Reconnaissant que sa rencontre de l’« extraordinaire et fascinant » Dictionnaire (« peut-être le seul exemple authentique de littérature hypertextuelle avant l’apparition de l’internet ») avait changé sa « vision de la littérature », Werli observe dans un premier temps que ce roman a totalement éclipsé les autres œuvres de Pavić qui, tout autant, témoignent de son exceptionnelle énergie créatrice et de son inventivité. Et cela, précise-t-il, est dommageable car tout nouveau livre de Pavić exprimait en fait ses efforts pour instituer de nouveaux codes de genre et repousser les limites de la construction romanesque. Toutefois, affirme Werli, l’esprit ludique sans entraves de Pavić, les jeux auxquels il s’adonne avec la forme et les règles du genre, ne sont jamais un but en soi. À l’inverse, il se montre très fonctionnel dans la mesure où le recours aux procédés ludiques ouvre des possibilités nouvelles, insoupçonnées d’écriture et de lecture. De même, rappelle le critique, n’oublions pas que le potentiel créatif de l’écrivain serbe ne s’exprime pas uniquement dans son inventivité hors du commun sur le plan de la forme « qui n’est jamais chez lui une coquille vide » : cet érudit passionné possède également une « grande âme en plus d’une grande intelligence », un esprit hors pair, un don pour la fabulation et l’observation, mais aussi une « puissance » peu commune dans « l’évocation des forces invisibles ». Antonio Werli ajoute encore qu’à la différence de nombre de ses collègues, jamais Milorad Pavić ne perd de vue ce qui est la substance même de la littérature : raconter une histoire. Et Werli de conclure que, pour toutes ces raisons, cet écrivain mérite d’entrer au Panthéon « des incontournables inventeurs du XXe siècle » !
Tout aussi affirmatif, Pierre Assouline, l’un des critiques français parmi les plus influents, reconnaît que la lecture de cet « étrange » dictionnaire, de ce « projet romanesque dément » que l’on peut qualifier d’olni, d’« objet littéraire non identifié », fut pour lui aussi une expérience « inoubliable »[65]. Rappelant que l’écrivain serbe avait publié de nombreux livres, il souligne que Le Dictionnaire khazar occupe néanmoins une place de choix dans son opus dans la mesure où il fait office de « matrice » où devaient être conçus tous ses ouvrages ultérieurs. Visant la comparaison souvent faite entre le Dictionnaire et, d’une part, La Treizième Tribu d’Arthur Koestler, et, d’autre part, Le Nom de la rose d’Umberto Ecco, Assouline – sans hésitation aucune – prend le parti du Dictionnaire qui « nous habite encore vingt ans après » et jouit aujourd’hui du « statut de livre-culte ». Par-là même, ironiquement, Assouline « flanque une volée » et à Koestler et à Ecco, au premier pour des raisons exclusivement idéologiques, à savoir sa volonté de présenter l’État khazar comme le premier État juif et, en conséquence, comme le prédécesseur d’Israël. Pour ce qui est de l’auteur du Nom de la rose, roman « trop sage et peu risqué », Pierre Assouline, sur le ton de la plaisanterie, ajoute qu’Ecco « aurait rêver d’oser inventer » un livre comme Le Dictionnaire khazar, œuvre « encyclopédique d’un fou de livre », « labyrinthe narratif » où se confondent imaginaire, absurde et fantastique.
Pour terminer, rappelons enfin une nécrologie parue dans Le Monde[66]. Conçue comme une sorte de portrait de l’écrivain, elle fournit les informations de base de la bibliographie de Milorad Pavić, un accent particulier étant mis sur Le Dictionnaire khazar qui est dit présenter une construction « ludique » originale qui utilise « toutes les ressources de l’imagination, de la légende, de la mystique, du folklore, de l’érudition… ». Néanmoins, tout en brossant de manière très respectueuse le portrait de l’écrivain, ce grand quotidien ne manque pas, même en ces circonstances particulières, à l’heure de dire un ultime adieu à Milorad Pavić, de rappeler « la faute » politique qui lui est imputable, faute qui, selon Le Monde, entache sa biographie – la réputation qui est faite à Pavić depuis des années en France d’être, outre un nationaliste, un « fervent supporteur » de Slobodan Milošević[67].
*
Si l’on ne saurait mettre en doute le changement de prisme dans lequel fut lu Pavić – changement qui se doubla de tentatives visant à le discréditer sur le plan moral et influa largement sur la réception ultérieure de ses œuvres en France –, tout aussi indiscutable est le fait que ces menées ne sauraient aucunement ternir le choc positif initial et les manifestations d’enthousiasme qui accompagnèrent la première publication en France du Dictionnaire khazar. La spontanéité avec laquelle la critique, alors encore exempte de préjugés idéologiques et politiques, s’était mise à la lecture de ce roman – spontanéité débouchant parfois sur une fascination prompte à transformer l’interprétation critique en mystification – n’a certes pas toujours été le meilleur allié dans la lecture de cet insolite « continent de mots ». Mais la lecture spontanée qui caractérisa la première phase de la réception du roman de Pavić, à laquelle on peut cependant faire grief d’une certaine légèreté, d’un manque de profondeur dans l’analyse, d’une perte de distance critique, mais qui traduit dans le même temps une liberté d’interprétation – est sûrement plus proche de la vérité de l’œuvre que la lecture avec préméditation, ou la relecture tendancieuse qui lui succédèrent.
Reste naturellement à envisager quelle sera la réception future du Dictionnaire khazar en France, pays qui a toutefois fait montre de suffisamment de sensibilité visionnaire pour reconnaître dans cet ouvrage « le premier livre du XXIe siècle ». Espérons qu’à l’avenir, en des temps où elle saura enfin s’exempter de préjugés idéologiques et politiques, la critique française se montrera à la fois moins suspicieuse à l’égard du « maître de la voltige » byzantin et plus créative dans la lecture de son énigmatique « dictionnaire diabolique ».
Note de l’auteur : La première partie de ce texte (I), rédigée en français, a été publiée dans La Revue de littérature comparée, n° 3, 1995, p. 273-285. A l’initiative de la revue Letopis Matice srpske, cette partie a été traduite en serbe puis complétée par l’auteur également en serbe. Dans la version ici présentée, la partie du texte écrite en serbe est traduite par Alain Cappon.
Notes
[1] Pour consulter les références relatives à tous les livres de Milorad Pavić traduits en français cliquer sur le lien suivant : Serbica - Ecrivains et oeuvres - Pavic.
[2] A(ndré) C(LAVEL) : "Pavic l'illusionniste", L'Evénement du jeudi, 5 au 11 mars 1992.
[3] Nicole ZAND : "Pastiches de Khazarie et d'ailleurs", Le Monde, 25 mars 1988. Il est intéressant de noter que dans le même texte le critique rend compte du livre d'Umberto Eco : Pastiches et postiches.
[4] Philippe TRETIACK : "Enfin un roman qu'on peut lire dans tous les sens !", Paris Match, 17 mars 1988.
[5] Evelyne PIEILLER : "Bizarres Khazars", Magazine littéraire, avril 1988.
[6] ANONYME : "La légende des titres", Le Progrès, 17 avril 1988.
[7] Georges WALTER : "Des écrivains venus du Danube", Ouest-France, 21 mars 1988.
[8] ANONYME : "Les vingt-cinq ans de Belfond", Le Figaro, 29 février 1988.
[9] Cette émission, sous le titre "Les grand travaux" a eu lieu le 18 mars 1988, sur Antenne 2.
[10] Jean CONTRUCCI : "Milorad Pavic : les Khazars, quel bazar !" Le Provençal, 27 mars 1988.
[11] ANONYME : "Le Dictionnaire khazar par Milorad Pavic (roman-lexique)", La Presse de la Manche, 22 mai 1988.
[12] André CLAVEL : "Le livre à bricoler soi-même", Journal de Genève, 26 mars 1988.
[13] G. WALTER : Op. cit.
[14] Christophe GALLAZ : "La beauté séculaire du Khazar", Le Matin (Lausanne), 18 mars 1988.
[15] Isabelle RÜF : "Les Khazars, sel de la terre", L'Hebdo, 30 mars 1988.
[16] Les revues Elle et Coopération vont encore plus loin. On dirait qu'elles jouent à faire peur à leurs lecteurs : la première en parlant d'un "diable aux oreilles pointues" qui veille au coin des pages, et la seconde en les mettant en garde contre "une phrase mortelle" qui serait cachée soigneusement dans ce livre mystérieux. (Voir : P. R. : "Ne sortez plus sans lui !", Elle, 5 avril 1988; et Henri-Charles DAHLEM : "Hors des sentiers battus...", Coopération, 16-21 avril 1988.)
[17] Voir, par exemple, M. PAVIC : "Il est nécessaire que nous rêvions", propos recueillis par B. Bogavac-Le Compte, La Quinzaine littéraire, 1-15 avril 1988.
[18] In : I. RÜF : Op. cit..
[19] La vente de Dictionnaire khazar en France confirme incontestablement l'influence de cette présentation médiatique sur les lecteurs. Au mois d'avril 1988, le roman-lexique de Pavić est, avec L'insoutenable légèreté de l'être de Milan Kundera, un des livres les plus demandés dans les librairies françaises. (Voir les listes des ventes publiées dans France-Soir, le 5 avril 1988, dans Le Nouvel Observateur en avril 1988, et dans Le Point, le 26 avril 1988.)
[20] Evelyne PIEILLER : Op. cit.
[21] J.-M. de MONTREMY : "Le Khazar et la nécessité", La Croix, 12 mars 1988.
[22] N. ZAND : Op. cit.
[23] Francis MATTHYS : "Le Dictionnaire khazar", La Libre Belgique, 31 mars 1988.
[24] Ce fameux "cocktail" est, d'après ce critique, composé "à la fois du jeu de marelle et du mot croisé, du canular apocryphe et du cube de Rubik, du kit littéraire à bricoler soi-même (...) et du traité cabalistique, de la poupée gigogne et de la gymnastique oulipienne..." (André CLAVEL : "Le livre à bricoler soi-même".) Cette recette est évidemment celle d'un vrai gourmand, mais elle risque, en revanche, de présenter ce roman comme un véritable "casse-tête".
[25] Paul CORENTIN : "Apostrophes", Télérama, 9 mars 1988.
[26] Patrick MAURIES : "Pavic : les mots retrouvés", L'Express, 7 mai 1988.
[27] Bruno CESSOLE : "L'énigme khazare", Le Point, 2 avril 1988.
[28] Edgar REICHMANN : "La saga des Khazars...", L'Arche, mai 1988.
[29] A. CLAVEL : Op. cit.
[30] P. MAURIES : Op. cit.
[31] Cité par N. ZAND : Op. cit.
[32] ANONYME : "Le Dictionnaire khazar de Milorad Pavic", Carnets d'occultisme, avril 1988.
[33] E. PIEILLER : Op. cit.
[34] J.-M. MONTREMY : Op. cit.
[35] P. MAURIES : Op. cit.
[36] N. ZAND : Op. cit.
[37] H.-C. DAHLEM : Op. cit.
[38] Milorad PAVIC : "Il est nécessaire que nous rêvions".
[39] C. F.: "Les grands travaux", Le Républicain Lorrain, 18 mars 1988.
[40] E. REICHMANN : Op. cit.
[41] P. TRETIACK : Op. cit.
[42] Eric DESCHODT : "Voyage au bout de la nuit", Valeurs actuelles, 5 avril 1988.
[43] Simon GUYE : "Le livre dont on parle", La Vie protestante, 22 avril 1988.
[44] On trouve dans cet inventaire bizarre, par exemple, "un Juif aux angles de verre, une sirène possédant deux pouces à chaque main, un scribe serbe affublé d'une unique narine, un musicien anatolien qui fabrique des luths avec la carapace des tortues, un voïvode capable d'écorcher son ennemi tout vivant à l'aide d'une simple coquille d'huître, un ouvrage sibyllin imprimé avec une encre empoisonnée, et un autre, intégralement tatoué sur la peau d'un humain..." (A. CLAVEL : Op. cit.)
[45] G. WALTER : Op. cit.
[46] Michel CAFFIER : "Khazar, vous avez dit Khazar ? Comme c'est bizarre...", L'Est républicain, 17 mars 1988.
[47] Alain BOSQUET : "Milorad Pavic : l'empire évanoui", Le Figaro, 5 avril 1988.
[48] "Milorad Pavic : Le Dictionnaire khazar", La Nouvelle Revue Française, juillet-août 1980, p. 226-227.
[49] Parmi d'autres opinions sur ce thème, il a également cité les deux suivantes qui sont peut-être les plus explicites. La première est publiée dans le mensuel de Washington The World, le 1er novembre 1988. "Dans le livre vert, en décrivant les Khazars", constate le critique américain, "Pavic se rapproche tout à fait d'une identification de la position actuelle des Serbes en Yougoslavie avec celle de Khazars." En développant la même comparaison, la seconde revue Philadelphia inquirer, en décembre 1988, va encore plus loin. Son critique écrit : "De même que les Serbes dépités (sic!) par leur position en Yougoslavie, les Khazars subissent une discrimination tout en étant majoritaires dans leur pays. Les minorités qui, avec un soutien extérieur, gagnent en force politique dans certaines parties de l'Etat Khazar, réduisent la population khazar locale, de même que la minorité albanaise ainsi que les autres groupes ethniques exercent une discrimination à l'égard des Serbes habitant ces régions. C'est cette injustice, servant à Pavic d'allusion claire pour ses lecteurs yougoslaves, qui mène à la disparition des Khazars..." (Boško I. BOJOVIĆ : "Le Dictionnaire khazar une parabole du destin serbe", Balkan, jan.-fév.-mars 1990, p. 68, 70.)
[50] Idem.
[51] Odile le BIHAN : "Milorad Pavic, un universitaire yougoslave, crée l'événement avec Le Dictionnaire khazar", Le Républicain Lorrain, 20 mars 1988.
[52] Cette expression est empreinte à Nicole CASANOVA, voir : « Les fêtes barbares de Milorad Pavic », La Quinzaine littéraire, n° 618, 16. février 1993, p. 2.
[53] Citons à titre d’exemple deux articles seulement : celui de Jean-Baptiste Harang qui affirme avoir été « surpris » lors de sa première rencontre avec l’écrivain, « par son nationalisme serbe exacerbé » (« L’envers vaut l’endroit », Libération, 8 octobre 1992) ; et celui de Daniel Martin qui informe ses lecteurs, sans donner d’explication supplémentaire, qu’« aujourd’hui » Pavić « est en plein conflit » et qu’il « milite auprès des nationalistes » (« A la force des contes », La Montagne, 12 juin 1994).
[54] A. BOSQUET: « Milorad Pavic, de Serbie et de partout », Le Quotidien de Paris, 16 juin 1994.
[55] Jacob ROGOZINSKI: « La fin de l’unité yougoslave et la littérature : à propos du Dictionnaire Khazar de Milorad Pavic », Esprit, mai 1999, p. 53-60.
[56] Mémoire du livre, 2002.
[57] Marek Halter : Le Vent des Khazars, Éd. Robert Laffont, 2001.
[58] Edgar Reichmann : « Mythes et réalité de la Khazarie », Le Monde des livres, 15 novembre 2002.
[59] : http://www.maria-bejanovska.com/propositions_oeuvres-de-milorad-pavic.htm
[60] : http://authologies.free.fr/pavic.htm : « Milorad Pavic, la réversibilité de l'art »
[61]: http://www.colasricard.net/t/pavic.html : Index du
[62] Revue des études slaves, Tome 74, Fascicule 2-3, Paris 2002/2003, p. 353-362.
[63] In Identités méditerranéennes, reflets littéraires, sous la direction de Monique Michaud, Paris, l’Harmattan, 2007, p. 19- 25.
[64] Werli, Antonio : "Portrait de Pavić suivi d'un 'Autoportrait' / Hommage à Milorad Pavić (1929-2009)", 4 décembre 2009 : http://www.fricfracclub.com/spip/spip.php?article512
[65] Pierre Assouline: « Pour saluer Milorad Pavic », La république des livres - Blog LeMonde.fr, 20 décembre 2009.
[66] Florence Noiville : « Milorad Pavic », Le Monde, 9 décembre 2009.
[67] Pour étayer cette affirmation, le journal s’appuie sur une dénonciation de Mirko Kovač, sans vérifier sa crédibilité. Certes, dans la suite du texte – probablement pour tenter de nuancer ce jugement sévère – le critique du Monde ajoute que, « plus tard », Pavić « changea de bord, signant, notamment en 1999, une pétition dans la presse demandant la démission de Milosevic et de son gouvernement ».
Date de publication : mars 2011
> DOSSIER SPÉCIAL : Milorad Pavić
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